Etats-Unis. A l’ombre des «scandales» à la Trump: la contre-réforme historique, la «Welfare Reforme 2.0»

Editorial de Socialistworker

Alors que les enquêteurs du FBI passent au crible les indications des antécédents criminels de Donald Trump, saisies dans le bureau de son avocat personnel [Michael Cohen, le 9 avril 2018], Trump et ses proches républicains se précipitent pour obtenir ce dont on pourra se rappeler comme leur dernier grand objectif: détruire ce qui reste du filet de sécurité sociale afin de payer les réductions d’impôts accordés aux milliardaires et les gâchis du Pentagone.

Ces escrocs appellent leur plan: «Welfare Reform 2.0». Et, au même titre que l’escroquerie originale initiée par le démocrate Bill Clinton et le républicain Newt Gingrich en 1996, ce plan s’appuie sur l’affirmation erronée selon laquelle la «mise au travail» (comme condition pour une «aide sociale») permet aux gens de sortir de la pauvreté en mettant fin à leur supposée dépendance à l’égard d’un «gouvernement replet».

Les sondages montrent que ces revendications condescendantes et racialement codées ont beaucoup moins de crédibilité auprès du public qu’il y a 20 ans. Mais il faudra des protestations, et non des sondages, pour empêcher Trump et sa bande de voleurs de s’en tirer avec cette attaque historique.

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Le 10 avril, Trump a signé un décret exécutif appelant les agences fédérales à forcer un plus grand nombre de bénéficiaires du Medicaid [assurance maladie pour les personnes à très bas revenus], de coupons alimentaires et de logements sociaux à travailler pour obtenir ces prestations – et à forcer ceux qui travaillent déjà à travailler davantage.

Deux jours plus tard, les républicains de la Chambre des représentants ont présenté un plan, à l’intérieur du Farm Bill de 2018, qui élargira les exigences de travail conditionnant le Programme d’aide alimentaire supplémentaire (SNAP), mieux connu sous le nom de coupons alimentaires. Cela en éliminant les exemptions de conditionnalité pour les personnes vivant dans les États ayant un chômage élevé et pour les parents d’enfants de plus de cinq ans.

En d’autres termes, le président qui a fait campagne en promettant d’élargir les programmes de garde d’enfants cherche maintenant à enlever de la nourriture aux mères qui ne travaillent pas parce qu’elles n’ont pas accès à des services de garde d’enfants à des prix abordables.

Ces propositions de travail conditionnel [«workfare»] sont impossibles à réaliser pour beaucoup de gens. Mais c’est précisément le but. L’objectif de Trump n’est pas de réduire la pauvreté, mais de réduire les dépenses consacrées à la pauvreté.

C’est ce qui ressort clairement du budget proposé par la Maison-Blanche en février 2018, qui prévoit le prélèvement de 17 milliards de dollars sur le SNAP en 2019 – une réduction de 22%  – et la réduction de plus de 200 milliards de dollars au cours de la prochaine décennie.

Le budget de l’administration prévoit également des coupes drastiques dans le logement public et la section 8 de ce programme, «à un moment où le logement public/social fait face à un arriéré de 40 milliards de dollars de besoins en capital», selon la National Low Income Housing Coalition.

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Ces attaques sur les programmes sociaux sont défendues par un éventail de politiciens et de «groupes de réflexion» («think tanks») aux mains d’idéologues milliardaires comme les frères Koch, avec des mensonges aussi éhontés et extravagants que tout ce que Trump a mis en avant concernant la fraude électorale ou l’ampleur de la foule présente à l’inauguration de son mandat.

Les Centers for Medicare and Medicaid Services (CMS), par exemple, ont eu le culot de prétendre, en février 2018, qu’imposer des exigences conditionnelles de mise au travail serait bon pour la santé des bénéficiaires de Medicaid parce que «les gains plus élevés sont positivement corrélés avec une durée de vie plus longue». Comme Christopher Baum l’a écrit pour Socialist Worker le 7 février 2018:

«Peu de gens contesteraient le fait que les gens qui ont plus d’argent peuvent généralement s’attendre à vivre plus longtemps et en meilleure santé, ou que les chômeurs et chômeuses ont tendance à souffrir de façon disproportionnée de problèmes au plan de la santé physique et mentale.

Mais dire que le fait d’avoir un emploi fait la différence – par opposition, par exemple, à un accès fiable à des “soins de santé de haute qualité” en raison de ressources financières plus importantes est absurde, même si l’on se fie aux normes dégradantes de l’administration Trump.»

Un autre mensonge mis en avant par la droite est que les bénéficiaires de l’aide sociale ne travaillent pas. En fait, comme l’a expliqué Valerie Wilson de l’Economic Policy Institute au Washington Post :

«La vérité, c’est qu’une majorité de pauvres qui peuvent travailler, travaillent, plus de 60 pour cent. Le problème, c’est que leurs emplois ne sont pas assez rémunérés. Les personnes qui reçoivent l’aide sociale et qui ne travaillent pas ne choisissent pas entre un salaire à six chiffres ou rester à la maison. Prendre un emploi peu payé ne rapproche personne de la stabilité économique.»

Mais le grand mensonge de la «réforme de l’aide sociale» est – et a toujours été – que moins de personnes recevant de l’aide gouvernementale constitue en quelque sorte la preuve que moins de personnes ont besoin de l’aide gouvernementale.

La vérité est plus évidente et plus brutale: moins de personnes recevant de l’aide gouvernementale signifie simplement qu’un plus grand nombre de personnes se voient refuser l’aide gouvernementale.

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Les responsables de l’administration Trump, se faisant l’écho des positions développées par les firmes de propagande des frères Koch, affirment que la mise au travail conditionnelle dans Kansas, le Maine et en Alabama ont «sorti» les gens de la pauvreté. Mais la seule preuve à l’appui de ces affirmations repose sur des comparaisons statistiques fort peu robustes – de fait ineptes – et la diminution du nombre de cas d’aide sociale.

Comme le soutient Christopher Baum dans son article (sur le site socialistworker.org), les programmes d’aide sociale liés travail profitent aux grandes entreprises, non seulement en permettant des réductions d’impôt suite à la réduction des programmes sociaux, mais aussi en créant une main-d’œuvre encore plus précaire et donc exploitable :

«Selon le rapport de la Kaiser Family Foundation sur le «workfare» lié au Medicaid, environ 60% des personnes non âgées inscrites auprès Medicaid ont déjà un emploi aujourd’hui. Réfléchissez à la façon dont leur situation est sur le point de changer.

En vertu de la loi actuelle, si elles perdent leur emploi ou le quitte, leur couverture médicale se poursuivra sans aucun changement. Pour les personnes vivant au niveau du seuil de pauvreté ou sous ce seuil de pauvreté, il s’agit d’un filet de sécurité crucial, littéralement une question de vie ou de mort pour certains.

Toutefois, dans le cadre d’un programme de travail obligatoire («workfare»), les personnes inscrites ne disposent pas d’un tel filet de sécurité. S’ils perdent leur emploi, ils risquent de perdre aussi leur assurance-maladie, ce qui pourrait avoir des conséquences catastrophiques. Cela donne à l’employeur une très forte emprise sur eux.»

La mise au travail (conditionnelle pour recevoir une aide sociale) s’inscrit dans le déploiement d’un programme idéologique évident qui consiste à présenter les bénéficiaires des programmes gouvernementaux comme de «bons à rien», de «profiteurs» de l’argent des contribuables, par opposition à ces glorieux «entrepreneurs» siégeant dans les bureaux des conseils d’administration des firmes qui embauchent généreusement des personnes pour les faire trimmer comme des forçats, pour 11,50 dollars de l’heure.

Dans un pays construit sur le dos des esclaves africains, l’idéologie anti-travailleurs est toujours truffée d’idéologie anti-Noirs. Les campagnes contre les programmes d’aide sociale s’étalent, sous toutes les coutures, sur la base de stéréotypes ignobles sur la prétendue ignorance et la paresse des Noirs, même si la plupart des bénéficiaires sont généralement blancs.

Le leader républicain de la Chambre, Paul Ryan, a donné un exemple typique de cette rhétorique de bas étage en 2014, lorsqu’il a dénoncé un «effondrement de la culture, en particulier dans nos centres-villes, parmi les hommes qui ne travaillent pas et de générations d’hommes qui ne pensent même pas à travailler ou à apprendre la valeur et la culture du travail».

Jonah Birch et Paul Heideman ont décrit dans la revue Jacobin comment ce message commun a réussi à stigmatiser le «welfare» (l’aide sociale de base) dans les communautés blanches et noires :

«Un certain nombre d’études ont révélé que les assistés sociaux, y compris les Noirs américains, estiment que les gens profitent du système et reçoivent des prestations alors qu’ils ne devraient pas le faire. Ici, la diabolisation constante des assistés sociaux a eu un effet sur les assistés sociaux eux-mêmes. Tout en attribuant leur propre utilisation de cette aide comme relevant de facteurs structurels tels que la discrimination et le chômage, ils attribuent néanmoins l’utilisation du système par d’autres à la paresse (ce qui est important, cependant, est que cette suspicion ne s’étend pas à un soutien politique aux attaques contre le «welfare state», attaques auxquelles s’opposent constamment les bénéficiaires de prestations).

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Comme l’expression «Welfare Reform 2.0» l’implique, le modèle pour ces attaques vicieuses de droite est la loi que les démocrates ont défendue en 1996 en tant que la clé de la réélection réussie de Bill Clinton: le Personal Responsibility and Work Opportunity Reconciliation Act (PRWORA).

Cette loi a remplacé le programme d’aide aux familles avec enfants à charge (AFDC) créé dans le cadre du New Deal par le programme d’aide temporaire aux familles dans le besoin (TANF). Tristin Adie a résumé l’importance de ce changement pour SocialistWorker.org à l’occasion du 20e anniversaire de la loi:

«Pendant 60 ans, l’AFDC a fourni une aide fédérale aux bénéficiaires qui remplissaient les conditions d’admissibilité sur la base de leur revenu, par le biais de subventions de contrepartie pour les fonds dépensés par les différents Etats. Que le nombre de bénéficiaires soit au nombre de 200 ou de 2 millions, l’AFDC a alors garanti que les personnes qui avaient besoin d’aide en recevraient…

Cette notion a été supprimée par TANF. Les Etats ont reçu une subvention globale à utiliser comme bon leur semblait… Si ces fonds ne pouvaient répondre aux besoins du nombre total de personnes admissibles, qu’il en soit ainsi! L’aide garantie à toutes les personnes admissibles n’existait plus.»

Le financement du TANF est resté stable depuis 1996, ce qui équivaut à une réduction de 30 % après prise en compte de l’inflation. Les niveaux de financement sont restés fixes même en 2008, lorsque le pays a traversé la pire crise économique depuis la Grande Dépression et que le taux de chômage officiel a atteint les deux chiffres.

Lors de la cérémonie de signature de la PRWORA, Clinton a déclaré que la nouvelle loi «nous donne une chance que nous n’avons jamais eue auparavant de briser le cycle de dépendance qui a exilé des millions et des millions de nos concitoyens et concitoyennes du monde du travail».

Selon Clinton, écrit l’Adie, «bien que près d’un tiers des bénéficiaires de l’aide sociale, avant 1996, étaient des femmes qui étaient elles-mêmes handicapées ou qui s’occupaient d’enfants handicapés. Clinton a ignoré les rapports de son propre ministère de la Santé et des Services sociaux selon lesquels environ 1,1 million d’enfants seraient plongés dans la pauvreté».

Les résultats ont été désastreux pour les pauvres. Environ 23% des familles pauvres avec enfants ont reçu des prestations en 2014, une baisse 68% comparée à 1996. Et 23% reçoivent une pitance de misère: aussi peu que 170 $ par mois pour une famille de trois personnes dans le Mississippi. Aucun État ne fournit une aide TANF qui représente même la moitié du seuil de pauvreté officiel.

En conséquence, le nombre d’Américain·e·s qui vivent dans l’extrême pauvreté, définie comme étant moins de 2 dollars par jour, a augmenté de 159%, soit un total de 1,65 million de foyers, depuis que Clinton s’est vanté de toute la reconnaissance et de toute la dignité qu’il offrait aux pauvres.

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Maintenant, les républicains voient une occasion historique de mener à bien la prochaine phase pour mettre fin aux grandes réformes de la protection sociale du XXe siècle, non pas parce que leurs propositions sont populaires, mais parce que la présidence de Trump a signalé l’érosion de toute prétention (officielle à s’y opposer).

En d’autres termes: c’est le temps du pillage, jusqu’à ce que quelqu’un les arrête.

Pour la plupart des gens, la façon la plus logique de bloquer l’attaque des républicains sera de voter pour leurs principaux opposants, les démocrates, dans l’espoir qu’ils remporteront l’une ou les deux chambres du Congrès des démocrates, en novembre prochain (élections de mi-mandat).

Ou alors prier pour que Trump soit «sorti» de la Maison Blanche les menottes aux poignets.

Mais l’enthousiasme pour les élections de novembre 2018, bien que compréhensible, ignore l’histoire évidente montrant que les démocrates sont également déterminés à «réformer» les programmes de protection sociale pour les faire tomber dans l’oubli.

Bill Clinton n’était pas une exception historique. Barack Obama a essoré les dépenses sociales. Alors que ses apologistes prétendent qu’il a été forcé de le faire par un Congrès républicain hostile, l’histoire réelle montre qu’Obama a initié des négociations pour évider la sécurité sociale et le régime d’assurance-maladie. Seul le fanatisme républicain a fait obstacle à cette opération.

Le fait est que les millions de personnes qui veulent mettre fin aux attaques de Trump contre les programmes sociaux doivent prendre les choses en main, directement. La vague de grèves des enseignants a montré que les gens ordinaires ont la force collective pour vaincre le pouvoir républicain bien établi, sans avoir à compter sur des demi-mesures et des concessions démocrates minables.

La lutte contre la «Welfare Reform 2.0» doit concilier la renaissance des mobilisations de salarié·e·s dans des Etat républicains avec la politique antiraciste du Mouvement Black Lives Matter.

C’est un travail important, effectif, et il faut le commencer dès maintenant, pas après le 6 novembre. (Editorial publié le 17 avril 2018, sur le site socialistworker.org ; traduction A l’Encontre)

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