Catalogne. Une extrême-droite à l’ombre du PP

Dans la manifestation contre l’indépendance du 2 décembre

Par Marine Buisson

Une montée en puissance après des décennies d’ombre? C’est ce que craignent les observateurs de l’extrême droite en Espagne. Alors que la Catalogne se prépare à sa prochaine échéance électorale, demain jeudi 21 décembre, les groupes xénophobes gagnent en visibilité dans les rues espagnoles.

Plusieurs événements ont mis la puce à l’oreille. Lors de la fête nationale, d’abord. Le 12 octobre dernier, dans le centre-ville de Barcelone, le groupuscule xénophobe Hogar Social, le parti d’extrême droite Vox et le groupe ultranationaliste Espana 2000 se joignent aux dizaines de milliers d’Espagnols venus célébrer la fête nationale. «Des nationalistes qui, dans la crise, trouvent un moyen de matérialiser leur discours pour préserver à tout prix l’unité du pays», analyse Anaïs Voy-Gillis, membre de l’Observatoire européen des extrêmes et doctorante à l’Institut français de géopolitique.

A quelques kilomètres du centre, sur la colline de Montjuic, plusieurs centaines de militants extrémistes ont célébré la fête nationale en prononçant des discours haineux au milieu de stands où l’on vendait le «testament politique» d’Adolf Hitler ou des insignes à la gloire des Waffen SS. En fin de journée, des incidents violents ont éclaté. Barcelone ne fait pas figure d’exception. A Valence, dans les îles Baléares, dans des endroits à forte identité régionale, d’autres violences impliquant des groupuscules d’extrême droite ont éclaté.

«Le processus d’indépendance est devenu de fait un catalyseur pour l’extrême droite», avance le photojournaliste catalan Jordi Borràs, qui consacre ses recherches à l’extrême droite espagnole depuis une dizaine d’années : «Depuis la mort de Franco, l’extrême droite s’est caractérisée par la division et des discours poussiéreux et dépassés. Au cours de ces dernières années, et surtout depuis le mois septembre, l’indépendance était l’excuse parfaite pour se rendre visible dans les manifestations.» Mais aussi, selon lui, l’occasion de soutenir à demi-mot des partis fréquentables et installés comme le PP, Ciudadanos et parfois même le PS catalan. La crise en Catalogne fédère d’autant plus l’extrême droite espagnole que, contrairement à d’autres pays européens où elle capitalise sur un sentiment anti-immigration et anti-islam, l’extrémiste espagnol milite d’abord pour l’unité du pays.

Des micropartis, peu de membres

Pas de quoi toutefois s’inquiéter d’une fulgurance de l’extrême droite dans les urnes catalanes le 21 décembre. «Aujourd’hui, cela reste globalement des micropartis avec peu de membres», relève Anaïs Vox-Gillis. Il existe aujourd’hui en Espagne et en Catalogne des dizaines de partis d’extrême droite allant des falangistes classiques d’inspiration fasciste en passant par les nationalistes-révolutionnaires, jusqu’aux catholiques intégristes (Falange Española de las JONS, Democracia Nacional, Generación Identitaria, Movimiento Social Republicano, Hogar Social Madrid, Somatemps, Hazte Oir, Vox). «Le fait qu’ils manifestent ensemble n’implique pas une unité réelle, estime toutefois Jordi Borràs. Ce vaste panorama de l’extrême droite ne se traduit pas par la création d’un grand parti d’extrême droite espagnole comparable à ceux qui existent dans d’autres pays européens.»

D’ailleurs, la plupart des partis d’extrême droite ont renoncé à se présenter aux élections catalanes du 21 décembre, comme ils l’avaient déjà fait pour celles du 27 septembre dernier, pour une seule et même raison: ne pas diviser le vote pro-espagnol qui se reportera alors majoritairement sur le PP et Ciudadanos. «Selon le Centre espagnol de recherches sociologiques, en 2011, huit électeurs sur dix sympathisants de l’extrême droite ont voté pour le PP lors des élections», rappelle Jordi Borràs. Les électeurs en recherche d’un discours à l’image de celui du FN français ou du FPÖ autrichien se sont toujours tournés – et se tournent toujours – vers des partis comme le PP.

L’historien Xavier Casals a qualifié le phénomène de «présence absente» : malgré son absence directe dans les institutions, l’extrême droite existe à travers de grands partis conservateurs, à travers certains de leurs slogans. Jordi Barras met en garde: «Ils sont en mesure d’influencer l’agenda politique de ces partis.» (Article publié dans Le Soir en date du 20 décembre 2017)

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