Etat espagnol-Catalogne. La gauche espagnole et la question catalane

Par Jaime Pastor

«L’expression politique de l’identité catalane est trop persistante et intense pour s’évanouir dans l’anonymat d’une polis unique et, en démocratie, une fois brisé les liens de la peur, le projet unitaire de l’Espagne présente d’autres faiblesses qu’il convient de ne pas agiter (Pays basque, Galice…).» Ce diagnostic d’un ancien ministre socialiste de la justice, Francisco Caamaño, publié dans la présentation d’une anthologie récente établie par Daniel Guerra, El pensamiento territorial de la Segunda República española (Athenaica, 2017), synthétise le constat d’échec historique du nationalisme espagnol dominant non seulement sur la question catalane, mais aussi en ce qui concerne son projet d’assimilation de la diversité nationale et culturelle au sein de l’Etat espagnol.

En effet, ce nationalisme, représenté principalement par le système du tripartisme du régime monarchique [PP, PSOE, Ciudadanos-C’s], se trouve face à un double problème: trouver une réponse à cet échec autant en ce qui concerne son rapport avec un large secteur de la société catalane que face à la réalité plurinationale toujours plus visible. Cette réponse, si elle se veut démocratique, impliquerait l’acceptation d’un traitement d’égal à égal avec la Catalogne (c’est-à-dire, respecter son droit au divorce). Et en même temps, il faudrait «repenser l’Espagne» en renonçant à la conception uninationale de l’Etat sur lequel sa construction s’est fondée tout au long de l’histoire pour se concevoir, ainsi que le propose également F. Caamaño, en tant que politeia.

Il est évident que ni le PP ni C’s ne sont disposés à faire un pas dans cette direction. Au contraire, en appliquant d’une manière extensive l’article 155 de la Constitution et les attaques non seulement contre l’autogouvernement mais aussi contre la langue et l’enseignement en Catalogne, ces deux partis semblent aspirer à une recentralisation de l’Etat et, y compris, une renationalisation espagnole en règle.

Ce qui est plus préoccupant, c’est que les élites dirigeantes du PSOE ont également, une fois que Pedro Sánchez a été domestiqué et la «plurinationalité» enterrée [un secteur du parti avait accepté d’entrer en matière sur cette notion], serré les rangs autour de l’article 155 et de la défense fondamentaliste de la Constitution et de «l’unité de l’Espagne», se limitant à promouvoir une réforme constitutionnelle modérément fédéralisante que, ainsi que nous avons déjà pu le voir, ni le PP ni C’s ne sont disposés à négocier.

En réalité, nous ne devrions pas être surpris d’une telle évolution du «socialisme» espagnol» (PSOE, PSC). Souvenons-nous que déjà à la fin de l’année 1989, face à une déclaration approuvée par le Parlement catalan sur initiative d’ERC [Gauche républicaine catalane] – qui disait que «le respect du cadre constitutionnel en vigueur […] ne signifie pas la renonciation du peuple catalan au droit à l’autodétermination» – Felipe González, alors président du gouvernement, indiqua qu’il «serait disposé à utiliser l’un des mécanismes exceptionnels prévus par le titre VIII de la Grande Charte [la Constitution]. L’article 155 de la Constitution permet au gouvernement de prendre les mesures nécessaires pour contraindre les Communautés autonomes à l’accomplissement de leurs obligations légales ainsi qu’à abandonner toute action qui nuit gravement à l’intérêt général de l’Espagne”.»

Il n’y a donc rien de surprenant que c’est ce même Felipe González qui fut le principal acteur du coup d’Etat interne [au PSOE] visant Pedro Sánchez face à son aspiration à se transformer en une alternative de gouvernement suite aux élections de juin 2016 avec le soutien de Podemos et des forces indépendantistes catalanes.

En revanche, en Catalogne devrait être reconnu comme une indication très positive le fait que depuis la campagne électorale de décembre 2015 Unidos Podemos a assumé la défense de la plurinationalité et du droit à décider en Catalogne. C’est la première fois qu’une force politique pouvant devenir une alternative de gouvernement fait siennes ces revendications. Il est également positif que, bien que tardivement, un recours en inconstitutionnalité contre l’application de l’article 155 de la Constitution a été présenté [voir à ce sujet l’article de Miguel Salas publié sur ce site en date du 12 décembre 2017].

Nous avons pu, néanmoins, vérifier que leur proposition de «repenser l’Espagne» semble se limiter à chercher «l’emboîtement» de la Catalogne au sein de celle-ci. Formulée ainsi, il ne semble pas que sa reprise de la notion de plurinationalité aboutisse à une rupture de la conception de «nation de nations» qui continue d’attribuer à la nation catalane une condition subalterne vis-à-vis de l’espagnole.

Cette ambiguïté calculée pourrait également expliquer la vocation d’Unidos Podemos à «l’équidistance» – qui est encore plus préoccupante dans le cas d’Izquierda Unida – entre le nationalisme espagnol dominant et le nationalisme catalan, ou encore sa réticence à soutenir la participation effective au référendum du 1er octobre dernier. Une position qui entre en contradiction avec celle adoptée par Podem [branche catalane de Podemos] et qui a abouti à ce que la direction impose depuis Madrid des mesures rappelant les pratiques centralistes de la vieille gauche espagnole. (Article publié le 11 décembre sur le site VientoSur.info, la version catalane originale a été publiée dans le journal Ara le 9 décembre; traduction A l’Encontre)

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