Grèce. Pour nos vies: «eux ou nous», «dans ou dehors de la zone euro»

Maria Bolari avec Manolis Glezos
Maria Bolari avec Manolis Glezos

Par Maria Bolari

Si la situation est difficile – et elle l’est – il n’y a pas de voie du côté de la «désobéissance flexible» [allusion à une formule du ministre des Finances Yanis Varoufakis]. Il n’y a qu’une seule orientation à défendre: prendre des mesures pour une redistribution de la richesse en faveur des pauvres et des salarié·e·s.

Lors de la réunion du Comité central (CC) de SYRIZA (les 28 février et 1er mars 2015; ce texte rapporte l’intervention de Maria Bolari lors de ce CC) a été mené un débat politique sérieux et se sont affrontés des points de vue opposés. Il est important de dire que les jours avant que le triomphalisme soit retombé – il a «atterri» avec le rapport introductif d’Alexis Tsipras lors du Comité central –beaucoup devenaient plus royalistes que le roi et tiraient sans réserve contre quiconque osait mettre par écrit ses désaccords avec l’orientation du gouvernement.

A cet égard, le quotidien Avgi (de SYRIZA) mérite des félicitations pour son initiative de publier une bande dessinée en faveur de Manolis Glezos [qui a affirmé sa profonde déception face aux accords avec l’Eurogroupe; voir sa déclaration sur ce site en date du 23 février 2015]. Selon moi, cette initiative éditoriale est d’une grande importance pour deux raisons: 1° déclarer «Je suis Charlie» est facile à dire, par contre le faire pratiquement est bien plus difficile; 2° parce que cela réaffirme dans nos débats à l’intérieur du parti la validité des règles morales et politiques qui devraient imprégner toutes nos controverses, aussi aiguës soient-elles.

Ceux qui nous ont déclaré – donc à ceux qui s’opposent à l’accord récent avec l’Eurogroupe ou même à la «liste des réformes de Varoufakis» pour la période allant jusqu’en juin – «qu’ils attendaient que le recul du gouvernement soit confirmé» sont injustes envers nous et envers eux-mêmes. Et cela pour la simple raison qu’après tant de batailles politiques et de mobilisations pour renverser les mémorandums imposant une sauvage austérité, après tant de batailles politiques et de mouvements pour mettre en place un gouvernement de gauche – avec ce que tout un chacun attendait comme actions d’un tel instrument – il est injuste et faux d’entendre des accusations qui ne valent que pour des ennemis de SYRIZA.

Plusieurs camarades soutiennent que, avec cet accord, nous avons laissé derrière nous l’e-mail de Gikas Hardouvelis [ministre des Finances du gouvernement Samaras du 10 juin 2014 à janvier 2015; il envoya un e-mail indiquant l’accord avec les nouvelles mesures de la troïka], que le gouvernement actuel de Tsipras est le premier qui n’a rien négocié en reculant. C’est une affirmation plus que faible qui ne peut convaincre «tout SYRIZA»

Parce que tout ce que la liste de Varoufakis mentionne ne relève pas de l’«ambiguïté créative» [une formule de ce dernier]. Dans le domaine de la législation du travail et des privatisations, les limites imposées sont étouffantes. Et cela prouve que la classe dirigeante – nationale et internationale – n’a pas reculé face à ses objectifs de «dévaluation interne» [baisse des salaires, des allocations sociales, hausses des impôts directs et indirects, etc.]. Pour eux, le paiement de la dette renvoie aux mémorandums et à une austérité exténuante.

En outre, ce qui a été convenu pour les banques ne marque pas simplement un repli par rapport à la décision de la conférence de SYRIZA (juillet 2013) concernant la propriété et le contrôle publics des banques. Cela, malheureusement, va encore plus loin. En effet, 11 milliards d’euros doivent être remboursés au Fonds européen de stabilité et 3 milliards doivent être retranchés de ce qui aurait dû servir à l’application des premières mesures annoncées à Thessalonique le 14 septembre 2014.

La vraie question était et demeure: à quoi nous préparons-nous? Je tiens à vous rappeler que tous nos projets reposaient sur la perspective d’une nécessaire interruption de ces extorsions. Et sur cela nous avons répondu de manière différente. Toutes nos décisions – lors du Congrès et plus tard dans le cadre du CC – ont abouti à un compromis interne fondé sur une hypothèse commune: les difficultés et les pressions seraient étouffantes. La différence se situait sur le «comment» et sur «quel point» nous «contre-attaquerons». Mais nous nous situions toujours dans un cadre d’une rupture (même «créative»)

Certains camarades ont dit que l’accord est similaire à celui de «Brest-Litovsk» de 1918 [1]. Ils falsifient l’histoire. Ils montrent qu’ils ignorent l’histoire des bolcheviks et de la Révolution d’Octobre. Ils oublient les circonstances de l’époque qui ont marqué de leur empreinte les décisions et les actions du gouvernement. Et cela va encore plus loin quand certains nous déclarent que les prises de position de «personnalités» du monde des finances comme K. Karamouzi, Tambakaki, Xristodoulaki, Katseli, etc. sont analogues à des positions prises par des personnages semblables lors de la mise en œuvre de la Nouvelle Politique économique (NEP) en URSS entre 1921-1925!

Dans la mesure où de nombreux camarades ont signalé les effets épuisants des extorsions liées à la dette et aux mémorandums, ils doivent choisir. Si la situation est si difficile (et elle l’est), l’option pour une «désobéissance flexible» (Varoufakis) n’est pas valable. Une orientation s’impose: de vastes mesures de redistribution en faveur des couches pauvres et des salarié·e·s. Dans ce sens, les premiers projets de loi et les résolutions (concernant la «crise humanitaire», la réouverture de l’ERT (radio-TV publique), l’arrêt des licences accordées pour l’exploitation de mines d’or dans la région des Skouries…) sont importants. Mais notre base sociale (notre «monde»), donc les classes laborieuses qui ont été soumises à une paupérisation violente, ont besoin, au moins, de mesures concrètes qui correspondent au programme de Thessalonique.

Tout aussi importantes sont les intentions du gouvernement pour lutter contre l’évasion fiscale, pour mettre en place des mécanismes d’investigation et de contrôle concernant les personnes qui figurent sur diverses listes [par exemple, la dite liste Lagarde des «exilés fiscaux», publiée en 2013, sur laquelle figurait le ministre des Finances: Georges Papaconstantinou], pour attaquer de front le monde des entreprises «travaillant au noir».Toutefois, il est nécessaire que soit présenté, au plus vite, devant le Parlement un projet de loi qui impose les firmes travaillant «au blanc», de sorte que le capital paie ce qu’il doit. De telles mesures ne se situent pas sur un terrain révolutionnaire, mais dans le cadre même du capitalisme.

Enfin – et c’est prioritaire – nous devons dire la vérité sur les marges de manœuvre que les «institutions» (BCE, UE, FMI) nous «laissent». Il faut le dire de manière simple et honnête. Mais il est clair que nous nous battons pour nos vies et qu’une guerre de classe brutale est menée. Elle s’articule autour du dilemme: «eux ou nous». Elle peut nous conduire face au dilemme «à l’intérieur ou en dehors de la zone euro». Il faut l’expliquer, afin de pouvoir mobiliser les ressources et les forces des masses laborieuses dans les entreprises, dans le secteur public (eau, gaz, électricité, etc.), dans les banques, dans les hôpitaux.

Ces jours-ci beaucoup, pour expliquer ce qui s’est passé, ont eu recours à des titres de chansons ou des films. Je vais choisir les titres d’une trilogie: «Les innocents et les coupables»; «Le droit est très difficile»; «Vous dites des mensonges».

Et je termine en disant: camarades, «coupables nous ne pouvons pas l’être». Nous devons admettre que le droit est difficile à obtenir et cela requiert des exigences élevées. Il ne nous est pas permis de mentir, cela ne correspond pas à nos valeurs. Nous ne pouvons mentir, ni à nous-mêmes, ni à notre parti, ni à notre peuple. (Traduction Antonis Martalis, édition A l’Encontre)

(Cet article est le discours de Maria Bolari lors de réunion du CC de SYRIZA; publié dans le quinzomadaire Labour left, numéro 331, de DEA; Maria Bolari est membre de SYRIZA; ex-député de SYRIZA pour la périphérie 1 d’Athènes et membre de DEA)

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[1] Traité signé, après des négociations commencées en fin 1917, en février 1918 entre la jeune et fragile «République russe bolchevique» et les empires centraux, placés sous la houlette du Reich allemand. De nombreuses concessions territoriales furent faites. Dès novembre 1918 – armistice du 11 novembre et éclatement de la révolution allemande – le traité fut dénoncé par le pouvoir soviétique. (Rédaction)

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