Que nos amis auditeurs de Rouen, Lisieux ou Saint-Lô veuillent bien me pardonner, mais c’est le Premier ministre lui-même qui m’a donné l’idée de ce titre hier soir sur France Inter, quand il a assuré qu’il ne faisait pas de «réponses de Normand».
Or, comme souvent quand un responsable politique s’adonne à ce genre de démenti, c’est précisément ce qu’il est en train de faire. Autre exemple: «je ne ferai pas de langue de bois»: la phrase qui suit est en général taillé dans le meilleur teck.
Ainsi donc Edouard Philippe a passé plus d’une heure et demie à dialoguer avec les auditeurs. Et l’ancien maire du Havre a scrupuleusement veillé à ne prendre aucun risque. Exemple lorsqu’il est interrogé par Fabienne Sintès sur le traitement des enseignants:
«- Monsieur le Premier ministre, quand allez-vous augmenter les profs?
– Euh, c’est une bonne question…»
«Une bonne question», manière de ne pas prendre position. Et le Premier ministre a beaucoup, beaucoup utilisé cette technique hier soir. «Très bonne question», répond-il à une interrogation sur la représentativité des élus, mais il n’y aura pas non plus de réponse. Pas davantage sur la solidarité financière entre les communes:
«Ça, c’est une question politique exceptionnelle!»
Caractériser les questions, leur accoler des adjectifs, plutôt que d’y ajouter des éléments de réponses concrets. Seul le référendum d’initiative citoyenne et le rétablissement de l’ISF trouvent disgrâce aux yeux d’Edouard Philippe.
Pour le reste, le chef du gouvernement se retranche derrière le grand débat national. Comme ici, quand il est interrogé sur la possibilité de cumuler les mandats électoraux:
«Moi je préfère écouter ce que les Français ont à dire, et puis ensuite on en tirera les conséquences.»
La prestation d’Edouard Philippe illustre l’impasse dans laquelle se trouvent les membres du gouvernement pour les deux prochains mois, jusqu’à la fin du Grand débat. Comme si l’exécutif s’était lancé dans une partie de «ni oui ni non» géante, malgré les relances des interviewers. Un quinquennat en suspension. Les ministres ne peuvent pas se permettre de trancher, sauf à faire passer cette concertation nationale pour un gadget dévitalisé.
Ecoute. Humilité. Comme s’il fallait surjouer ces qualités qui ont sans doute manqué au début du mandat. Jusqu’à l’excès parfois. Le gouvernement ne peut même pas éliminer des propositions infaisables, inexactes, ou déjà mises en œuvre. Sous peine de passer pour arrogant et déconnecté. Ecoutez, par exemple, la prudence de Sioux avec laquelle Edouard Philippe répond à cet auditeur, sur la fiscalité locale.
«Je… je… me permets, non pas de corriger Simon, mais d’exprimer mon désaccord…»
Certes, il n’est jamais superflu d’user de précautions oratoires. Tout comme il est logique de ne pas livrer les choix du gouvernement avant la fin du débat. Mais une question demeure: à quoi cela sert-il de passer 1h30 dans un studio si l’on n’a rien de précis à y annoncer? La réponse est sans doute contenue dans cette intervention de la ministre coordinatrice de ce grand débat national, Emmanuelle Wargon, hier à l’Assemblée:
«1,2 million de personnes sont allées sur le site [du grand débat]. 3000 réunions locales se sont tenues. 500 000 contributions ont été rédigées… Ce débat a été plébiscité.»
Inciter les citoyens à participer, en leur garantissant que tout (ou presque) est négociable. L’aspect quantitatif du Grand débat comme gage de sa réussite. Mais cette réussite dépendra surtout des suites politiques, des décisions inédites prises par le gouvernement. Et alors, ce ne sera plus le temps des réponses de Normand. (France Culture, billet de 8h15, 31 janvier 2019)
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L’eau, la glace, et le LBD40… E. Macron a-t-il assez de (Ri)cœur pour tout cela?
Réd. A l’Encontre
Erik Emptaz, dans Le Canard enchaîné daté du mercredi 30 janvier, écrit: «Je marche sur la glace». Prononcé en Egypte, où la température en hiver est assez clémente, ce constat de Macron à propos de la crise sociale dans nos contrées peut sembler déplacé. Il peut aussi signifier que la couche de glace est mince et qu’à tout moment elle est susceptible de rompre sous ses pieds.» C’est une piqûre de plomb faite à des députés qui s’emballent parce que «le grand débat» prend un tout petit peu, alors qu’une contre plateforme en organise depuis hier un remarquable sur les questions de fond renvoyant, par exemple, aux «cahiers de doléances».
Erik Emptaz met en relief une question d’importance: «l’accumulation inquiétante des cas de mutilation graves dus à l’usage policier de ces armes dites “de forces intermédiaires”».
A quoi nous pouvons ajouter le débat sur les «interdictions administratives de manifester» – qui s’ajoutent à un arsenal juridique déjà obèse – qui a fait dire au député centriste Charles de Courson, du groupe Libertés et territoires: «On se croit revenu sous le régime de Vichy.» Ayant un sens politique, ce dernier a continué en affirmant (discours indirect): «imaginez sous un gouvernement beaucoup plus à droite l’usage qu’il pourrait faire de telles décisions administratives».
Ces interdictions relèvent en effet du pouvoir des préfets. L’Etat autoritaire de Macron va de concert, au plan économico-politique, avec le sens de sa réunion à Versailles, en compagnie de 150 grands patrons internationaux. Il a dû leur expliquer, pour reprendre une formule du Canard: qu’il ne marche plus l’eau, certes, et que sur la glace on peut, politiquement, patiner. Mais qu’il a le mollet ferme, pour réussir un nouveau Triple Axel, avec bonne réception. Le patinage artistique c’était son domaine, dans la banque comme à Bercy. Il a le (Ri)cœur pour cela. Mais le mouvement social a lui du souffle, pour l’instant. (Réd. C-A. Udry. Réd A l’Encontre)
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