Bruxelles. Grève à Swissport: «Pour la direction, un travailleur égale un coût»

Par Koen Dereymaecker

Le 22 août, les travailleurs de Swissport Belgium à l’aéroport de Zaventem ont arrêté spontanément le travail. Il y a bien sûr eu des désagréments pour les passagers [1]. Cependant, la trop grande charge de travail, des outils de travail peu sûrs, une trop grande flexibilité et des engagements non tenus de la direction ont poussé les bagagistes à agir. En tant qu’ancien travailleur chez Aviapartner, le concurrent de Swissport, je ne connais que trop bien cette situation.

Pas assez flexibles?

Les travailleurs du secteur de l’aviation entendent depuis des années de la part de leur direction qu’ils sont trop chers et pas assez flexibles [comme ce mantra a été répété à Swissport Genève Cointrin et continue de l’être]. Ils travaillent pourtant déjà de façon très flexible, et sacrifient régulièrement leurs nuits, leurs dimanches et leurs jours fériés.

Chaque mois, ils doivent attendre que leur horaire soit fait avant de pouvoir faire des projets avec leur famille ou leurs amis. Ils font tout cela pour un bas salaire et un système de primes modestes. En plus, ils travaillent dans une atmosphère stressante. Des passagers bavards et parfois difficiles, des équipes réduites pour charger ou décharger l’avion, des outils défectueux et de lourdes valises ne font pas de ce job une partie de plaisir.

Pour la direction d’Aviapartner ou Swissport, ce n’est pas assez. Ils essayent continuellement d’extorquer un extra de leurs travailleurs. Pour les employeurs du secteur, le travailleur idéal a un contrat de 3 heures, qui peut être étendu en été. Les horaires doivent changer de jour en jour. C’est simple, pour la direction, travailleur égale coût.

Travailleurs et syndicats se sont toujours opposés à cette forme excessive de flexibilité. La grève chez Swissport de 2012 a eu pour résultat des équipes scindées. La grève de 2016 chez Aviapartner a permis le passage de contrats à durée limitée à des contrats à durée indéterminée. Mais, chaque année, ces directions passent à l’offensive pour imposer à leur personnel de la flexibilité supplémentaire pour assumer le même travail avec moins de gens.

Une insécurité structurelle

Tous les sept ans, Brussels Airport, l’exploitant privé de l’aéroport, annonce un appel d’offre auquel peuvent répondre toutes les entreprises actives comme bagagistes. Sur la base de certains critères, on décide alors des deux entreprises qui peuvent être en activité à l’aéroport pour les sept années à venir. Les entreprises et le personnel des services au sol vivent donc dans un état permanent d’insécurité. La combinaison entre un marché ultra-compétitif et une mauvaise gestion dans les entreprises de services au sol fait que tant Swissport qu’Aviapartner ont des déficits depuis des années. Quand on peut aller à Barcelone en avion pour 15 euros [les compagnies low cost du type Germanwings ou du leader Ryanair], cela se fait sentir dans tous les secteurs de l’aviation [selon le quotidien La Libre Belgique du 22 août, les compagnies aériennes Air Canada, Alitalia, Egyptair, Germanwings, Lufthansa, Ryanair, Thai Airways, Thomas Cook ou encore Tunisair travaillent notamment avec Swissport].

Mini-jobs ?

Le discours sur la flexibilité scandé par le gouvernement apparaît dans la pratique quotidienne de l’aéroport. Quel genre de jobs voulons-nous dans notre pays ? Des contrats de 3 heures ou des vrais jobs de qualité ? Ce sont les travailleurs qui font tourner l’aéroport, et ils méritent d’en être récompensés en conséquence. Des vrais contrats à flexibilité concertée doivent constituer la base des conditions de travail au sein de ces entreprises.

Vers un statut aéroportuaire

Dans plusieurs grands aéroports d’Europe occidentale, les travailleurs responsables du travail au sol dépendent de l’exploitant aéroportuaire lui-même. Le PTB [avec qui la LCR belge a fait une liste électorale commune pour les élections européennes, législatives et régionales de mai 2014] propose de travailler en Belgique selon un statut aéroportuaire. Les travailleurs travailleraient alors, comme dans les ports, sous un seul statut. Cela aurait l’avantage, pour les travailleurs, d’une plus grande stabilité, d’une suppression des contrats précaires et d’avoir la garantie que les personnes qui travaillent sur le tarmac sont formées de façon adéquate.

C’est aussi une rationalisation : il ne faudrait plus acheter des outils de travail pour deux entreprises et il ne faudrait plus prévoir qu’un seul centre de formation. Seul un statut aéroportuaire offre la stabilité, et pour le personnel, et pour les voyageurs.

Où va l’argent ?

Brussel Airport (BA), l’exploitant de l’aéroport, est une entreprise très lucrative. Cette année, BA a encore annoncé qu’il va payer à ses actionnaires un dividende confortable de 108 millions d’euros. Cela s’ajoute aux 837 millions d’euros qu’ils ont déjà payés les neuf dernières années. On fait donc énormément de bénéfice dans les aéroports.

Cette entreprise, qui est en position de monopole, doit-elle vraiment se trouver dans les mains d’actionnaires étrangers qui n’ont en vue qu’une maximalisation des profits ? Le gouvernement doit reprendre le contrôle de l’aéroport. Une entreprise qui, comme ils le disent eux-mêmes, « est essentielle pour l’économie belge » ne peut quand même pas être abandonnée à des actionnaires qui pensent à court terme ?

Un aéroport qui serait aux mains de la communauté pourrait mettre un terme à la spirale vers le bas des salaires, pourrait faire le choix d’une politique qui soit à l’avantage des passagers, des travailleurs et des riverains.

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Koen Dereymaecker a travaillé pendant 12 ans à l’aéroport chez Aviapartner et DHL Aviation et y a été délégué syndical du CSC

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Note

[1] La Libre Belgique, la NZZ de la Belgique francophone, a indiqué: « Cet arrêt de travail a rapidement entraîné d’importantes perturbations dans le traitement des bagages. Vers midi, près de 200 vols et 10.000 voyageurs avaient déjà été touchés. Pour la seule journée de mardi [22 août], la société de manutention devait en principe s’occuper de 420 vols.» Elle ajoute : «Le mouvement de grève spontané a commencé vers 7h15 avec l’équipe du matin de Swissport. “C’était dans l’air depuis des mois”, indique Kurt Callaerts, du syndicat chrétien flamand ACV Transcom (CSC). “La charge de travail est trop élevée et le matériel n’est pas en ordre. La direction se met la tête dans le sable.”» Un pré-accord a eu lieu. Selon le quotidien Le Soir, le syndicat lié à la FGTB (Fédération générale du travail de Belgique) porte le jugement suivant sur le pré-accord: «Le texte prévoit un contrat à temps plein jusqu’à fin septembre pour 60 travailleurs actuellement engagés à temps partiel. Une prime de maximum 500 euros est également prévue pour le personnel, selon le syndicat. La direction s’est aussi engagée à réitérer les accords conclus par le passé et à les transmettre aux cadres pour éviter les conflits avec le personnel.» La force de ce mouvement réside dans une initiative collective, initiée par des travailleurs syndiqués combatifs ayant été aptes à saisir le ras-le-bol, dans une période d’extrême affluence de voyageurs qui suscite un flux tendu et stress encore supérieur à la moyenne – sans même mentionner les travailleurs suppléants moins habitués à une gestion sous tension – qui trouve son expression dans le timing pour une lutte collective qui permet de créer un rapport de force, conjoncturel, permettant une négociation favorable à des salarié·e·s très précarisés. Il y a là, peut-être, une leçon pour d’autres salariés de Swissport et en particulier pour les organisations syndicales comme le SSP qui se profilent dans ce secteur, un profil assez bas. (Réd. A l’Encontre)

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