Ah quelle joie, quel bonheur! Nouveau maire de Kronikékologie-sur-Biosphère, c’est sans réticence que j’ai célébré le premier mariage entre le Medef et la CFDT.
Leur contrat, publié le 28 mai, et titré «Réinventer la croissance», est un trésor d’anticipation imaginative. Bon, nulle part on ne sait de quelle croissance il s’agit. De la culture des escargots, du nombre de Chinois gravissant la tour Eiffel, de la taille des scoubidous réalisés dans les écoles de surdoués? Mais à Kronikékologie, on est malin: on a deviné qu’il s’agissait de la croissance é-co-no-mi-que, la croissance du produit intérieur brut, quoi. Bon, comme tout le monde, les jeunes mariés confondent croissance du PIB et économie, mais ils sont émus, c’est normal qu’ils pataugent un peu.
Ah, ce n’était pas évident, si on réfléchit d’où ils viennent. Le Medef était un gros plein de soupe, avec un chapeau et un cigare. Il ne pensait qu’à l’argent. Maintenant, il est devenu un fin quadragénaire, un pigeon sacrifié, un organisme quasi caritatif. Quant à la CFDT, imaginez une espèce de barbu avec des fleurs dans les cheveux et un bleu de travail, qui écrivait des livres comme Les Dégâts du progrès (Seuil, 1977) ou Le Dossier électronucléaire (Seuil, 1980), des libelles écolos, quoi! Quelle horreur!
Ils n’arrêtaient pas de se chamailler, ces deux-là. Combien de fois j’ai dû envoyer le garde champêtre pour les calmer! Mais là, ils sont doux, ils s’embrassent à pleine bouche, ils s’aiment. Le secret de leur union? Ils se sont découverts dans un club, Le Siècle, où patrons, politiques et journalistes se font des papouilles – la patronne est, depuis 2011, Nicole Notat, ex-secrétaire générale de la CFDT. Enfin, je cause, je cause.
Ah, le contrat ! Ré-vo-lu-tion-nai-re! Il faut «retrouver une croissance forte dans la durée», «imaginer un nouveau paradigme de croissance»: puissant et réaliste, non? Plutôt qu’une «Europe de la consommation et de l’environnement», il faut construire «une Europe prospère et offensive du travail». Il faut «encourager le dynamisme entrepreneurial, améliorer partout la compétitivité, promouvoir l’esprit d’entreprise dès l’école». Oh, c’est beau, j’en tremble.
Quand je pense que ce grand fou de CFDT parlait d’autogestion et de partage du travail! Maintenant, il jure que «les partenaires sociaux doivent devenir des partenaires économiques».
Et sur les moyens de la croissance miraculeuse, alors là! Plus modernes que jamais: des biotechnologies, des nanotechnologies, du gaz de schiste, du nucléaire! En avant! J’ai même appris que «les centrales nucléaires sans déchet ne relèvent plus du mythe»! Trop forte, la CFDT. D’ailleurs, les deux tourtereaux parlent d’environnement. Enfin, très peu, je dois dire. C’est une «opportunité de croissance».
Bon, je vous quitte, il faut que j’aille voir si les travailleurs et les écologistes, qui boudent toujours chacun dans leur coin, ne voudraient pas se parler. C’est que j’ai pris goût aux mariages!
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Article paru dans le quotidien français Le Monde du 1er juin 2013
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