Entretien avec Keith Dixon
conduit par Cordélia Bonal
Keith Dixon est professeur honoraire de civilisation britannique à l’Université Lyon-II. Il dirige aussi la collection Bibliothèque écossaise des Editions Métailié. Il analyse la victoire du non ce matin – 19 septembre – au référendum écossais et les conséquences pour le camp indépendantiste. Sur la question de «l’indépendance de l’Ecosse», se rapporter à l’entretien avec de Neil Davidson et à un de ses articles, publiés sur ce site les 2 et 17 septembre 2014. Consulter en fin d’entretien les ouvrages de Keith Dixon publiés en français. (Rédaction A l’Encontre)
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55% de non contre 45% de oui: le résultat est finalement bien plus tranché que n’ont pu le laisser croire certains sondages ces dernières semaines. Le non a-t-il bénéficié d’un effet de peur?
Je ne suis pas très surpris par la victoire du non, mais je le suis par l’écart de dix points. L’effet de retournement vers le non peut en effet s’expliquer par les peurs agitées ces dernières semaines. De fait, la campagne négative du non, qui a joué sur une rhétorique catastrophiste critiquée à l’intérieur même du camp des unionistes, semble avoir payé. Mais ce qui me semble remarquable, c’est la progression du oui tout au long de la campagne. Au départ, le oui n’était qu’à 25,30% Il est aujourd’hui à 45%. Le oui a fait un saut qualitatif et quantitatif.
David Cameron s’est engagé à accorder plus de pouvoirs à l’Ecosse. Le camp du oui a-t-il tout de même, d’une certaine manière, gagné?
Quoi qu’il arrive, étant donné la force du oui, il va y avoir des concessions pour l’Ecosse. Cameron, qui s’était toujours opposé à la «devolution max» (davantage de pouvoirs pour le Parlement semi-autonome écossais, notamment en matière de fiscalité), a cédé dans la panique. N’oublions pas qu’au départ c’était le but des indépendantistes, qui avaient proposé une question non pas double (oui ou non à l’indépendance) mais triple, avec une question sur la devolution max. David Cameron, sûr de gagner, avait refusé. Il est aujourd’hui obligé de faire des concessions, sous peine d’un retour de bâton. Donc oui, d’une certaine manière les indépendantistes ont gagné.
Bien sûr, dans un premier temps, il va d’avoir y avoir une phase de dépression, d’abattement, à la mesure de l’enthousiasme de cette campagne qui a été très dynamique. Après le premier référendum écossais en 1979, perdu à cause d’une mesure sur le nombre de votants requis, le camp indépendantiste s’était retrouvé durablement plombé. Mais ceux qui se réjouissent du non aujourd’hui devraient regarder l’histoire : lors du référendum suivant, en 1997, qui a mené à la création du Parlement semi-autonome, les Ecossais se sont massivement prononcés pour l’autonomie.
Le projet indépendantiste n’est-il pas hors jeu pour un long moment?
Alex Salmond [Premier ministre d’Ecosse] l’a dit lui-même, c’est un «vote pour une génération». L’indépendance, c’est un processus – «a process, not an event», disent les Anglais. Ce que je retiens, c’est la tendance sur le moyen terme. Un fort courant en faveur de l’indépendance a émergé et on ne pourra pas ne pas tenir compte de cette grosse minorité. De nombreuses voix se sont fait entendre, y compris chez les intellectuels, les créateurs, les romanciers, qui n’avaient pas la fibre souverainiste, mais qui appellent à un nouveau modèle économique et social, à en finir avec la chape de plomb néolibérale britannique. Cela va compter.
On va avoir une reconfiguration de la scène politique écossaise. L’argument politique ne l’a pas emporté, mais l’argument intellectuel en faveur de l’indépendance est gagné. Par ailleurs, avec l’octroi à venir de nouveaux pouvoirs, l’Ecosse avance dans le processus de l’indépendance. Quand vous avez un Parlement déjà pourvu de la plupart des pouvoirs, l’indépendance n’apparaît plus comme un saut dans l’inconnu. Un nouveau référendum n’est pas pour demain, mais la tendance de fond y mène.
La société écossaise va-t-elle sortir durablement divisée par cette campagne ?
Le camp du non a beaucoup dramatisé les tensions, mais je ne crois pas qu’il y ait de vraie fracture. On va avoir quelques malaises dans les familles divisées – c’est le cas de ma famille! –, mais on n’est pas dans des tensions violentes. On voit plus de bagarres lors des matchs de foot qu’il n’y en a eu dans cette campagne !
Les transferts de pouvoirs annoncés pour l’Ecosse vont-ils profiter au reste du Royaume-Uni?
Pour le Pays de Galles, très certainement. En 1997, les pouvoirs accordés à l’Ecosse avaient introduit une dissymétrie. La devolution a été inégale et, depuis, les Gallois ne cessent de demander plus de pouvoirs pour se rapprocher du modèle écossais. On devrait avoir aujourd’hui le même mécanisme. Pour les régions anglaises en revanche, les effets induits sont moins sûrs. Le risque, c’est que le camp conservateur à Londres, considérant qu’il a gagné, réagisse contre l’octroi de nouveaux pouvoirs.
Comment ressort Cameron de la bataille?
A court terme, aux yeux de ses électeurs, il a gagné. Il a évité l’indépendance, il a gagné son pari. Mais il va devoir faire de fortes concessions et son camp va lui reprocher d’avoir trop promis. Les travaillistes de leur côté risquent d’avoir des difficultés. Ils vont devoir gérer la division entre les unionistes et ceux qui envisagent l’indépendance.
Et Alex Salmond, le Premier ministre écossais?
D’un point de vue politique il ressort renforcé. Certes, il a perdu son pari, mais il gagne des pouvoirs au Parlement écossais, qu’il domine, ce qui était l’objectif initial. (Publié par le quotidien Libération, le 19 septembre 2014)
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Keith Dixon est l’auteur en langue française de: Les évangélistes du marché. Les intellectuels britanniques et le néolibéralisme, Ed. Liber, collection Raison d’agir, 2008; L’autonomie écossaise, Ed. ELLUG, 2001; Un digne héritier. Blair et le thachérisme, Ed. Liber, col. Raisons d’agir, 2000 ; Un abécédaire du blairisme.
Pour une critique du néolibéralisme guerrier, Editions du Croquant, 2005.
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