Chine. Des luttes contre l’intérim à long terme

Angela Merkel en visite à l’usine à l’usine VW-FAW de Changchun (publication interne de la firme VW en août 2014)

Par Simon Leplâtre

Des centaines d’ouvriers de l’usine Volkswagen (VW) de Changchun défilent depuis des mois dans les rues de cette ville du nord-est de la Chine pour demander un traitement égal pour un travail égal. Ils se battent pour obtenir le respect de la loi chinoise en matière d’intérim: l’embauche des employés après six mois maximum de travail temporaire. Or, certains des 1500 intérimaires de VW à Changchun y sont employés depuis… dix ans [voir sur ce site l’article rédigé sur la base de China Labour Bulletin en date du 1er mars 2017].

Pour attirer l’attention sur le sort des ouvriers de la coentreprise de VW et du constructeur chinois FAW [entreprise publique chinoise], l’un des intérimaires a lancé un appel de détresse sur les réseaux sociaux chinois et sur YouTube, afin de se prémunir contre la censure chinoise. D’autres travailleurs temporaires ont manifesté devant le comité local d’arbitrage du travail, fin février, pour dénoncer l’absence de réaction de l’institution.

Fin 2016, ils avaient frappé à la porte du syndicat officiel, souvent à la botte des employeurs, et rarement efficace. Et début janvier 2007, ils ont envahi des locaux du ministère des ressources humaines et de la sécurité sociale. Les plus créatifs du groupe ont composé un poème et du rap. Pour l’heure, en vain.

Leur cas n’est pas isolé. Depuis l’adoption, en 2008, d’une loi protégeant les travailleurs contre les licenciements, le système de l’intérim à long terme, par le biais des agences spécialisées, est massivement utilisé pour contourner la législation. «Beaucoup de grandes entreprises ont recours à ces agences et aux travailleurs détachés pour abaisser leurs coûts de production», explique Keegan Elmer, porte-parole de l’ONG China Labour Bulletin, spécialiste – depuis Hongkong – des conflits sociaux en Chine. «Les intérimaires reçoivent moins de prestations sociales et sont moins payés.» Bien qu’une loi de 2012 ait limité l’usage de l’intérim, réduit le recours à ces agences et encouragé la signature de contrats directs, cette pratique reste, dit-il, «très courante».

Depuis 2014, la part des intérimaires dans les entreprises est limitée à 10%. Ils seraient environ 60 millions de Chinois employés dans ces conditions dans divers secteurs, soit 8 % de la main-d’œuvre de l’empire du Milieu, selon la Fédération chinoise des syndicats. Mais de nombreuses entreprises dépassent toujours les limites légales, provoquant la colère des ouvriers.

Toutes les régions sont touchées. Dans le Sud, la concurrence des pays émergents d’Asie du Sud-Est pèse sur l’industrie manufacturière à faible valeur ajoutée. Dans le Nord-Est, la «ceinture de rouille» dont fait partie Changchun, la capitale du Jilin, la crise est plus visible encore: l’industrie lourde est minée par les surcapacités et doit tailler dans les salaires ou les effectifs.

La nouvelle économie elle-même n’est pas épargnée: les mouvements de protestation se multiplient dans les services. D’après China Labour Bulletin, les actions de protestation de livreurs ont triplé en Chine entre 2015 et 2016. «Nous n’enregistrons qu’une fraction des mouvements, tempère le porte-parole de l’ONG. Il faut regarder les tendances plus que les chiffres absolus.»

En 2016, une série de grèves a frappé des multinationales. Le géant américain de la distribution Walmart a fait face à l’un des plus vastes conflits de ces dernières années en Chine. Pendant près de six mois, à partir de l’été 2016, ses employé·e·s ont protesté contre la mise en place, sous la contrainte, d’un temps de travail flexible. Cette nouvelle organisation s’est traduite par moins d’heures supplémentaires et un emploi du temps changeant sans cesse, nuisible à la vie familiale, selon les travailleurs concernés.

De plus en plus organisés

A l’automne 2016, des employés de Sony, Danone, et Coca Cola en Chine ont dénoncé la vente de leur usine à des investisseurs locaux… sans qu’ils soient au courant.

En théorie, la loi ne prévoit pas de prime particulière si l’emploi est maintenu, mais les ouvriers craignaient de perdre certains avantages sociaux avec un employeur local. Mi-novembre 2016, les 4000 ouvriers de Sony dans le Guangdong, dans le sud-est du pays, ont bloqué les lignes de production. Après avoir envoyé la police et menacé de licenciement ceux qui ne reprendraient pas le travail (une menace mise à exécution pour 37 personnes), le géant japonais a finalement accordé une prime de 1000 yuans (135 euros) à chaque employé.

Ces différents mouvements concernent surtout des travailleurs migrants, issus des campagnes, dont la population a atteint 282 millions fin 2016. A cause du «hukou», le permis de résidence qui lie les citoyens à leur lieu de naissance, la plupart de ces migrants ont difficilement accès à la protection sociale en Chine et ne peuvent mettre leurs enfants dans les écoles locales. Ces citoyens de seconde zone sont les plus vulnérables face aux abus des employeurs. Et alimentent les rangs des agences d’intérim, faute des contacts familiaux souvent nécessaires à l’embauche dans les grandes entreprises.

Pour autant, ces ouvriers sont de plus en plus organisés, connaissent leurs droits et critiquent le manque de dialogue social au sein des entreprises et avec les autorités. Ils dénoncent aussi l’inefficacité du syndicat officiel All-China Federation of Trade Unions (ACFTU) et l’hostilité des autorités envers les associations de défense des droits de travailleurs, dont plusieurs employés ont été emprisonnés fin 2015.

Protégé par la plus grande liberté dont jouit Hongkong, le fondateur de China Labour Bulletin, Han Dongfang, un ancien du mouvement étudiant de Tiananmen en 1989, appelait, dans une tribune publiée en janvier, à plus de dialogue social: «Le seul syndicat légal, l’ACFTU, est dirigé par le Parti communiste et contrôlé par les employeurs dans la plupart des entreprises. Les employés chinois sont des employés comme les autres. Ils doivent avoir la possibilité d’élire des représentants et de présenter leurs revendications à l’encadrement, à travers des processus légaux et des négociations collectives. L’inefficacité de l’ACFTU dans l’accomplissement de sa tâche de syndicat ne laisse d’autre choix aux ouvriers que de faire grève, et de se heurter à la répression.» (Article publié en page 2 du cahier Economie&Entreprise du Monde, daté du 29 mars 2017, titre A l’Encontre)

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«Les ouvriers connaissent mieux leurs droits»

Entretien conduit par Simon Leplâtre

Ngai Pun, professeure de sociologie à l’université de Hongkong (HKU), étudie depuis plus de vingt ans les ouvriers de l’industrie manufacturière de la province du Guangdong, dans le sud-est de la Chine. Elle analyse l’augmentation des actions collectives. Entretien.

Qui sont les ouvriers d’aujourd’hui?

Il y a, dans l’industrie du Guangdong, deux générations de travailleurs. D’un côté, des jeunes, parfois très jeunes, recrutés directement comme stagiaires dans les écoles professionnelles, puis embauchés dans les grandes entreprises, comme Foxconn [groupe taïwanais, essentiellement implanté en Chine et sous-traitant pour Apple, Motorral, Dell, etc.].

Là-bas, le travail est organisé en deux équipes, de jour et de nuit. Et tous les mois, les employés doivent changer. Ils travaillent dix heures par jour, parfois debout, accomplissant une tâche précise et répétitive. Plus éduqués que leurs aînés, ils ne se voient pas forcément proposer de tâches plus intéressantes. Passé l’âge de 30 ou 40 ans, ils n’ont plus l’énergie pour faire ce genre de travail.

A côté, il y a la première génération de travailleurs migrants, qui ont dépassé la quarantaine ou la cinquantaine. La vie dans les villes leur offre peu d’espoir d’amélioration, mais la plupart ont vécu trop longtemps loin de leur campagne d’origine pour envisager un retour. Ceux qui ne sont pas trop âgés peuvent continuer à travailler dans des usines moins exigeantes, le textile par exemple, ou se reconvertir dans les services. Les autres font des travaux plus durs ou moins qualifiés, comme gardiens, ou employés du bâtiment.

Il y a plus de mobilisation en Chine. Pourquoi?

Je vois deux raisons à cela: la plus grande maturité de la classe ouvrière et le ralentissement économique. Les ouvriers du Guangdong ont accumulé de l’expérience. Ils connaissent les processus et les cycles de production. Ils peuvent choisir le moment stratégique pour organiser leurs actions. Ils connaissent mieux leurs droits et ont les moyens de se défendre.

Par ailleurs, si les travailleurs de la première génération connaissaient des conditions difficiles, leurs salaires augmentaient régulièrement. Or, depuis 2014, les salaires n’ont presque pas bougé et, début mars 2017, le Guangdong a annoncé le gel du salaire minimum pour la troisième année d’affilée. Les jeunes sont en colère et se mobilisent facilement. Quant aux travailleurs plus âgés, souvent employés dans le secteur informel, ils prennent conscience de l’importance de la sécurité sociale. Et manifestent contre le non-paiement des cotisations sociales par leurs employeurs, ou contre des salaires en retard.

La répression des associations de défense des travailleurs, en 2015, a-t-elle eu un impact?

Non. La plupart des mouvements sont spontanés, ils ne sont pas organisés par ces associations. Le gouvernement ne peut empêcher les actions collectives qui prennent racine dans les lieux de travail. (Entretien publié en page 2 du cahier Economie&Entreprise du Monde, daté du 29 mars 2017)

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