France. «Il faut… écouter Sarkozy»

Le «plan com» de Sarkozy le 2 juillet 2014
Le «plan com» de Sarkozy le 2 juillet 2014

Par Dominique Rousseau

Le quotidien Le Temps, du 4 juillet 2014, à propos de la mise sur écoute de l’ex-président Nicolas Sarkozy, donnait la parole au «célèbre avocat d’assises français Eric Dupond-Moretti» qui «s’élève avec fougue contre la mise sur écoute d’avocats». Dans l’introduction du juriste Denis Masmejan, le point de vue, de facto, du Temps est donné: «Depuis que l’affaire des écoutes téléphoniques de Nicolas Sarkozy et de son avocat, Thierry Herzog, a éclaté ce printemps, cet homme de gauche se fait le porte-voix de l’indignation partagée, selon lui, par l’immense majorité de la profession face à ce qu’il considère comme de graves atteintes portées aux droits de la défense par la justice et la police françaises, en général et dans ce dossier en particulier.» Une tonalité analogue est utilisée par sa consœur Catherine Dubouloz, dans un article de l’édition du même jour intitulé: «Des écoutes téléphoniques très contestées».

Le Temps va-t-il reproduire la tribune de Dominique Rousseau, professeur à l’Ecole de droit de la Sorbonne, Paris-I, publiée dans Libération du 7 juillet? En effet, Libération et Le Monde, parmi d’autres journaux francophones, nourrissent les pages du «média suisse de référence». Dès lors, prenons le risque de stimuler le goût de l’initiative (entrepreneuriale de Ringier?) de ce quotidien, en publiant, avec un ou deux jours d’avance, la tribune de Dominique Rousseau. (Réd. A l’Encontre)

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Le problème avec les juges est qu’ils appliquent le droit. C’est-à-dire ses règles, ses procédures, ses rythmes. Et en plus, de manière égale quel que soit le justiciable. Etonnant, non? La mise en examen de Nicolas Sarkozy est peut-être politiquement extraordinaire mais juridiquement banale. Elle s’inscrit dans la procédure pénale habituelle : d’abord, rassemblement par les enquêteurs des éléments d’information sur une affaire, puis transmission de celles-ci à des juges d’instruction qui décident, après avoir entendu la personne, de la mettre en examen s’il existe des indices graves et concordants rendant vraisemblable sa participation à un crime ou un délit. S’ouvre alors une troisième phase, celle des investigations judiciaires qui se terminera par la décision de renvoyer, ou non, la personne mise en examen devant le tribunal.

Où est donc le «problème»? Pourquoi ce ramdam médiatique? Parce que, dit-on, les informations qui ont conduit à la mise en examen ont été obtenues par des moyens illégaux: les écoutes téléphoniques. Il faut revenir au droit et très précisément à l’article 100 du code de procédure pénale qui permet au «juge d’instruction, lorsque la peine encourue est égale ou supérieure à deux ans, de prescrire l’interception, l’enregistrement et la transcription» des correspondances téléphoniques lorsque les nécessités de l’information l’exigent. En l’espèce, l’enquête sur le supposé financement libyen de la campagne présidentielle de 2007 de Sarkozy justifiait sa mise sur écoute, laquelle a permis d’intercepter des conversations dont le contenu révèle des faits juridiquement qualifiés de «trafic d’influence», «corruption active» et «recel de violation du secret professionnel». Aucune erreur de droit, donc. Pas davantage d’erreur de droit dans l’interception des échanges téléphoniques entre Sarkozy et son avocat. Là encore, le code de procédure prévoit que le principe de confidentialité entre l’avocat et son client peut être levé à condition que le bâtonnier en soit informé et que l’avocat soit soupçonné de participer à des faits constitutifs d’une infraction, «fussent-ils étrangers à la saisine du juge d’instruction», précise la chambre criminelle de la Cour de cassation. Or, en l’espèce, l’avocat de Sarkozy participait au fait de trafic d’influence – informations sur l’avancement du dossier Bettencourt contre promesse d’intervention pour un poste à Monaco – entre son client et le magistrat de la Cour de cassation. Rugueux le droit! Pas sexy le droit! Sans doute, mais, les interceptions téléphoniques de Sarkozy et de son avocat sont légales. Et donc sont le fondement pertinent de leur mise en examen.

Mais le justiciable mis en examen s’appelle Sarkozy. Inutile de le mettre sur écoute! Il suffit de l’écouter en direct pour comprendre, pour voir que l’idée même d’être un justiciable, et en plus un justiciable «ordinaire», lui est physiquement insupportable. Il est le «Prince-Peuple» et, par cette qualité, son corps et ses actions sont hors contrôle. Ni Alain Juppé ni Jacques Chirac, qui ont pourtant été renvoyés devant les tribunaux et condamnés, n’ont exprimé ce sentiment d’intouchabilité. Nicolas Sarkozy n’est pourtant pas coupable. Il est un présumé innocent sur lequel pèsent des informations graves et concordantes de corruption active et qui dispose de tous les moyens de droit pour se défendre. Mais il semble que «présumé innocent» ne suffise pas à sa personnalité. L’innocence d’un Prince-Peuple n’est pas seulement présumée, elle doit être irréfragable. D’où la critique systématique et permanente de Sarkozy à l’encontre de tous ceux qui ont pour métier de confronter les actes des autorités politiques aux principes simples et incontestables du droit, et en particulier à l’encontre des magistrats. Il est de bon ton de vilipender la justice; mais jamais les magistrats n’ont été aussi attaqués, moqués et méprisés que par Sarkozy, ministre de l’Intérieur ou président de la République. Et encore aujourd’hui, son seul propos est de mettre en cause l’institution judiciaire et la conscience professionnelle des juges.

«En visant le juge, déclarait un ancien premier président de la Cour de cassation, on finit par atteindre le citoyen.» Le propos est fort mais juste. La démocratie est blessée quand la justice est attaquée car elle est une institution d’équilibre des pouvoirs, l’expression de ce moyen légal de réclamer contre le pouvoir de statuer qui fait, selon Condorcet, la qualité démocratique d’un système politique. Si, comme le prédisent les sondages, la gauche doit perdre les prochaines élections, il est décisif pour l’avenir démocratique de la société que la droite et le centre choisissent rapidement un homme ou une femme qui fasse de la vertu civique le principe de leur projet politique. (7 juillet 2014)

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