La présidence jupitérienne d’Emmanuel Macron occupe le terrain médiatique et politique en imposant – au travers d’une dite concertation – une loi El Khomri XXL (Loi travail).
• La ministre du Travail, Muriel Pénicaud, a du métier. A l’époque du gouvernement d’Edith Cresson (mai 1991-avril 1992), sous la présidence Mitterrand, Muriel Pénicaud conseillait Martine Aubry, ministre du Travail et de l’Emploi de 1991 à 1993, avant d’occuper le poste de N° 2 de 1997 à 2000, sous Lionel Jospin. Autrement dit «le monde» syndical, elle connaît.
Les entreprises privées de même: elle est de mèche avec le patron de Danone, Franck Riboud, passe chez Dassault Systèmes – la crème de la modélisation, entre autres dans l’armement –, puis revient chez Danone. Un pied dans le public et un dans le privé: donc une icône de la «société civile». Plus simplement il s’agit de non-professionnels de parti qui ont baigné et baignent directement dans le monde de l’entreprise dont la maxime «l’efficacité» est l’efficacité. Ces derniers représentent le vecteur pratique à l’instauration de la gouvernance, c’est-à-dire une gestion entrepreneuriale d’une grande partie du champ étatique.
• La participation de la future ministre du Travail au Conseil économique, social et environnemental, présidé par Patrick Bernasconi (secteur de la construction, membre du Medef) a densifié son réseau. D’autant plus qu’elle fut, depuis 2014, à la direction de Business France – qui dépendait de ministère de Macron, sous Hollande – spécialisée dans la promotion des exportations françaises. Et de même de la «hausse de la rémunération» de sa directrice. Il faut savoir se concerter et se contenter. Muriel Pénicaud a organisé la French Tech Night à Las Vegas, en janvier 2016. Une soirée à 300’000 euros éclairée par la présence du candidat Macron et mettant en lumière les liaisons de travail de la futures ministre: du directeur de la SNCF, Guillaume Pépy – dit Pépoui depuis la récente régénération des TGV en InOui –, au patron de Solvay en passant par celui d’Havas.
• Avec le team Macron-Philippe-Pénicaud la «concertation» est bien partie, avant les législatives. Pourquoi attendre. Un deuxième tour des législatives – simultanément à «une co-construction» (sic) d’un nouveau «droit du travail» – ne pourrait-il pas alléger la peine d’un «troisième tour social? La politique du clan privé-public Macron consiste à maîtriser au maximum l’agenda et sa pendule sur une question décisive en France: le Code du travail et la Sécurité sociale.
• Dans ce dossier, nous reproduisons, tout d’abord, un extrait d’un article du Figaro du 7 juin 2017 et un éditorial des Echos. Ces quotidiens ne se trompent pas sur la destination que veut emprunter la draisienne Medef-Macron.
Puis, nos lectrices et lecteurs pourront prendre connaissance d’une analyse à chaud faite par le site Mediapart, le 6 juin 2017. Et prendre connaissance d’un communiqué de l’Union syndicale Solidaires, datant du 31 mai. Enfin, nous publions un article de l’ancien inspecteur du travail, Gérard Filoche, qui anime le courant Démocratie&Socialisme. En guise de réponse, il souligne les 10 points qui doivent constituer l’axe d’une mobilisation la plus large possible pour un vrai Code du travail. Et ceci pour éviter de tomber dans le piège des «modalités» de la «concertation» et mettre entre parenthèses ce qui constitue le contenu effectif des besoins et droits des salarié·e·s face à un système qui efface l’asymétrie complète des rapports entre Travail et Capital, ce qui tisse largement les conditions de vie de l’ensemble du prolétariat. Faut-il rappeler cette évidence déjà formulée par Marx, en 1847, dans Travail salarié et capital: «Quand on dit: les intérêts du capital et les intérêts des salariés sont les mêmes, cela signifie seulement que le capital et le travail salarié sont deux aspects d’un seul et même rapport […]. Tant que l’ouvrier est salarié, son sort dépend du capital. Telle est la communauté d’intérêts tant vantée de l’ouvrier et du capitaliste.» (Rédaction A l’Encontre)
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«La réforme du Code du travail sera bien bouclée
avant la fin de l’été»
Le Figaro du 7 juin 2017 annonçait la couleur: «Le gouvernement d’Edouard Philippe n’a pas l’intention de ralentir la cadence: la réforme du Code du travail sera bien bouclée avant la fin de l’été. Le projet de loi d’habilitation pour légiférer par ordonnances sera à l’ordre du jour du Conseil des ministres le 28 juin avant d’être voté durant l’été par le Parlement et publiées avant le 21 septembre. «J’entends certains parler de guerre sociale (…). La seule guerre sociale que je conduirai, c’est celle de la lutte contre le chômage de masse, celui des jeunes, et pour le pouvoir d’achat», a répliqué le premier ministre mardi 6 juin, lors de la présentation du programme de travail visant à rénover le modèle social qu’il avait préalablement transmis aux partenaires sociaux.
Et pour ménager les syndicats, le chef du gouvernement a insisté à plusieurs reprises sur un point qu’il juge fondamental, pour couper court à toute accusation de vouloir passer en force: une concertation «approfondie» sera menée tout au long de l’été, avec «respect» des différents interlocuteurs. Pas moins de 48 réunions sont ainsi prévues jusqu’au 21 juillet et la discussion se poursuivra d’août à début septembre. «Agir par l’instrument des ordonnances, ce n’est pas renoncer à la discussion», a martelé le premier ministre, conscient que l’été s’annonce intense.
Concrètement, ces ordonnances se diviseront en trois blocs
• Le premier, sur la sécurisation juridique des relations de travail, sera certainement le plus difficile à négocier. Et pour cause. Il inclut un plafonnement (et un plancher) des dommages et intérêts que les salariés peuvent réclamer devant les prud’hommes en cas de licenciement abusif. L’objectif est connu: mettre un terme à la crainte à l’embauche des petits patrons en raison d’un système de pénalités imprévisible. Même si un barème indicatif est en place depuis la loi El Khomri, les juges auront moins de latitude pour définir les montants en cas de licenciement jugé sans cause réelle et sérieuse. «Il n’est pas normal, pas juste, pas sain qu’un même fait puisse donner lieu à des dommages et intérêts allant du simple au triple sur le territoire», a rappelé Muriel Pénicaud, la ministre du Travail.
• Egalement controversé, le deuxième volet de la réforme vise la décentralisation des négociations au niveau de l’entreprise. La tâche s’annonce fastidieuse. Le gouvernement entend en effet trouver la meilleure articulation entre l’accord de branche et celui d’entreprise pour chaque domaine. «Ce n’est pas un projet antibranche», a certifié Muriel Pénicaud, pour rassurer les syndicats qui voient d’un mauvais œil cette mesure. Ils s’y étaient farouchement opposés lors de la réforme conduite par Myriam El Khomri. «Nous aurons une approche très pragmatique: l’entreprise est le lieu le plus adapté aux compromis dans le quotidien de l’entreprise, mais dans le respect de la loi et de la branche», a nuancé la ministre.
• Enfin, le renforcement et la simplification du dialogue social au sein des entreprises, jugé trop «complexe», est le troisième volet de la réforme à venir. Sur ce terrain, le gouvernement entend fusionner «au moins» trois des quatre instances de représentation du personnel (IRP). A savoir, le comité d’entreprise (CE), le comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT), les délégués du personnel (DP). Car, aujourd’hui, «notre pays est le seul à morceler la représentation des salariés», ce qui «ne favorise ni la qualité du dialogue social, qui est éclaté et alourdi, ni la capacité d’influence des représentants des salariés», juge le gouvernement dans son programme de travail.»
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«Un monde sans clivage»
L’éditorialiste des Echos (6 juin 2017), Cécile Cornudet, nous décrit un paysage politique et social français qui a pris des couleurs quasi helvétiques: «Un monde sans clivage»:
«Celui qui a eu raison contre un mur de sceptiques n’est plus jamais écouté de la même façon. Emmanuel Macron le sait. Son «et gauche et droite» a fait longtemps sourire avant de lui ouvrir les portes de l’Elysée. A l’heure de lancer la réforme réputée difficile du Code du travail, il décline la recette au champ social. «Et entreprises et salariés», fixent Edouard Philippe et Muriel Pénicaud, son Premier ministre et sa ministre du Travail; et négociations de branches et d’entreprises; et rapidité et concertation; et verticalité et respect des syndicats; et adaptation et protection… La «bienveillance» a une infinité de variations, Emmanuel Macron les joue toutes. «Notre seule guerre sociale est contre le chômage», insiste Edouard Philippe. L’exécutif est un effaceur de clivages.
Faire sans défaire
Il a surtout retenu les leçons du passé. Pour faire passer sa réforme, il veut l’onction des urnes. Pour éviter qu’elle ne lui fasse perdre des sièges, il sait qu’il doit rassurer. Faire (satisfaire à droite) sans défaire (rassurer à gauche), il cherche le bon curseur. Cette recherche lui permet au passage d’inscrire la future réforme dans une «vision», qui avait cruellement fait défaut au moment de la loi El Khomri. Il s’agit non pas de casser le modèle social mais de le moderniser, explique le gouvernement. Il s’agit non pas de répondre à une revendication patronale, mais d’inscrire le Code du travail dans un chemin de réformes marquées du sceau de la «modernisation» et de la «justice»: formation, assurance chômage, retraites. L’ambition qui la sous-tend a de quoi faire autant rêver les Français que la disparition en cours des partis traditionnels. Peut-on dépasser cette conflictualité si française qui mine, bloque, et paralyse? Oui, promet ainsi Emmanuel Macron. La lutte des classes n’est pas une fatalité. Et si par malheur elle l’est, il n’est pas interdit d’être habile. Les syndicats ont eu de la voix lors de la loi El Khomri parce que la crise politique grondait. A partir de maintenant, Emmanuel Macron déclenche ou non un cercle qui sera vertueux pour sa réforme. Plus sa majorité politique sera large à l’Assemblée, et plus il sera difficile pour les organisations syndicales de s’opposer à lui. C’est donc maintenant que l’essentiel se joue. Maintenant qu’il faut «et» enthousiasmer «et» rassurer. Il sera bien temps ensuite de voir si ce ne sont que des mots.»
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Dans Médiapart, Dan Israel et Manuel Jardinaud analysent
la «rénovation» du droit du travail par le gouvernement
«Ça reste du blabla» Pour l’heure, le gouvernement prend grand soin de mettre en scène sa volonté de dialogue. «La seule guerre sociale que je conduirai, c’est la lutte contre le chômage de masse, contre le chômage des jeunes», a déclaré Édouard Philippe, affirmant présenter «un programme de travail», « pas un point d’arrivée, mais le début d’un processus». «La concertation va être intense», a renchéri Muriel Pénicaud. Mais pour pouvoir discuter, encore faut-il avoir matière à des échanges constructifs. Ce n’est aujourd’hui pas le cas.
Les cinq pages présentées par le gouvernement et leur mise en lumière publique n’ont pas vraiment permis de dépasser le stade des généralités, déjà développées tout au long de la campagne d’Emmanuel Macron. Le document distribué aux syndicats promet ainsi de «libérer l’énergie des entreprises et des actifs tout en donnant de nouveaux moyens concrets à chacun de trouver sa place sur le marché du travail et de construire son parcours professionnel». Certes, mais encore? En vérité, le public n’est guère plus avancé aujourd’hui qu’il y a plus d’un mois, lorsque Mediapart faisait la liste des flous et des ambiguïtés de Macron sur sa vision des questions sociales.
Et pourtant, pendant quinze jours, les échanges n’ont pas cessé entre les acteurs du dialogue social. Du 23 mai au 2 juin, Emmanuel Macron puis sa ministre du travail ont rencontré les leaders syndicaux et patronaux. Sur la forme, on a noté une satisfaction certaine quant au ton courtois employé et aux marques d’attention déployées. Mais sur le fond, au terme de cette séquence, chacun est resté sur sa faim. « Nous n’avons rien de concret, se plaignait la semaine passée un syndicaliste haut placé. Avec le premier ministre, les échanges sont stratosphériques.» Pour cet habitué des rounds de négociation, la méthode mise en place par le président de la République tient avant tout de la communication: «Sous Sarkozy et Hollande, quand on discutait, on allait sur une ligne claire. Là, c’est du blabla. Du blabla du haut niveau, du blabla d’expert, mais ça reste du blabla.»
C’est seulement à partir des jours à venir que le fond des réformes va vraiment être abordé. « On va commencer à travailler sérieusement. Cela va être court et dense», anticipe le représentant d’une délégation syndicale. Et il y aura matière à échanges, tant les thèmes de réforme chers à Emmanuel Macron sont sources de conflits. Pour commencer, les dissensions sont fortes autour de la délicate articulation entre la loi, qui prévaut pour tous, et les accords d’entreprise et de branche, qui ne s’appliquent qu’à une partie des salariés. «L’entreprise est le lieu où la création de la norme sociale permet de répondre de manière pertinente aux besoins spécifiques des salariés et des entreprises, en construisant le meilleur compromis au plus près du terrain», assure la lettre de cadrage.
Au ministère du travail, on assure vouloir éviter toute guerre de religion et être juste pragmatique. L’idée est de regarder, point par point, quels sujets doivent continuer à être régulés par la branche et lesquels peuvent faire l’objet d’une négociation au sein de l’entreprise où perdurera l’accord majoritaire. À chaque organisation d’apporter ses propositions et ses pistes de réflexion.
Du côté des représentants des salariés, cette option n’est véritablement soutenue que par la CFDT. Et elle est également loin d’être partagée par tout le patronat. Les représentants des PME, et notamment le président de la CPME François Asselin, s’alarment par exemple d’une possible distorsion de concurrence: si les grandes entreprises pourraient parvenir à arracher des concessions à leurs syndicats maison, après de longues discussions, quid des petites entreprises, qui n’ont ni le temps, ni les moyens, d’engager un bras de fer syndical?
L’inverse est également vrai. A titre d’exemple, le ministère du travail laisse filtrer que les primes négociées par branche, compléments de salaires indispensables pour de nombreux salariés, pourraient désormais relever de la négociation au sein de l’entreprise. Adieu, prime de vacances pour certains ou complément de salaire pour ancienneté pour d’autres, alors qu’aujourd’hui les entreprises d’un même secteur sont tenues de verser ces sommes identiques à leurs employés, comme la prime de panier dans celles du bâtiment. pour les PME. Pourtant, cela risque de créer du dumping social au sein d’un même secteur, avec la disparition d’un socle commun entre petites entreprises pour ces compléments salariaux, ou d’accroître les moyens de pression des donneurs d’ordre sur leurs sous-traitants. Avec une telle réforme, ils pourraient ainsi les inciter à baisser leur masse salariale pour être plus compétitifs… Risque qu’accepte de prendre l’exécutif. Car au moins, assure-t-on dans l’entourage de Muriel Pénicaud, les futures ordonnances ne toucheront pas aux salaires minimums de branche ni aux classifications des métiers.
Quant à la fusion des instances représentatives du personnel, c’est un vieux serpent de mer, réclamé depuis des années par le Medef. «Notre pays est le seul à morceler la représentation des salariés en quatre instances différentes dans l’entreprise (délégués du personnel, comité d’entreprise, comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail, délégués syndicaux), explique le document présenté aujourd’hui. Cela ne favorise ni la qualité du dialogue social, qui est éclaté et alourdi, ni la capacité d’influence des représentants des salariés, qui se spécialisent sur certaines questions mais sont privés de la vision d’ensemble.»
Pourtant, la réforme désirée a déjà été largement mise en œuvre par la loi Rebsamen d’août 2015. Aujourd’hui, les entreprises de moins de 300 salariés peuvent mettre en place une «délégation unique du personnel» sur simple initiative de l’employeur, qui aboutit en pratique à une diminution du nombre de représentants du personnel et une réduction de leurs moyens. Mais dans les plus grosses entreprises, il faut un accord des syndicats majoritaires, et c’est ce qui dérange apparemment le patronat et le gouvernement.
Le barème prud’homal, mesure clivante de la réforme
Enfin, reste un gros morceau, celui du barème des indemnités prud’homales. C’est une des idées fortes d’Emmanuel Macron. En 2015, quand il était ministre de l’économie, il avait imposé dans la loi portant son nom le plafonnement des indemnités versées en cas de condamnation pour licenciement abusif. Mais il s’était fait retoquer par le Conseil constitutionnel, car le dispositif prévoyait un montant différent selon la taille de l’entreprise.
Début 2016, il avait ensuite tenté de faire revenir le dispositif par le biais de la loi El Khomri, avant que François Hollande, dans un geste d’apaisement en direction des syndicats, ne se contente d’un barème indicatif. Ce barème n’est finalement entré en vigueur que fin novembre, et il est aujourd’hui impossible d’en évaluer l’impact. Une impossibilité assumée par le ministère du travail, qui vante ce système à l’œuvre dans les pays du nord de l’Europe sans que cela ne pose le moindre problème selon lui.
Rue de Grenelle, on explique que ces éléments de pouvoirs d’achat sont trop souvent pensés par et pour les grandes entreprises. D’où cette indispensable mesure de flexibilité
Pourtant, tous les syndicats sont vent debout contre cette mesure. «Nous, nous étions opposés pendant la loi El Khomri, et nous sommes toujours opposés par principe, parce que nous voulons la réparation intégrale du préjudice subi par le salarié en cas de licenciement abusif», déclarait encore mardi matin le secrétaire général de la CFDT Laurent Berger. Les représentants des salariés contestent la philosophie proposée, qui entend écrire noir sur blanc combien coûterait la violation du droit du travail que représente un licenciement abusif.
Le gouvernement ne cache pour autant pas son but: mettre un terme à «la crainte de l’embauche», qui serait grande dans les PME, où «le potentiel de création d’emplois est immense». Le gouvernement tente de déminer le terrain en assurant que seuls les dommages et intérêts, et non les indemnités, seront soumis à ce barème. Et que les cas de discrimination et de harcèlement en seront exclus, comme c’est déjà le cas pour le barème indicatif. Pas sûr que cela suffise à calmer la colère des organisations syndicales sur le sujet.
Des discussions à venir dans les six prochaines semaines dépendra, en grande partie, le climat social qui prévaudra en France durant les mois à venir. La CGT a d’ores et déjà commencé à montrer les muscles. «On a demandé à nos militants d’aller à la rencontre des salariés pour transmettre nos mises en garde sur la politique du gouvernement», dit Fabrice Angeï. L’objectif, dès cette semaine: prendre le pouls dans les entreprises et, pourquoi pas, préparer une riposte autre que médiatique. Les syndicats non représentatifs, comme Solidaires, ne cachent pas depuis plusieurs semaines leur volonté de riposter directement dans la rue.
Le gouvernement a, quant à lui, fait savoir que le bras de fer ne l’inquiétait pas. «On n’a pas le droit de bloquer la France quand on n’est pas d’accord avec telle ou telle mesure, surtout quand elle était au cœur du projet présidentiel d’Emmanuel Macron», a d’emblée averti Christophe Castaner, le porte-parole du gouvernement, le 23 mai.
Ce mardi, Edouard Philippe a employé des mots plus courtois, mais n’a pas dit autre chose: «Les sujets sont sur la table. Nous ne serons pas d’accord sur tout, mais avançons avec respect, en prenant nos responsabilités.» Nul doute que le résultat des élections législatives, les 11 et 18 juin, permettra à Emmanuel Macron et ses troupes d’évaluer précisément jusqu’où ils se sentiront libres d’avancer. (6 juin 2017)
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Code du travail: la mobilisation est urgente!
Communiqué de l’Union syndicale Solidaires
Le mardi 30 mai, le Premier ministre (Edouard Philippe) et la ministre du Travail (Muriel Pénicaud, ancienne DRH de Danone, Dassault) ont reçu l’Union syndicale Solidaires pour «une réunion de travail autour du Dialogue Social». Nos interlocuteurs nous ont, sans surprise, rappelé leur feuille de route, le projet présidentiel avec notamment, selon eux, trois points urgents à régler: le niveau des négociations avec le renforcement des accords d’entreprises, la fusion des Instances représentatives du personnel et le plafonnement des indemnités prud’homales aux salarié·e·s en cas de licenciement abusif/sans cause, sans pour autant nous préciser ni le calendrier, ni la forme des discussions à venir.
L’Union syndicale Solidaires a souligné que l’ensemble de ces dispositions n’étaient que la poursuite et l’aggravation des lois Macron, Rebsamen (PS) et El Khomri (PS) adoptées sous le précédent quinquennat (Hollande) et que nous avions combattues. Pour nous, ces projets sont dans la continuité de l’ensemble des politiques libérales de déréglementation menées depuis des années au seul profit du patronat et sans la moindre contrepartie pour les salarié·e·s, que ce soit en termes d’emplois, de conditions de travail ou de salaires. Nous avons demandé qu’un bilan contradictoire de ces lois en matière de progrès pour les salarié·e·s soit effectué avant toute décision.
Solidaires a remis à cette occasion au gouvernement son cahier revendicatif contenant de nombreuses propositions pour l’emploi, les salaires, la santé et les conditions de travail, la protection sociale, l’égalité entre les femmes et les hommes, les services publics, l’immigration, l’écologie et contre les discriminations. Pour nous, la réponse à la crise sociale, politique, économique et écologique que traverse notre pays demande d’autres mesures qu’une nouvelle attaque contre les droits des salarié-es. Elle passe notamment par la réduction du temps de travail, l’abrogation de la loi travail, un nouveau statut des salarié-es, une égalité réelle notamment des salaires, etc. Nous avons aussi porté nos revendications sur la pénibilité, sans réponse de nos interlocuteurs alors même que quelques heures plus tard, le premier ministre suspendait le compte pénibilité.
Nous avons enfin exigé une loi d’amnistie pour l’ensemble des militant·e·s du mouvement social poursuivi·e·s pour leurs actions militantes sous les précédents quinquennats.
Pour Solidaires, il est urgent que les organisations syndicales se réunissent et proposent rapidement des dates et un cadre de mobilisation. Puisque le gouvernement veut aller vite, la responsabilité du mouvement social face à cette marche forcée est aussi d’agir sans attendre pour imposer un projet de transformation sociale et de progrès. Nous travaillons sans tarder sur cet objectif. (Paris, 31 mai 2017)
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Non aux ordonnances Macron. Oui à 10 améliorations
du Code du travail
Par Gérard Filoche
Le code du travail n’est pas trop gros (675 pages de lois) et il était lisible, avant la Loi El Khomri. On doit rétablir la prééminence de la loi de la République, l’état de droit dans l’entreprise, l’ordre public social.
C’est très simple. Cela signifie réaffirmer que les droits de la femme et de l’homme au travail doivent l’emporter sur les besoins de l’entreprise et non pas l’inverse.
Le droit du travail se conçoit comme un droit universel, planétaire, relevant de l’OIT (Organisation internationale du travail), de ses principes et de ses conventions, il est attaché aux humains, pas à chaque entreprise. Le droit du travail doit devenir constitutif du droit de la concurrence.
Cela signifie la réaffirmation du principe de faveur: «entre plusieurs textes de lois, conventions ou contrats, c’est le plus favorable aux salariés qui l’emporte».
Par ailleurs en le réécrivant, le code du travail doit être amélioré autour de 10 priorités «pour travailler mieux, moins, tous et gagner plus»
1. Réduire les durées légale et maximum du travail
• Retour à 35 heures légales, 44 heures maxima et 2 jours de repos consécutifs par semaine. Il faut d’urgence ramener la durée réelle de la semaine de travail au plus près de la durée légale de 35 heures. Et passer aux 32 heures rapidement et par la loi sinon ça ne se fait pas. On fait 41 heures en moyenne en 2015 et il existe un milliard d’heures supplémentaires dissimulées soit l’équivalent de 600 000 emplois: elles seront contrôlées, sanctionnées, et la directive européenne «travailleurs détachés» sera immédiatement dénoncée.
• Le «temps de travail effectif» sera défini comme le «temps où le salarié est subordonné à l’employeur». Il intégrera les pauses forcées, temps de trajets imposés, d’habillage obligatoire et de casse-croûte indispensables sur le lieu de travail en journée continue. Les heures supplémentaires doivent redevenir «ponctuelles et imprévisibles», donc exceptionnelles (accord signé par le patronat le 31 octobre 1995). Elles doivent être majorées de 50% pour les 5 premières heures et de 100% pour les suivantes afin de les rendre plus coûteuses que l’embauche.
• Le contingent annuel d’heures supplémentaires doit revenir à 100 heures. La durée légale annuelle sera rétablie à 1600 heures, le “forfait jour” sera abrogé, le temps de repos (ou de déconnexion) quotidien obligatoire porté à 13 heures et à 48 heures hebdomadaires. Le temps de travail effectif sera comptabilisé de façon fiable et transparente, contrôlable par les salariés, les syndicats et l’inspection du travail.
• Les sanctions aux délits de «travail dissimulé» seront majorées et appliquées.
• Nous rétablirons, sauf cas de force majeure, les deux jours de repos consécutifs hebdomadaires et le principe du repos dominical sera renforcé – sauf cas de force majeure. En cas de dérogation exceptionnelle et impérative, il sera attribué une majoration minima de 100% ainsi que pour le travail de nuit, afin d’en rendre l’usage dissuasif pour les femmes et les hommes. De manière générale, les travaux du dimanche et de nuit et postés seront soumis à dérogation et à contrôle: l’interdiction aux mineurs sera rétablie.
• C’est le socle préalable pour poursuivre la baisse du temps de travail en lien avec la santé des salariés et avec l’emploi de tous.
2. Empêcher la précarité
• La loi fixera un quota maximal d’intérimaires et de contrats à durée déterminée, un plafond de précaires autorisés, égal à 5% des effectifs dans les entreprises de plus de 20 salariés, sauf dérogation préalable pour cause exceptionnelle. La loi augmentera l’indemnité de précarité pour la rendre dissuasive: à 25%, pour les CDD (Contrat à durée déterminée) et l’intérim.
• L’usage de contrats précaires non motivés sur des postes permanents sera sanctionné et la requalification en CDI de CDD successifs sera facilitée, tant dans le secteur public que dans le privé. La durée d’un CDD sera limitée à un an. Tout allègement des cotisations sociales encourageant les emplois à temps partiel et précaires sera supprimé. La loi établira une complète égalité des droits entre salariés à temps plein et salariés à temps partiel, et la priorité pour revenir à temps plein.
• Elle limitera à 1 heure l’interruption entre deux plages de travail au cours d’une même journée, pour tout temps partiel, avec pénalité forte en cas d’infraction. Elle encadrera le temps partiel: ni ghetto subi pour les femmes et non qualifiés, ni le lot des «travailleurs pauvres»… L’intérim, la précarité seront interdits dans le bâtiment, les sites dit «Seveso» [installations industrielles dangereuses] et tous travaux dangereux.
3. Établir un nouveau contrôle de l’inspection du travail sur les licenciements
L’inspection du travail, saisie par un syndicat, aura la possibilité de suspendre la procédure dès lors qu’il y a «un doute manifeste» sur le motif d’un licenciement. Le|La salarié·e restera dans l’entreprise et si l’employeur veut poursuivre, il devra apporter la preuve de son bien-fondé devant le juge concerné. La puissance publique pourra interdire effectivement les délocalisations et licenciements boursiers, spéculatifs, ne reposant pas sur des difficultés économiques réelles et sérieuses.
Le contrôle et la taxation massive des délocalisations boursières et des externalisations artificielles est l’arme par excellence contre l’avidité du capital financier. Si l’existence de réelles difficultés économiques n’est pas reconnue, l’inspection du travail pourra rendre la procédure «nulle et de nul effet» en dressant un «constat de carence» dans un délai de huit jours après la fin de toutes les procédures, également lorsque «les mesures visant au reclassement sont insuffisantes».
4. Réguler la sous-traitance
Il s’agit de
- Rendre pénalement, civilement et économiquement responsable de façon incontournable le donneur d’ordre (…)
- Aligner les conventions collectives des sous-traitants sur celle du donneur d’ordre (…)
- Faciliter la reconnaissance des unités économiques et sociales (…)
Cela revient à abroger les lois qui ont encouragé les “découpes” d’entreprise, de groupes et d’UES, et toutes les formes de recours à la sous-traitance dérégulée permettant de surexploiter les petites entreprises.
5. Redévelopper la démocratie syndicale et sociale
Il convient de redonner aux syndicats des moyens juridiques, moraux et matériels.
- Les élections prud’homales seront rétablies [les travailleurs immigrés peuvent y participer].
- Les élections à la gestion de toutes les caisses de protection sociale seront instituées. Elles devront se tenir le même jour, une fois tous les 5 ans.
- Un financement public des organisations syndicales sera institué sans se substituer aux cotisations ni mettre en cause l’indépendance syndicale.
6. Accroître les moyens et pouvoirs des instances représentatives du personnel
- Les conseils d’administrations seront composés à 50% d’élus salariés. Les missions des comités d’entreprise (et, à défaut, des délégués du personnel) élus tous les deux ans au plus, seront étendues.
- Au-delà des simples consultations, ils pourront sur certaines questions donner un «avis conforme» sans lequel l’employeur ne pourra imposer sa décision (droit de veto). Cela portera sur des questions clés et délimitées: horaires, salaires, application des conventions collectives, pour lesquelles l’employeur ne pourra pas imposer ses décisions sans avoir obtenu l’avis préalable et conforme de ces instances.
- La transparence des comptes et les obligations d’information complète et permanente des IRP (Instance représentative du personnel) seront rétablies.
- Dans les TPE, PME, PMI, ETI (entreprise de taille intermédiaire), partout où il n’y a pas d’IRP, les conseillers du salarié se verront augmenter en nombre, en moyens, crédit d’heures.
7. Protéger, assurer, renforcer l’hygiène et la sécurité au travail
- Nous prendrons toutes les mesures pour réparer complètement, ce qui est loin d’être le cas, les accidents du travail et maladies professionnelles. Nous redévelopperons la prévention maxima, et donnerons toute son indépendance et moyens à la médecine du travail.
- Les CHSCT (Comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail) seront élus partout et auront un budget. Leurs membres seront formés et disposeront de crédits d’heures suffisants.
8. Combattre toute forme de discrimination et de harcèlement au travail et dans l’entreprise
- L’inspection du travail, dans ses missions, aura à charge particulièrement la lutte contre les discriminations syndicales à l’égard des immigrés et minorités, de l’âge, des handicaps et des orientations sexuelles, philosophiques, politiques ou religieuses.
- Le combat contre les discriminations à l’égard des femmes fera l’objet d’une priorité afin de les éradiquer. L’égalité salariale à travail égal devra être établie par la loi partout en un délai d’un an. Elle fera l’objet de contrôles et de sanctions sévères, par l’inspection du travail, en référé sous astreinte, en cas de non-respect.
9. Instaurer une véritable Sécurité sociale professionnelle
Quatre droits fondamentaux constitutifs seront mis en œuvre:
- Le droit au reclassement intégrant les niveaux de qualification
- Le droit au revenu garanti
- Le droit à la protection sociale permanente
- Le droit à la formation continue.
Une véritable Sécurité sociale professionnelle tend vers des droits et conventions, contrats collectifs négociés avec les syndicats majoritaires et sous contrôle des IRP, et non pas vers un «compte personnel d’activité» où le salarié est seul à seul avec son contrat fluctuant face à l’employeur.
Les jeunes disposeront d’un revenu sans condition de ressources entre 18 et 25 ans. Ce sera une nouvelle branche de la sécurité sociale comme celle de la «branche dépendance» pour les personnes âgées.
10. Doubler les moyens de l’inspection du travail
L’établissement d’un réel contrôle par la République sur le pouvoir des employeurs et des actionnaires demande un accroissement substantiel des effectifs et des moyens de l’inspection du travail. Le nombre de sections d’inspection sera au moins doublé.
L’économie doit être subordonnée aux besoins des humains, et non l’inverse.
Pour un état de droit dans l’entreprise digne et humain, pour un nouvel ordre public social il faut un renforcement du droit pénal du travail. «Ceux d’en haut» et, parmi eux, les grands chefs d’entreprise, ne montrent pas l’exemple, alors que ce sont eux qui ont la responsabilité supérieure d’embauche et de débauche, de vie ou de mort sur le contrat de travail. Un «salaire maxima» qui ne puisse être supérieur à 20 Smic devrait être introduit partout visant à rétablir un minimum d’équité dans les entreprises. (6 juin 2017)
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