Par Thanasis Kourkoulas
La décision de construire une mosquée à Votanikos, un quartier d’Athènes – la première mosquée moderne érigée dans le pays –, est importante pour des raisons historiques et politiques. Trente-trois ans après la première demande, les musulmans du pays, qui sont plus de 100’000 selon le Ministère des affaires étrangères grec, auront enfin droit à une vraie mosquée dans la capitale. C’est un pas important en termes d’égalité des cultes en Grèce. Pourtant, la décision a donné lieu à une polémique violente et les représentants d’ANEL (Grecs indépendants), parti de la droite extrême populiste qui participe au gouvernement, ont voté contre la motion. L’Aube dorée, le parti nazi, a aussi voté contre et ses députés ont attaqué un député musulman à l’intérieur du parlement. Thanasis Kourkoulas, membre de DEA [Gauche ouvrière internationale], du Réseau Rouge et de KAR [Mouvement « Déportez le racisme »], écrit ici en faveur de la création de la mosquée.
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L’islamophobie ne caractérise pas seulement les fascistes et l’extrême droite. Il s’agit d’une large campagne idéologique conduite par les médias, les politiciens nationalistes et les partis au pouvoir à une échelle d’ensemble et avec des appuis internationaux.
Après le 11-Septembre, les Etats-Unis et leurs alliés ont commencé une croisade incroyable contre « l’axe du mal », une croisade qui a pris la forme de deux guerres impérialistes en Afghanistan et en Irak, de la création des prisons illégales pour les musulmans dans divers pays et de la montée de la répression policière contre les musulmans et les Arabes dans les pays de l’Ouest.
En même temps, le fondamentalisme chrétien à l’Ouest a été renforcé par les « croisés » de l’extrême droite, qui ne permettaient pas la création de mosquées à New York, qui interdisaient les minarets en Suisse et le voile intégral en France. En Grèce, un des slogans fondamentaux d’Aube dorée est « Pas de mosquée à Votanikos ». Les plus importants « arguments » des islamophobes sont que la civilisation chrétienne et la civilisation musulmane sont incompatibles, que l’islam est une religion réactionnaire et une source de terroristes, que le caractère « gréco-chrétien » du pays sera déformé, etc. Il s’agit d’arguments réactionnaires grotesques, lesquels – s’ils étaient avalisés par la majorité parlementaire (du gouvernement Tsipras) – pourraient créer ce qu’elle veut éviter : la réaction et le repli des musulmans sur une base religieuse, comme réponse à leur marginalisation et au refus d’’être intégrés égalitairement à la société.
Et quel est danger pour la religion dominante en Grèce quand il y a une église orthodoxe à chaque coin de rue ? Quand l’Eglise orthodoxe est le plus grand propriétaire de terre et d’immeubles du pays ; une machine gigantesque qui – au lieu d’être taxée – est financée par l’Etat ? Quand les salaires des prêtres sont payés par l’Etat ? Quand chaque jour les classes des écoles commencent par la « prière » ?
Il s’agit en fait d’un fondamentalisme orthodoxe tellement profondément ancré dans le système qu’il a le culot de renier la liberté de culte même dans sa forme constitutionnalisée, de refuser aux autres cultes tout droit démocratique d’expression religieuse.
Les femmes
Un argument central de la propagande anti-islamique concerne la position de la femme dans le monde musulman. Mais, à ce propos, les Eglises chrétiennes ne sont pas nécessairement plus progressistes. Selon la Bible, la première femme a été créée à partir d’une côte du premier homme. La « chute du paradis » a été la faute d’Eve, qui a entraîné Adam dans le péché. Lors des mariages orthodoxes les prêtres disent à la femme « d’avoir peur de l’homme ».
Jusqu’au XIXe siècle, dans les pays développés de l’Ouest, les rapports sexuels avant le mariage étaient défendus pour les femmes, les femmes devaient être couvertes jusqu’aux chevilles, les enfants conçus en dehors du mariage étaient stigmatisés, la propriété était héritée par le fils aîné et la femme n’avait pas le droit de demander le divorce.
Les différences entre « l’Est » et « l’Ouest » résultent du fait que l’Est est aujourd’hui moins développé économiquement que l’Ouest. Mais la raison n’est autre que l’exploitation de ces pays par les puissances impérialistes de l’Ouest au XIXe siècle comme au XXe siècle. Il ne s’agit pas ici d’un quelconque gouffre éternel entre civilisations « progressistes » et « réactionnaires » créé par la religion.
Des libertés religieuses
La concession des libertés religieuses aux musulmans va dépolariser les « différends religieux » et faciliter les luttes communes des travailleurs locaux et immigrés / réfugiés sur les problèmes que nous avons en commun et que nous devons affronter en commun : les mesures d’austérité barbares, la pauvreté et le chômage, les politiques des capitalistes et de leurs gouvernements.
C’est une grave erreur de manifester de l’indifférence pour ce qui a trait aux droits religieux des immigré·e·s et des réfugié·e·s en adoptant l’argument selon lequel les religions en général sont réactionnaires. C’est une erreur encore plus grave de soutenir les interdictions religieuses des gouvernements au nom du « progrès », comme une partie de la gauche est encline à le faire.
La défense des libertés religieuses des immigré·e·s et des réfugié·e·s crée la possibilité de former des relations spécifiques de confiance et facilite notre communication au sein du mouvement social et des salarié·e·s. Aujourd’hui, en particulier, au moment où leurs conditions de vie dans les camps de concentration sont déplorables, cette prise de position est plus nécessaire que jamais. Le « snobisme » ou le soutien à l’oppression religieuse dominante ne font que faciliter les ambassadeurs et les cliques religieuses réactionnaires d’agir au milieu des immigrés / réfugiés et de se présenter en tant que défenseurs de leurs droits. Aussi, ils renforcent parmi les immigrés / réfugiés l’opinion qu’ils n’ont pas seulement contre eux les gouvernements et les fascistes, mais toute la population locale. Cela crée ainsi une polarisation religieuse accentuée entre les exploité·e·s et les opprimé·e·s. (Article publié dans le bimensuel de DEA, le 9 août 2016, traduction Sotiris Siamandouras, édition A l’Encontre)
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