Par Alain Auffray
et Réd. A l’Encontre
En Corrèze, le mercredi 4 octobre 2017, le déplacement d’Emmanuel Macron portait sur la formation professionnelle et l’apprentissage, objets de prochaines réformes censées «équilibrer» celle du droit du travail. Sur ce nouveau chantier, le chef de l’Etat entamera le 12 octobre une concertation avec les syndicats. Après avoir célébré à Amiens le sauvetage «exemplaire» de l’usine Whirpool, il était à Egletons pour inaugurer le nouveau campus de la non moins exemplaire Ecole d’Application des Travaux Publics. «Ce qui se fait de mieux» en la matière s’est emballé le chef de l’Etat, accompagné de ses ministres du Travail, Muriel Pénicaud, et de l’Education Nationale, Jean-Michel Blanquer. Mais à Egletons, la fête présidentielle sera gâchée par les salariés en lutte de GM&S [équipementier automobile], bloqués non loin de là par un cordon de policiers.
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[19 septembre: licenciements sous lettres recommandées
Le 19 septembre 2017, les lettres recommandées arrivaient annonçant les licenciements chez GM&S. Le quotidien La Montagne donnait alors un aperçu de l’ambiance dans l’usine:
«Dans la cour de l’usine, repris, pas repris ou sans savoir, ils disaient tous la même chose avec cette même colère qui pourrait bien finir par exploser. « Il – Alain Martineau, le patron de GMD, ledit numéro un français de l’emboutissage de pièce automobile – reprend ceux qui sont près de la retraite ou même certains qui voulaient partir, lance l’un des GM&S. Et tous les jeunes, qu’on a formés, qui ont envie, qui ont besoin de bosser comme celui-là qui a cinq gamins et sa femme qui ne travaille pas, on les vire! Et après on nous parle de pérennité du site?… A la mairie de La Souterraine – commune dans la Creuse – où ils ont décidé de se rendre après une nouvelle assemblée générale, ils n’ont pas dit autre chose que cette détresse au maire. «On donne quinze millions à Martineau pour qu’il fasse quoi? lui lance Patrick Brun. Une maison de retraite? On est où, là ?». «Ce n’est plus une catastrophe économique, c’est une catastrophe sociale qui arrive et ce sera bien pire, enchaîne Vincent Labrousse. Ce n’est pas un numéro vert qui va faire que les gens vont s’en sortir psychologiquement.» «On est très gentils depuis neuf mois mais va falloir que ça change», lance un salarié.»…« Les gars qui partent, ça ne sera pas des pauvres, ça sera des miséreux. Depuis ce matin, les lettres sont arrivées. C’est la réalité, on est dedans et ça me fout les boules. On ne partira pas comme ça. Martine au, il a l’argent de l’État, des constructeurs et nous, on n’a rien. Rien du tout. Que Monsieur Le Maire revienne pour voir comment elle est, l’usine aujourd’hui. Qu’il vienne voir ses solutions. Cette détresse-là, c’est une affaire d’Etat. Ici, c’est un territoire qui va être rayé de la carte.»
Ce sont ces travailleurs qui demandaient, le mercredi 4 octobre, à rencontrer Macron. Pour toute réponse, ils ont encaissé ce mépris de classe propre au président Macron… qui se présente comme un élève de Ricoeur.
«Le bordel»? Rien d’autre que ce que décrit le quotidien La Montagne du 4 octobre 2017. Deux autocars étaient partis de La Souterraine (Creuse) avec des maires de la région et des salariés de GM&S Industry afin de rencontrer Macron. Impossible, car «Emploi du temps incompressible» du président de la République leur a transmis la préfecture de la Creuse. «En apprenant ce refus, les représentants du personnel ont proposé à leurs camarades et aux élus d’aller au contact “On va se rapprocher du barrage de CRS” a annoncé Yann Augras, délégué CGT.»
La conception de l’«état d’urgence» constitutionnalisé fait son chemin sous Macron.]
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Saisi à la volée par une caméra de BFMTV, un bref échange entre Macron et le président de la région Nouvelle Aquitaine Alain Rousset (Parti socialiste) a affolé les réseaux sociaux. De gauche comme de droite, l’opposition a aussitôt dénoncé une nouvelle expression d’un «mépris» jupitérien.
«Il y en a certains, au lieu de foutre le bordel, ils feraient mieux d’aller regarder s’ils ne pourraient avoir des postes là-bas […] parce qu’il y a qui ont des qualifications pour le faire», s’énerve le président de la République.
Il réagissait à une remarque que venait de lui faire Alain Rousset à propos d’une entreprise du département – l’usine Constellium d’Ussel spécialisée dans la fonderie et la métallurgie – qui peine à embaucher les ouvriers qualifiés dont elle à besoin.
Des lacrymos, pas le «bordel»
En pestant contre ceux qui foutent «le bordel», Macron visait sans doute les salariés de GM&S à La Souterraine qui demandaient à le rencontrer. «Impossible», avait fait savoir l’Elysée, invoquant un agenda incompressible et renvoyant sur Benjamin Griveaux, le ministre chargé du dossier. A grand renfort de lacrymogènes les policiers ont contenu à bonne distance de la visite une centaine de manifestants, dont plusieurs élus locaux.
L’usine de pièces automobiles GM&S est en difficulté depuis plusieurs années, ce qui lui a valu d’être régulièrement menacée de liquidation judiciaire avec licenciement de ses 277 salariés. Le 11 mai, quatre jours après la présidentielle, les salariés exaspérés avaient agité la menace d’une explosion du site. Ils disaient avoir «piégé» l’usine avec des bonbonnes de gaz et des bidons d’essence. Le 7 septembre dernier, la justice a validé un plan de reprise avec 120 emplois, jugé inacceptable par les salariés. Ces derniers restent mobilisés. Le repreneur, lui, menace de lâcher l’affaire.
Effaré par la montée en puissance d’une polémique potentiellement plus ravageuse encore que celle qu’avait déclenchée sa charge contre les «fainéants», l’Elysée a aussitôt tenté de déminer.
En pointant les fauteurs de «bordel», le président, qui ne se savait pas enregistré, n’aurait «pas spécialement» visé les salariés de GM&S. Cela paraît pourtant plus que probable, le chef de l’Etat étant nécessairement informé, à ce moment de sa visite, que les manifestants avaient dû être repoussés manu militari.
En refusant de recevoir les GM&S, Macron entendait aussi sanctionner des méthodes qu’il juge inacceptables. La veille, à Amiens, il avait félicité, collectivement puis individuellement, les salariés et les syndicalistes de Whirpool pour leur «sens des responsabilités». C’est parce qu’il n’y avait pas eu de «casse» ni de «surenchère» du côté des ouvriers et de leurs représentants que la reprise de l’usine avait été possible, a-t-il souligné à plusieurs reprises. Même s’il ne l’a pas explicité, il semblait clair que Macron faisait implicitement allusion, par contraste, au douloureux conflit de La Souterraine qui le poursuit depuis le début de son quinquennat.
Il a d’ailleurs été plus explicite quelques instants plus tard, lors d’un échange avec des apprentis qui devait conclure sa visite. Evoquant le cas GM&S, «bien connu dans la région», il a soutenu qu’on ne pouvait pas prétendre «protéger tous les emplois», y compris ceux qui n’ont «plus de destin économique». Ce serait, dit-il, «une mauvaise politique». «Le bordel», en d’autres termes. (Article de Libération, daté du 5 octobre 2017)
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