Débat. Notre étude sur les moteurs sociaux de la décarbonation révèle qu’un réchauffement climatique inférieur à 1,7°C n’est «pas plausible»

Par Christopher Hedemann, Eduardo Gresse et Jan Petzold

Si vous lisez la littérature scientifique, il semble y avoir d’innombrables voies et scénarios qui pourraient nous conduire à une décarbonation profonde mondiale d’ici à 2050, nous permettant d’atteindre l’objectif de 1,5°C. «C’est encore possible», dit-on, «si seulement nous avons la volonté politique».

Mais quelle est l’ampleur de notre volonté politique et, surtout, quelles sont les dynamiques sociales profondes qui la sous-tendent? Est-il non seulement possible, mais aussi plausible, de parvenir à une décarbonation profonde d’ici à 2050 et d’atteindre l’objectif connexe de 1,5 °C? Ce sont quelques-unes des questions que nous nous sommes posées dans le cadre de la récente édition inaugurale du Hamburg Climate Futures Outlook, un rapport compilé par plus de 40 universitaires issus de diverses disciplines, dont la sociologie, la macroéconomie et les sciences naturelles.

Nous avons adopté une nouvelle approche de l’étude de l’avenir climatique, qui va au-delà des efforts précédents du GIEC, de l’Agence internationale de l’énergie et d’autres organismes, qui ont évalué des avenirs simplement possibles ou réalisables. «Possible» décrit simplement une conformité avec les lois naturelles, tandis que «faisable» signifie qu’il n’y a pas ou peu d’obstacles à un avenir particulier. Par exemple, il est technologiquement et économiquement faisable (et clairement possible) que vous vendiez votre voiture et achetiez un vélo. Les vélos sont une technologie mature et moins coûteuse à entretenir que les voitures. Mais le ferez-vous? Il est également possible que 20% du Royaume-Uni devienne végétarien d’ici l’année prochaine. Mais le feront-ils?

Plausible, en revanche, signifie que quelque chose a plus qu’une chance infime de se produire – il a une probabilité appréciable. Dans le contexte de l’avenir du climat, cela signifie qu’un scénario n’est pas seulement réalisable, mais aussi qu’il existe un élan sociétal et une volonté politique suffisants pour que cet avenir se concrétise.

Il n’existe pas de limite quantitative stricte pour une probabilité «non négligeable» ou une volonté politique «suffisante». Mais notre évaluation n’avait pas besoin de couper les cheveux en quatre de cette manière. Les preuves étaient accablantes. 

Evaluer la plausibilité sociale et physique

Dans notre étude, nous avons d’abord dressé un tableau, à partir des recherches existantes, de ce qui est nécessaire pour une décarbonation profonde d’ici à 2050. Les technologies à émissions négatives comme le BECSC [Bioénergie avec captage et stockage de dioxyde de carbone] – qui consiste à brûler des biocarburants pour produire de l’énergie et à capter le CO? qui en résulte – peuvent y contribuer. Mais ces technologies ne peuvent pas être la solution complète, car il existe des obstacles de faisabilité pour les déployer à grande échelle.

Une décarbonation profonde exige que nous réduisions d’abord les émissions anthropiques. En fait, nous devons réduire les émissions d’année en année d’ici à 2050, ce qui équivaut à peu près aux réductions de 7% observées pendant la pandémie de Covid-19. Etant donné que le développement à grande échelle et l’optimisation des technologies sans carbone peuvent prendre des décennies et que les effets de verrouillage [dépendance face à une offre avec difficulté de changement] nous engagent à utiliser les technologies que nous choisissons aujourd’hui pour les années à venir, nous devons également agir rapidement.

Pour étudier les dynamiques sociales nécessaires à une transformation aussi rapide, nous avons examiné dix moteurs sociaux de la décarbonation: la gouvernance climatique des Nations Unies, les initiatives transnationales, la réglementation liée au climat, les protestations et les mouvements sociaux liés au climat, les litiges climatiques [par exemple, le jugement de La Haye aux Pays-Bas contre Shell pour le contraindre de diviser par deux ses émissions de CO2 d’ici à 2030], les réponses des entreprises, le désinvestissement des combustibles fossiles, les modes de consommation, les médias et la production de connaissances. Nous avons étudié les trajectoires actuelles de ces «moteurs sociaux», mais aussi les conditions favorables ou contraignantes qui influencent leur développement futur.

Nous avons constaté, par exemple, que la consommation continuera de croître en raison d’un manque de réglementation et de fortes habitudes culturelles de consommation, «verte» ou autre. Alors que la façon dont nous consommons a changé rapidement pendant la pandémie, en se déplaçant vers les plateformes de vente en ligne, ce que nous consommons et la quantité que nous consommons sont ancrés dans les habitudes et les attitudes culturelles.

Nous avons constaté que le désinvestissement – la vente d’actions et de produits financiers dans les infrastructures de combustibles fossiles – se concrétise dans une certaine mesure, mais avec des retombées négatives inattendues, par exemple lorsque des Etats-nations désinvestissent chez eux mais réinvestissent dans les combustibles fossiles à l’étranger. Et nous avons constaté que les mouvements sociaux ont un effet positif dans certains pays, mais on ne sait pas encore comment leur vision politique va mûrir après la pandémie, ou dans des pays clés comme la Chine, où les protestations n’ont généralement pas d’influence sur la politique nationale.

Aucun des «moteurs sociaux» n’est suffisamment dynamique pour entraîner une décarbonation profonde d’ici à 2050, et deux d’entre eux, les modes de consommation et les réponses des entreprises, y font activement obstacle. Notre évaluation finale: même si une décarbonation partielle est actuellement plausible, une décarbonation profonde d’ici à 2050 ne l’est pas.

Nous avons ensuite combiné notre évaluation de la plausibilité sociale avec le dernier ensemble de scénarios socio-économiques d’émissions futures et les dernières recherches en sciences physiques sur la sensibilité du climat – à savoir de combien le climat se réchauffera après une quantité donnée d’émissions de CO?. Cette évaluation physique et sociale conjointe estime qu’un réchauffement inférieur à 1,7°C et un réchauffement supérieur à 4,9°C d’ici la fin du siècle ne sont pas plausibles actuellement.

Les scénarios socio-économiques les plus élevés et les plus bas sont jugés peu plausibles. Lorsque l’incertitude de la réponse climatique physique est prise en compte (ombres), la limite inférieure du réchauffement planétaire plausible d’ici à 2100 est de 1,7°C, et la limite supérieure de 4,9°C. Perspectives de l’avenir climatique de Hambourg

 

La partie est-elle terminée?

Alors, est-ce une preuve scientifique que nous devrions renoncer à l’objectif de 1,5°C? Absolument pas. Nous avons évalué l’état actuel des preuves dans les mondes physique et social, mais l’avenir est ouvert. C’est pourquoi nos perspectives sur l’avenir du climat sont conçues pour être une publication annuelle.

Une décarbonation profonde pourrait devenir plus plausible, mais cet avenir exigerait également une bonne dose de ténacité. Les réductions rapides des émissions pourraient mettre longtemps à se manifester dans les concentrations atmosphériques de CO? et les tendances au réchauffement – peut-être des décennies. Non seulement nous devrons mettre en œuvre des changements radicaux, mais nous devrons également rester engagés à mener ces changements à bien, au-delà du temps d’un cycle électoral.

Bien que l’objectif de 1,5°C soit possible, il n’y a actuellement aucune raison d’être optimiste quant à sa réalisation. Mais peut-être nos conclusions fourniront-elles exactement la motivation dont nous avons besoin pour y parvenir. (Article publié sur le site The Conversation, le 24 juin 2021; traduction rédaction A l’Encontre)

Christopher Hedemann, Eduardo Gresse et Jan Petzold sont chercheurs post-doctorants en avenirs climatiques, auprès de l’Université de Hambourg

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