Myanmar-Birmanie. Affrontements à Mandalay. La Russie apporte son soutien militaire à la junte

Par la rédaction de Frontier

Selon la lettre Frontier Friday du 25 juin 2021: des combats ont éclaté pour la première fois entre la Tatmadaw et la résistance civile dans la ville de Mandalay; Min Aung Hlaing s’est rendu en Russie pour renforcer les liens de défense; l’Assemblée générale des Nations unies a condamné le coup d’Etat alors que les sanctions occidentales se multipliaient; et la troisième vague du Covid-19 a continué de déferler. (Réd. Frontier)

Affrontements dans la ville de Mandalay

Des combats ont éclaté entre la Tatmadaw et la Force de défense du peuple de Mandalay (People’s Defence Force-PDF) dans le district de Chan Mya Tharzi mardi 22 juin, avec des rapports faisant état de victimes des deux côtés. Mandalay a été le cœur de la résistance anti-coup d’Etat pendant des mois, et a été l’un des premiers endroits où la junte a utilisé des mesures de répression meurtrières pour réprimer les protestations pacifiques. Alors que la ville a connu des massacres de civils dans le passé, c’est le premier incident rapporté d’une fusillade soutenue entre les soldats et la résistance civile.

Un porte-parole de la PDF a déclaré à Myanmar Now que la junte avait «reçu des informations sur l’endroit où nous nous trouvions», mais que la PDF avait également reçu un avertissement préalable et était donc préparée au combat. Lorsque les forces de sécurité se sont approchées de la maison, des membres des PDF ont ouvert le feu et les troupes de la Tatmadaw ont appelé des renforts. Les PDF ont déclaré à The Irrawaddy que les troupes de la junte avaient utilisé des grenades, des tireurs d’élite et des véhicules blindés pendant les combats. Des vidéos semblent montrer le tir d’une grenade propulsée par fusée, auquel l’Irrawaddy fait également référence dans son article en langue birmane.

Les rapports sur le nombre de victimes sont contradictoires, mais cela semble être dû en grande partie à la malhonnêteté de la junte. La chaîne de télévision Myawaddy TV, gérée par les militaires, affirme que huit membres des PDF ont été tués, quatre dans les combats et quatre dans un accident de voiture alors qu’ils fuyaient les lieux. Le rapport indique que huit autres ont été capturés vivants et qu’une fouille du bâtiment a permis de découvrir des bombes artisanales, des grenades à main, des armes légères et de petit calibre. Myawaddy n’a pas mentionné de morts ou de blessés du côté de la Tatmadaw. La PDF a contesté ce rapport, affirmant que seuls deux de ses membres sont morts tandis que six ont été capturés, tous étudiants et fonctionnaires en grève. Le porte-parole a également affirmé avoir pu tuer un lieutenant-colonel et un autre fantassin.

Le média local Shwe Phee Myay a cependant accusé la junte de mentir dans sa déclaration concernant les quatre hommes morts dans la voiture. Selon ce média, aucun d’entre eux n’était membre des PDF. Il s’agissait plutôt de quatre hommes en visite, pour affaires, à Mandalay depuis le nord de l’Etat Shan. Ils se dirigeaient vers une ferme avicole à l’extérieur de la ville lorsqu’ils ont rencontré les forces de sécurité, qui les ont soupçonnés d’être impliqués dans les combats et les ont poursuivis, provoquant un accident de voiture. Mais la femme de l’un des hommes décédés a également contesté qu’ils aient été tués dans l’accident – elle a insisté sur le fait qu’ils «n’étaient pas morts lorsque l’accident a eu lieu», ce qui semble suggérer un acte criminel.

Plusieurs ambassades occidentales à Yangon ont publié des déclarations appelant à la fin des violences. Les Etats-Unis ont déclaré qu’ils «suivaient les informations faisant état de combats en cours à Mandalay», y compris «d’éventuelles victimes civiles». Ils ont appelé à «la cessation des violences». L’ambassade de France a également publié une déclaration, indiquant que l’incident «met en évidence le besoin émergent de construire un processus de sortie de crise crédible et durable» dans le pays.

La violence ne s’est pas arrêtée à la fusillade de Chan Mya Tharzi. Le même jour, un policier a également été abattu près du département de la police de la région de Mandalay, dans le canton de Chan Aye Thar Zan, par des inconnus à moto. Les habitants ont fait état d’une sécurité renforcée pour le reste de la semaine, les soldats et la police fouillant les piétons et les véhicules dans toute la ville.

Min Aung Hlaing à Moscou

Min Aung Hlaing s’est rendu en Russie cette semaine – son deuxième voyage à l’étranger depuis le coup d’Etat – pour rencontrer de hauts responsables de la Défense et examiner les armes qu’il pourrait bientôt avoir l’occasion d’utiliser contre son propre peuple.

A son arrivée, il a été accueilli par le vice-ministre de la Défense, Alexander Fomin, puis a rencontré le secrétaire du Conseil de sécurité russe, Nikolai Patrushev, et un directeur général de Rosoboronexport, Alexander Mikheev. Le Conseil de sécurité est dirigé par le président russe Vladimir Poutine et a pour mission de superviser les questions de sécurité et de défense nationales. «Ils ont eu un échange de vues franc sur la coopération en matière de mesures de sécurité», indique l’article de l’officiel Global New Light of Myanmar (GNLM), ajoutant qu’ils «prévoient de renforcer les relations amicales existantes entre les deux pays et les deux forces armées».

Rosoboronexport est une entreprise publique d’exportation d’armes qui fait l’objet de sanctions étatsuniennes depuis 2015 pour avoir vendu des armes à l’Iran, à la Corée du Nord et à la Syrie. Au cours de cette réunion, le GNLM a déclaré qu’ils ont discuté de la «coopération en matière de technologies militaires», ce qui semble indiquer que la Tatmadaw espère mettre la main sur certaines de ces technologies militaires. Min Aung Hlaing a également assisté à la Conférence de Moscou sur la sécurité internationale, où il a pu voir d’autres jouets mortels. «Le général en chef et les participants à la conférence ont pu voir des armes militaires exposées par la société Rosoboronexport et d’autres entreprises», ont rapporté les médias d’Etat.

Le président Vladimir Poutine a fait une apparition par le biais d’un clip vidéo préenregistré, suivi d’un discours du ministre de la Défense Sergueï Shoigu, que Min Aung Hlaing a également rencontré en privé. Le porte-parole du Kremlin, Dmitri Peskov, a déclaré qu’«aucune rencontre avec [Poutine] n’était prévue», ce qui a été interprété comme un camouflet par certains. Les articles des médias d’Etat russes ont également évité d’identifier Min Aung Hlaing comme le dirigeant du Myanmar, le qualifiant plutôt de «commandant en chef». S’il s’agit d’une rebuffade, elle est relativement mineure, car la Russie semble toujours heureuse de fournir des armes à la Tatmadaw, ce qui est bien plus utile à Min Aung Hlaing qu’une poignée de main avec Poutine.

Le ministre de la Défense, Sergueï Shoigu, a compensé l’attitude distante de Vladimir Poutine en accueillant avec une «garde d’honneur» lors d’une réunion privée mardi soir. Selon l’article du Global New Light of Myanmar, les deux parties ont convenu de cimenter «les relations amicales existantes entre les forces armées des deux pays» et de promouvoir «la coopération dans le domaine des technologies militaires».  Dans les médias d’Etat russes, Sergueï Shoigu a qualifié le Myanmar de «partenaire stratégique digne de confiance et d’allié fiable dans la région de l’Asie du Sud-Est et de l’Asie-Pacifique». «Notre armée est devenue l’une des plus fortes de la région, grâce à la Fédération de Russie», aurait déclaré Min Aun Hlaing, remerciant Shoigu pour son soutien.

La communauté internationale condamne

Le voyage de Min Aung Hlaing en Russie est intervenu quelques jours seulement après que l’Assemblée générale des Nations unies a voté pour condamner le coup d’Etat et pour «arrêter le flux d’armes vers le Myanmar». La résolution a été adoptée par 119 voix pour et une seule contre, mais 36 pays se sont également abstenus, dont la Russie et la Chine. Malgré cela, la Russie n’a manifestement pas l’intention d’honorer cette résolution, certes non contraignante, et semble plutôt récompenser Min Aung Hlaing en lui offrant une virée shopping.

Le seul vote contre est celui de la Biélorussie, qui est confrontée à une crise similaire à celle du Myanmar. Fait inhabituel, même le représentant du Myanmar a voté en faveur de la résolution, l’ambassadeur des Nations unies Kyaw Moe Tun ayant continué à représenter le gouvernement civil. Le Brunei, le Cambodge, le Laos et la Thaïlande figuraient parmi les pays de l’ANASE qui se sont abstenus, tandis que la Malaisie, le Vietnam, l’Indonésie, Singapour et les Philippines ont tous voté pour. Comme à son habitude, la junte a rejeté la résolution, affirmant qu’elle était «fondée sur des allégations unilatérales et des hypothèses fausses». «Toute tentative d’atteinte à la souveraineté de l’Etat et d’ingérence dans les affaires intérieures du Myanmar ne sera pas acceptée», a-t-elle déclaré dans un communiqué. Le régime a également affirmé que le fait que Kyaw Moe Tun continue de représenter le Myanmar était «illégal» et que sa participation au vote était «illégitime et inacceptable».

L’Union européenne et le Royaume-Uni ont également introduit de nouvelles sanctions contre le régime, l’UE prenant des mesures sans précédent. Le Royaume-Uni a sanctionné Myanmar Timber Enterprise (MTE), Myanmar Pearl Enterprise et le Conseil d’administration de l’Etat, l’organe directeur de la junte, qui font tous déjà l’objet de sanctions occidentales plus ou moins importantes.

L’UE a également sanctionné MTE et Myanmar Gems Enterprise, qui avaient déjà été sanctionnés par les Etats-Unis, le Canada et le Royaume-Uni. Mais l’UE a également sanctionné une autre entreprise de bois soutenue par l’Etat, ce qui signifie qu’il n’existe «aucune source légale d’importation de bois, y compris de teck précieux, du Myanmar vers l’UE», selon l’Agence d’investigation environnementale [ONG basée à Londres et à Washington]. L’UE est également la première à sanctionner l’Organisation des anciens combattants du Myanmar, qui, selon elle, fait office de «force de réserve de la Tatmadaw et participe à l’élaboration de la politique nationale de défense et de sécurité». Enfin, l’UE a sanctionné huit personnes, dont le procureur général Thida Oo, le vice-ministre de la Défense, le major-général Aung Lin Tun, et le vice-ministre de l’Information, le brigadier-général Zaw Min Tun, dont aucune ne fait l’objet d’autres sanctions à notre connaissance.

Le Covid-19 dans tout le pays

Le ministère de la Santé de la junte a annoncé 3946 nouveaux cas de Covid-19 cette semaine (du 18 au 24 juin), et chacun des quatre derniers jours a vu un nombre record de nouveaux cas pour cette troisième vague. On a également enregistré 25 décès supplémentaires cette semaine, ce qui porte le nombre total de morts à 3275. Plus alarmant encore que les chiffres bruts, le taux de positivité, qui oscille autour de 12%, et la dispersion généralisée des cas.

L’Organisation mondiale de la santé considère qu’un taux de tests positifs de 5% est préoccupant. Nous avons largement dépassé ce chiffre et il est probable que des tests à plus grande échelle révéleraient que le virus est beaucoup plus répandu. Le Myanmar découvre également des cas dans tout le pays, et pas seulement dans quelques Etats ou régions. Si l’ouest de l’Etat Chin et la région de Sagaing ont été l’épicentre de la nouvelle épidémie, qui aurait traversé la frontière depuis l’Inde, nous constatons également une augmentation des cas ailleurs. Par exemple, Naypyidaw (la capitale) a signalé 74 cas samedi, Mandalay en avait 93 mardi et Bago [à 80 km au nord-ouest de Rangoun] en avait 104 mercredi.

La junte ordonne le confinement dans les villes les plus touchées. Elle décrète l’ordre de rester chez soi dans les districts de Letpadan et Phyu à Bago et sur le site de construction de Shwe Kokko dans l’Etat de Kayin. Elle ferme les marchés dans le district de Lashio dans l’Etat de Shan. Mais dans le même temps, le coup d’Etat a paralysé le secteur des soins de santé, les combats ont déplacé des milliers de personnes à travers le pays et la junte n’a montré aucun signe qu’elle allait privilégier les soins de santé par rapport à son propre désir de contrôle total. Exemple concret: les forces de sécurité ont fait une descente dans une organisation de la société civile où deux dissidents politiques atteints du Covid-19 s’isolaient, exposant presque certainement d’autres personnes au virus. (Texte de la lettre Frontier Fridays du vendredi 25 juin 2021; traduction rédaction A l’Encontre)

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