Royaume-Uni. Le Brexit, les nouveaux «Anglo-Européens» et le coup contre Corbyn

FaulknerPar Neil Faulkner

Il a fallu la poussée raciste du Brexit des Johnson, Gove (Michael Gove, secrétaire d’Etat à la Justice) et Nigel Farage (de l’UKIP) pour rendre l’Union européenne populaire. Quelque 50’000 personnes ont souhaité manifester jeudi soir (30 juin) jusqu’à ce que les organisateurs cèdent devant la pression de la police et décident d’annuler la manifestation. Malgré tout, quelques milliers de personnes étaient présentes.

Mais, le 2 juillet, au moins 50’000 personnes ont véritablement manifesté, défilant d’Hyde Park en direction du Parlement dans ce que l’on peut qualifier de démonstration colorée, pleine d’entrain et spontanée d’enthousiasme européen.

Les messages politiques étaient mêlés et calmes. Certains d’entre eux n’étaient rien d’autre qu’un soutien acritique de la structure de l’Union européenne telle qu’elle existe ou qu’une volonté d’acclamer des libéraux mornes tels que Tim Fallon [président du Parti libéral démocrate entre 2011 et 2015] et Bob Geldof [chanteur irlandais, actif entre autres dans une ONG qui affirme combattre l’extrême pauvreté en Afrique, ONE, fondée par le chanteur Bono]. Cette configuration est toutefois inévitable dès lors que la gauche laisse un vide – et la gauche était, de fait, presque entièrement absente. D’autres forces – en particulier de droite – rempliront cet espace et canaliseront le mouvement si elles le peuvent.

Mais, comme c’est le cas de tous les nouveaux mouvements, les messages politiques n’étaient pas uniformes et donc complexes et contradictoires. «Le désordre d’Eton!» a été lancé devant Downing Street [rue où réside, au numéro 10, le Premier ministre britannique]: un slogan qui manifeste une conscience de classe s’il en est [Eton est l’école où se reproduit socialement un grand nombre de membres des classes dominantes britanniques].

Des activistes qui distribuaient des pancartes sur lesquelles il était inscrit «En défense de la libre circulation» ont été bousculés par des jeunes qui voulaient en avoir une. Une jeune infirmière portait une pancarte qu’elle avait réalisée où était inscrit: «Les infirmières du NHS contre les mensonges du Brexit. Le NHS a besoin de l’UE» [le NHS est le système qui offre des soins à toute la population britannique, actuellement sous le coup de dures attaques; un slogan mensonger agité lors de la campagne prétendait que 350 millions de livres hebdomadaires «versées» à l’UE pourraient être «retournées» au NHS si la Grande-Bretagne quittait l’UE]. Jess Baker, un jeune de 22 ans, disait: «Nous voulons que la Grande-Bretagne s’oriente vers l’UE, se dirige vers l’extérieur et soit inclusive.»  

Plaçons cela dans un cadre plus large. Les statistiques du référendum sont les suivantes: 80% des électeurs du Parti écologiste (Green Party); 75% des jeunes; 75% des Noirs; 70% des musulmans; 65% des électeurs du Labour et le même nombre d’électeurs du Scottish National Party (SNP) ont voté Remain.

Je n’ai pas pu trouver de données pour soutenir cette affirmation, mais j’estime qu’entre deux tiers et trois quarts des syndiqués auront sans doute voté Remain. Voici les raisons: 10 dirigeants syndicaux nationaux avaient ce mot d’ordre de votation; le vote Remain des électeurs du Labour implique ce chiffre [le parti travailliste est historiquement une émanation des syndicats] et, enfin, le nombre de syndiqué·e·s est bien plus élevé parmi les travailleurs qualifiés du secteur public que parmi ceux du secteur privé. Les données montrent que 60% des personnes appartenant aux catégories ABC1 ont voté Remain contre 35% pour celles appartenant au C2DE [ces catégories ont été établies à l’origine par le National Readership Survey, elles sont désormais largement utilisées, entre autres par le marketing. Elles ont pour vocation de «situer» socialement les individus].

Nous disposons d’un autre indice, plus anecdotique, en la matière de la photo publiée en ligne par l’équipe de chirurgie de l’hôpital d’Homerton. La photo montre chaque membre de l’équipe portant une feuille sur laquelle est indiquée leur nationalité: un chirurgien britannique (pakistanais) aux côtés d’une technicienne en radiologie médicale irlandaise, un anesthésiste allemand, un urologue grec ainsi que deux infirmières et un infirmier espagnols.

Qu’est-ce que cela signifie? Il s’agit d’une «révolte populaire» contre la xénophobie, le racisme et le nationalisme: une opposition à l’étroitesse d’esprit, au passéisme, au fanatique dénigrement des victimes des rupins conservateurs. Il s’agit de l’affirmation d’une identité alternative, multiculturelle et internationale.

Dans le contexte immédiat du Brexit, cette révolte prend la forme de ce qui pourrait être décrit comme une identité «anglo-européenne». Celle-ci toutefois, en raison du racisme qui s’est exprimé contre les travailleurs migrants en provenance de pays de l’UE lors de la campagne référendaire, constitue une réaction politique dans le fond progressiste.

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En même temps, nous assistons à une autre montée politique en réponse à la tentative de coup montée par le New Labour contre la direction de Jeremy Corbyn du parti. Il semble qu’environ 60’000 personnes ont adhéré le Labour depuis que cette tentative a été déclenchée [préparée depuis longtemps, mais dont la première étape a été la démission d’un grand nombre de membres du cabinet fantôme travailliste suivie par un vote de défiance de près de 80% des député·e·s du Labour] et qu’à un moment donné 100 personnes rejoignaient toutes les heures Momentum [structure qui réunit et organise les sympathisant·e·s de Corbyn]. Des rassemblements en plein air de plusieurs milliers de personnes ainsi que des meetings qui réunissaient d’ordinaire à peine quelques individus en attirent désormais des centaines.

En dépit du baiser de la mort par lequel le Parliamentary Labour Party [PLP, soit la fraction parlementaire] a emprisonné Corbyn depuis son élection [à la tête du parti travailliste en septembre 2015], l’enthousiasme politique né de son opposition au statu quo néolibéral ne semble pas s’éteindre. Les «corbynistes», largement absents de la scène pendant plusieurs mois, sont de retour.

Ce coup fait, bien entendu, partie de la crise politique plus large – une véritable implosion du système politique [même Nigel Farage, dirigeant de l’UKIP, a démissionné, le 4 juillet, de la direction du parti] – engendrée par le vote du Brexit. Mais c’est plus que cela. La droite New Labour mine délibérément l’autorité de Corbyn depuis son élection, mettant en place un coup au ralenti depuis l’été dernier. L’enjeu porte bien plus loin que le seul Brexit.

Heidi Alexander, la secrétaire d’Etat à la santé du cabinet fantôme, a été la première à démissionner une fois qu’Hilary Benn [secrétaire à l’Environnement du cabinet fantôme, fils de Tony Benn, figure de la gauche travailliste décédé en 2014] a été viré. Elle a soutenu publiquement que sa position sur les questions de santé a été «minée» par des «réunions secrètes» d’un groupe de conseil mis en place par John McDonnell, le chancelier [«ministre des finances»] du cabinet fantôme.

Parler de «réunions secrètes» est un peu gros de la part d’Alexander. Elle est, comme la plupart des député·e·s travaillistes, une partisane de la privatisation secrète du NHS à l’œuvre – dans le dos du peuple britannique, sans avoir reçu un quelconque mandat démocratique et en opposition au souhait de 85% de l’électorat – depuis une génération. Ce n’est que la semaine dernière qu’elle était présente sur la plateforme d’une importante conférence sur la privatisation du NHS qui s’est tenue à l’Excel Centre et à laquelle a participé une cohorte d’entreprises privées actives dans le domaine de la santé. Elle n’est donc pas bienvenue à des réunions de socialistes rassemblés pour débattre des pistes à suivre pour sauver le NHS.

Que l’on ne s’y trompe pas: la lutte qui se déroule au sein du Labour Party a pour objectif de savoir si l’entier du programme de la puissance croissante des entreprises et le siphonage des richesses en direction de l’avarice grotesque du 1% ne connaîtront plus d’entraves. Corbyn est le coucou socialiste dans le nid néolibéral. Tout le monde veut s’en débarrasser: les escrocs du New Labour, les Tories, la chambre d’échos des médias, les banquiers dans les coulisses.

Les questions affluent. La montée de l’opposition au Brexit – spontanée, hétérogène, dépourvue de clarté politique, ne disposant pas d’un véritable chemin où se diriger, risquant d’être déraillée par les intérêts néolibéraux – va-t-elle se cristalliser en un mouvement plus solidement antiraciste, opposé au patronat et aux élites? Quelle relation existe entre la jeunesse anti-Brexit et les partisans de Corbyn? Comment la gauche doit-elle répondre à la marée de racisme lâchée par le vote sur le Brexit?

Une chose est claire: nous devons rester unifiés. Des dizaines de milliers de personnes sont dans les rues, revendiquant la libre circulation et rejetant le nationalisme. Des dizaines de milliers d’autres se réunissent dans des meetings pour défendre une politique alternative à l’austérité et aux privatisations. Ces deux vagues sont liées. Il suffit d’observer la photo de l’équipe chirurgicale de l’hôpital d’Homerton.

Je répète donc ce que j’ai écrit dans mon article précédent. Des mouvements de masse contre le racisme liés à des mouvements contre l’austérité et la privatisation sont nécessaires. Rappelons les trois dates qui, dans l’immédiat, vont dans ce sens:

– La manifestation du 9 juillet Rise Up For Europe en défense de la libre circulation et des migrants appelée par Another Europe is Possible.

– Le 14 juillet, lorsque les travailleurs de la santé, soutenus par d’autres syndicalistes et des activistes de la gauche radicale, bloqueront la rue pour protester contre la privatisation du NHS.

– Le 16 juillet, lors de la manifestation contre l’austérité et le racisme appelée par la People’s Assembly. (Article publié le 3 juillet sur le site LeftUnit.org, traduction A l’Encontre)

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