«Dilma, as-tu vu quelqu’un dans le stade avec un visage de pauvre? Il n’y avait aucun basané.» Voici ce que déclara l’ex-président Luiz Inácio da Silva, en réponse aux «tires-toi» et aux insultes adressés à la présidente Dilma Rousseff lors de la partie inaugurale le 12 juin. Lula attribua les insultes aux secteurs les plus riches de la population. Lula a raison. Le Mondial de football – qu’il a parrainé avec enthousiasme au point de parvenir à obtenir que le Brésil soit désigné, le 30 octobre 2007, lorsqu’il était président du pays – ne réunit pas de pauvres dans les stades. Il sait que ce n’est pas un événement pour les pauvres, parce que les «basanés des favelas» sont bien loin de pouvoir régler des sommes allant jusqu’à plus de 1000 dollars pour un siège dans un stade pauliste. Ce n’est pas le Mondial des pauvres, ni même du Brésil. C’est le Mondial de la FIFA (Fédération internationale de Football Association) qui se déroule au Brésil. Un pays dont le gouvernement accepta d’une manière humiliante toutes les exigences formulées par la multinationale du business du football.
Cette «fête du sport le plus populaire» a coûté au peuple brésilien plus de 15’000 millions de dollars. 30’000 millions si l’on prend en compte les dépenses réalisées depuis 2008. Ce chiffre est plus élevé que les dépenses réunies faites pour les mondiaux qui se sont tenus en Allemagne [2006] et en Afrique du Sud [2010]. Lula ne devrait donc pas être surpris devant l’authentique indignation venant de la majorité du peuple – et non pas de ceux qui furent présents au match d’inauguration –, ce qui inclut ceux qui l’élurent pour deux mandats présidentiels [s’étalant de janvier 2003 à janvier 2011].
Ce n’est pas le Mondial des pauvres, il s’agit du business des entreprises à la tête desquelles se trouve la FIFA, une entité traversée de part en part par la corruption de ses dirigeants, impliqués dans toutes sortes d’opérations illicites. Elles ont culminé lors de la désignation du Qatar pour le Mondial de 2022. La «fête» de la Coupe de 2014 laissera à la FIFA un bénéfice de 4000 millions de dollars.
Afin de garantir le succès de son entreprise, la FIFA imposa pour la durée de l’événement sa propre loi, que le gouvernement fédéral approuva en juin 2012 (Loi 12.663) qui, entre autres points, concède un monopole à la FIFA pour tout ce qui se réfère à la Coupe 2014. Il découle de cette loi que toutes les personnes – physiques ou juridiques – devront être attentives à ne réaliser aucune des infractions que la FIFA considère comme telle, ou elles seront punies pour cela (voir l’article publié sur ce site le 12 juin 2014). Ce type de législation commença à être appliqué lors du Mondial en Allemagne, puis continua en Afrique du Sud pour être mis en œuvre, aujourd’hui, au Brésil. Lula et Dilma savaient par conséquent avec qui ils traitaient. Or, ils s’appliquèrent à faire leur devoir.
Le coût des entrées, le type de stades, les critères d’admission furent pensés en se fondant sur la logique propre à la rentabilité et aux profits d’une transnationale. Il n’y a donc aucune raison d’être surpris.
L’absurde dans la défense du business du Mondial arriva à un tel point que la FIFA parvint à obtenir la suspension du Estatuto do torcedor (le statut du supporter – promulgué en 2003 par Lula), la loi qui interdit la vente d’alcool dans les stades. La FIFA privilégia son contrat avec le brasseur Budweiser [du groupe belgo-brésilien Anheuser-Busch InBev] et imposa l’exception. L’ancien joueur et actuel député Romário [Romário de Souza Faria, député PSB et membre de l’équipe brésilienne ayant gagné la Coupe en 1994] déclara: «Je me battrai jusqu’au bout pour que la FIFA ne crée par un Etat dans l’Etat.» Son effort fut infructueux.
Ceci n’est pas la Coupe des pauvres et du peuple, c’est l’événement des marques: Coca-Cola, McDonald’s, Adidas, Nika, Puma, des entreprises automobiles, des banques, des compagnies aériennes, de la publicité, des entreprises de communication et des chaînes de télévision qui achetèrent «l’attention» de millions de personnes pour l’événement le plus regardé de la planète.
Ce n’est pas le Mondial des pauvres parce qu’aux revendications d’amélioration de la santé publique, de l’éducation et des transports – qui explosèrent dans tout le Brésil en juin 2013 – on répondit par des lois et des actions répressives. Ces jours-ci, elles incluent des réquisitions et la détention de personnes qui exprimèrent leur rejet de la Coupe.
Ce n’est pas le Mondial des pauvres parce que les entreprises adjudicatrices des chantiers furent favorisées, lesquelles retardèrent manifestement les travaux afin d’extorquer et de réaliser des surcoûts en invoquant l’urgence des dates. Au point d’atteindre une augmentation de 100% par rapport au montant des soumissions initiales.
Ce n’est pas le Mondial des pauvres, parce qu’il signifia la destruction violente de logements de quartiers de la misère afin de garantir la satisfaction des exigences de la FIFA et frayer un chemin aux spéculateurs immobiliers.
Ce n’est pas le Mondial des pauvres parce que les villes qui abritent les matchs furent l’objet du «nettoyage social» des sans-toit qui «salissent» les rues.
Ce n’est pas le Mondial des pauvres parce qu’alors que l’on construisait des stades pharaoniques comme celui de Manaus, au cœur de l’Amazonie, on réprima brutalement les indigènes de cette région, qui manifestèrent à Brasilia et qui accompagnèrent leurs revendications de tenues traditionnelles, d’arcs et de lances dangereuses [voir à ce propos sur ce site l’article du 12 juin 2014 http://alencontre.org/ameriques/amelat/bresil/les-indiens-a-lassaut-de-la-coupe-du-monde.html].
Ce n’est pas le Mondial des pauvres parce que le modèle socioculturel que l’on offre aux jeunes consiste à les inciter à imiter une élite de joueurs à succès qui gagnent des millions d’euros par mois.
Ce n’est pas le Mondial des pauvres parce que le football, un jeu collectif, qui requiert uniquement un ballon pour se divertir, ce jeu auquel jouent des millions de pauvres dans le monde entier, s’est transformé en une marchandise qui l’avilit.
Ce n’est pas le Mondial des pauvres parce qu’il dégrade la dignité nationale [d’un pays de la périphérie] pour le convertir en une parodie de prouesse lors de laquelle on chante l’hymne national en portant sa main sur le logo d’Adidas ou de Nike. Il ne s’agit pas non plus de la sélection de toutes et tous, c’est celle sélectionnée par l’Association argentine de football (AFA), présidée par le chef mafieux don Julio [Julio Humberto Grondona], désigné à ce poste par le vice-amiral de la dictature, Carlos Alberto Lacoste [1], en 1979. Don Julio est l’actuel vice-président de la FIFA responsable du domaine stratégique des finances.
Ce n’est pas le Mondial des pauvres parce qu’il suinte le machisme et le sexisme, qui exalte les femmes «décoration» appelées «botineras» [2] et aux «beautés» de la tribune, aux petits soins du journaliste de service qui a affirmé que «le mieux que puissent faire les femmes qui sont à la maison est de ne pas éteindre les téléviseurs au cours des matchs».
Ce n’est pas le Mondial des pauvres parce que leurs griefs et leurs revendications sont dissimulés derrière la fumée générée par la propagande du Mondial.
C’est la réalité Lula! Il n’y avait pas et il n’y aura pas de pauvres noirs dans les stades de la Coupe, où l’on trouve des loges fastueuses avec de larges fauteuils pour les riches qui lancèrent des «vaias» – «tire-toi» – et des insultes à Dilma [les élections au Brésil auront lieu en octobre 2014]. Bien que chaque goal de la verdeamarela [en référence au maillot jaune-vert de l’équipe brésilienne] soit fêté avec enthousiasme, et même le Mondial lui-même, cela fait bien longtemps que les Mondiaux ont cessé d’être une fête populaire. Vous l’avez toujours su, Lula. (Article publié sur le site argentin contrahegemoniaweb. Traduction A l’Encontre)
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[1] Carlos Alberto Lacoste, militaire argentin qui obtint le grade de vice-amiral. Il fut président intérimaire du 11 au 22 décembre 1981, assurant la «transition» entre le dictateur Roberto Eduardo Viola et le dictateur suivant Leopoldo Fortunato Galtieri. Alberto Lacoste avait des liens de famille, par ses épouses, avec Videla et Galtieri. Il fut l’un des organisateurs de la Coupe du monde de 1978, dont les finances restèrent toujours plus qu’obscures. En avril 1979, il nomma Julio Humberto Grondona comme président de l’AFA. Lacoste avait des liens étroits avec le Brésilien João Havelange – président de la FIFA de 1974 à 1993, Sepp Blatter lui succéda –, très proche des dictateurs brésiliens. Lacoste fut nommé par Havelange de la Confédération sud-américaine de football. Ce fut le marchepied vers la FIFA: en 1980, il devint vice-président de la transnationale footballistique. (Réd. A l’Encontre)
[2] Terme utilisé pour désigner, dans le cadre de telenovelas argentines consacrées initialement à des aventures du monde du football, des femmes portant des talons hauts. Le terme «botin» pouvant désigner à la fois des escarpins à talons hauts ou une chaussure de football. (Réd. A l’Encontre)
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