Le 2 novembre 2011: un jour d’audace à Oakland

En marche vers le port d'Oakland pour mettre en place un piquet de masse

Par Eric Ruder

Les rues d’Oakland, Californie, ont résonné des voix des dizaines de milliers de personnes décidées à manifester le 2 novembre 2011, quand travailleurs, étudiants, militants, et personnes de toutes conditions, ont répondu à l’appel à la grève générale lancé par Occupy Oakland.

La détermination à Oakland fut égalée par des milliers de personnes à travers les Etats-Unis qui ont pris part à une journée nationale de solidarité. Cela une semaine après l’assaut brutal par la police qui avait transformé le centre-ville d’Oakland en quelque chose qui ressemblait à une zone de guerre – et qui a presque coûté la vie au manifestant Scott Olsen frappé à la tête par une grenade lacrymogène.

Des gens des alentours de la Baie de San Francisco ont répondu à l’appel à la grève générale de Occupy Oakland – des enseignants ne sont pas allés travailler, des étudiants ont quitté leurs auditoires, et des employés municipaux ont pris congé pour s’unir aux manifestants.

Le grand moment a été à la fin de l’après-midi, le cortège massif depuis le camp de Occupy sur la Frank Ogawa Plaza – rebaptisée Oscar Grant Plaza [du nom d’un Afro-Américain tué par la police à Oakland en 2009]  – devant l’Hôtel de ville, jusqu’au port d’Oakland, le cinquième du pays par le volume du trafic. La manifestation a bloqué l’équipe du soir quand les dockers ont refusé de franchir le piquet formé par environ 15’000 personnes.

«Il y a trop longtemps qu’on attendait ça», s’est exclamé James Curtis, membre du comité directeur de la section 10 du syndicat des dockers et manutentionnaires (International Longshore and Warehouse Union/ILWU). «Mais maintenant ils ont réveillé le tigre endormi.»

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La grève a suscité différentes formes de solidarité partout dans la ville. Les écoles publiques d’Oakland ont été le point de départ de cortèges d’élèves, d’enseignants et de parents, qui sont allés devant les sièges de l’Administration scolaire d’Oakland, de plusieurs banques et devant l’Hôtel de ville. Un autre cortège de 700 personnes du Laney Community College a bloqué une succursale de la banque Wells Fargo. Des centaines d’employés municipaux de la section 1021 de la Service Employees Union (SEIU) ont participé à la manifestation.

De nombreux enseignants des lycées, des collèges de quartier et de l’Université de Californie (UC) ont organisé des assemblées pour parler de l’économie et des «99%»; le syndicat des étudiants post-grades, la section 2865 de l’UAW, a demandé à ses membres de consacrer les cours à expliquer les coupes budgétaires.

Les rues d’Oakland ont pris un air de festival. Selon les estimations des militants, durant toute la journée, quelque 20’000 personnes ont passé par Oscar Grant Plaza, là où avait eu lieu une semaine auparavant une bataille quand les flics avaient chargé les manifestants de Occupy qui avaient été chassés à l’aube de la place.

Plus de 100 personnes avaient été arrêtées le 25 octobre, et la police avait utilisé des gaz lacrymogènes, des grenades paralysantes, des tirs de plomb-grenaille et des balles en caoutchouc. Une de leurs victimes avait été Scott Olsen, un vétéran de la guerre d’Irak qui avait été touché par une grenade lacrymogène. Il est toujours à l’hôpital avec une fracture du crâne et une lésion au cerveau.

Mais le 2 novembre 2011, l’ambiance sur Oscar Grant Plaza était très différente. Des personnes de tout autour de la Baie y sont venues pour participer aux activités du camp de Occupy – avant d’aller aux autres manifestations partout dans la ville, qui ont mis en évidence une multitude de doléances, depuis les saisies de maisons jusqu’aux coupes dans les services municipaux en passant par les attaques contre les syndicats.

«Nous voyons nos enfants coincés dans le pipeline des prisons, sans perspective d’emplois ni travail sensé», a déclaré Betty Olsen-Jones, la présidente de l’Association de l’éducation d’Oakland. «Nous souffrons de l’augmentation du nombre d’élèves par classe et de l’imposition d’en haut d’un programme scolaire; et nos enfants savent que le système considère les banques et les entreprises plus importantes qu’eux.»

«C’est décisif que nos élèves voient leurs enseignants lutter pour leurs droits. Aujourd’hui, nous faisons l’histoire. Nous voulons un monde qui ne soit pas divisé entre les 99% et le 1%.»

Dana Blanchard, enseignante à Berkeley, était la porte-parole officielle pour la journée d’action de la Fédération des enseignants de Berkeley. «Les enseignants et les élèves en ont assez», a-t-elle déclaré. «Aujourd’hui, nous montrons à quoi peut ressembler une riposte communautaire [au sens des habitants qui forment un ensemble de quartiers] unie.»

Parmi les participants, il y avait une délégation assez importante de vétérans des guerres d’Irak et d’Afghanistan, venus pour manifester leur solidarité avec Scott Olsen.

Le Labour Council du comté d’Alameda a appelé ses membres et ses permanents à soutenir la journée d’action du 2 novembre. Dans la soirée, il a organisé un barbecue sur la Oscar Grant Plaza pour donner à manger aux milliers de personnes qui arrivaient en masse au centre-ville après leur journée de travail. Les camionneurs de la section 70 du syndicat des «teamsters», quant à eux, ont parqué au milieu de la place leurs camions à 18 roues peints de couleurs vives.

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A la fin de l’après-midi, plusieurs vagues de manifestants se sont réunies en un cortège  pour établir un piquet visant à fermer le principal atout économique de la ville: le port d’Oakland.

A 16 heures, 2000 personnes se sont mises en marche, et à 17 heures, 4000 autres. Alors qu’elles se mettaient en route, le groupe Earth Amplifier et Jennifer Jones chantaient une sérénade appelée «We are worldwide» (Nous sommes dans le monde entier). Quelques minutes plus tard, une délégation de travailleurs de Unite Here, la coalition de syndicalistes noirs, la section 5 des United Food and Commercial Workers, la section 1021 du syndicat des services SEIU, et d’autres, se dirigeaient également vers les docks.

Les manifestants sont arrivés au complexe portuaire géant et se sont répartis les différentes entrées. Occupy San Francisco s’est chargé d’une entrée, tandis que les militants d’Oakland se répartissaient les autres. Tandis que l’équipe de 19 heures approchait pour prendre son service, il y avait des milliers de manifestants à chacune des portes principales.

Après plusieurs heures de piquet, le responsable du port prit la décision de fermer les docks d’Oakland pour la nuit. Les manifestants jubilaient et fêtaient la victoire de la grève générale, et la plupart retournèrent au centre-ville autour de Oscar Grant Plaza, où les rues résonnaient de musique, de chants et de discussions animées.

A la différence de leur assaut vicieux de la semaine passée, le Département de police de Oakland (OPD) fut pratiquement invisible le 2 novembre 2011, lors des manifestations durant la journée, jusqu’à la fête de la nuit, et durant la marche vers les docks. La maire d’Oakland, Jean Quan, et d’autres responsables de la ville ont fait marche arrière depuis l’assaut de la police d’il y a une semaine. Ils ont sans doute fait pression pour que la police se conduise au mieux, dans l’espoir de récupérer les quelques parcelles de légitimité qui leur restent.

Mais les manifestants estiment que les flics cherchent aussi une brèche pour réaffirmer leur autorité. Ils peuvent avoir adopté une attitude de laisser-faire pour essayer de démontrer que sans eux, ce serait le «chaos» – même si toute la journée a été presque entièrement pacifique, en bon ordre et festive.

«La tentative de l’OPD de se faire passer pour une partie des 99% prétérités est contredite par sa longue histoire de violence raciste et de répression des protestations», a déclaré Todd Chretien, un membre de l’International Socialist Organization (ISO). «L’année passée, la maire Jean Quan, était dans la rue avec les manifestants contre l’OPD (Oakland Police Department), mais maintenant elle essaye de jouer à être des deux côtés de la barricade.»

Quoi qu’il en soit, ni la police, ni les magistrats de la ville, ni les responsables patronaux n’ont pu arrêter la démonstration d’audace des manifestants dans les rues de la ville et aux portes du port d’Oakland.

«Oakland est le moteur économique de toute la Baie de San Francisco», a déclaré à la radio publique de Fresno Jack Heyman, un docker à la retraite et militant de la section 10 du syndicat des dockers. «Des milliers marchent vers le port, qui est contrôlé par le 1%, les grands capitalistes, et en marchant vers le port et en le fermant, ils montrent non seulement à Oakland, mais aux yeux du monde entier, la force qu’a la classe ouvrière.»

Heyman a remercié les jeunes dockers qui ne sont pas venus travailler le matin du 2 novembre, handicapant les activités du port déjà le matin. «Je félicite les jeunes gens qui ont refusé de travailler ce matin», a déclaré Heyman. «C’est pourquoi les armateurs ont eu une vraie difficulté à réunir des équipes de dockers.»

Le spectre des travailleurs en grève et d’une journée de protestations massives a suffi pour décider de nombreuses entreprises parmi les plus grandes d’Oakland à fermer pour la journée, ce qui a augmenté encore le nombre de manifestants dans les rues.

«Les gens se rallient à cette cause dans tout le pays, et maintenant elle paraît plus légitime», a affirmé Gregory Bevin, un lycéen de 17 ans de la Skyline High School. «En tant que 99%, nous devons nous prononcer contre les lois pénales three strikes and you’r out [1]. Il y a eu une guerre contre les jeunes, toute une génération de jeunes Noirs ont été perdus dans les prisons. Si nous pouvions libérer ces gens, ils pourraient nous aider à construire un monde meilleur.»

Powell DeGrange, qui a 26 ans et habite Oakland, exprimait sa joie de participer à un mouvement mondial: «Nous avons été excités d’apprendre qu’en Egypte, ils ont manifesté en solidarité avec Oakland. Nous les avons soutenus et maintenant c’est eux qui nous soutiennent. Nous appartenons à un mouvement mondial contre la même cupidité et le même impérialisme.»

[1] Depuis une vingtaine d’années, de nombreux états des Etats-Unis ont institué la règle pénale qu’à la deuxième récidive (three strikes = la troisième condamnation), quels que soient les délits commis et leur gravité, la peine est obligatoirement la prison à perpétuité.

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Eric Ruder a publié cet article sur le site socialistworker.org de l’International Socialist Organization (ISO), en date du 3 novembre 2011. (Traduction A l’Encontre)

 

Rédaction:
Selon le New York Times (online), le jeudi 3 novembre, les autorités portuaires affirmaient que le blocage du port n’avait abouti à aucun dommage matériel. Mais dans la nuit du 2 au 3 novembre, quelques actions ultra-minoritaires, politiquement stupides et surtout peu respectueuses de la volonté de la très large majorité des manifestant·e·s, ont offert l’occasion rêvée à la police d’intervenir brutalement. Ces «incidents» posent la question des modalités d’action du mouvement Occupy. Très majoritairement, il a choisi des initiatives qui permettent le ralliement le plus large possible des multiples secteurs sociaux qui sont frappés par la crise capitaliste et la politique bipartisane. Cela afin de construire une vaste coalition sociale, condition sine qua non pour susciter une dynamique politique nouvelle aux Etats-Unis. Le 2 novembre 2011 fut l’expression de la validité de cette orientation.

 

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