Syrie. Confiscation par le régime des biens immobiliers de millions de réfugiés?

Par Baudoin Loos

L’avenir de la Syrie d’après-guerre se prépare. Le conflit est loin d’avoir connu son épilogue mais le régime de Bachar el-Assad, fort de ses succès militaires dus au soutien de ses alliés russes et iraniens, met déjà en place le cadre «légal» de demain. Ainsi, le 2 avril dernier, une nouvelle prescription – la «loi nº 10» – a été adoptée, selon l’agence officielle Sanaa. Cette loi révise l’enregistrement des biens immobiliers à travers le pays. Et stipule que tout propriétaire doit aller montrer à l’administration ses titres de propriété avant le 11 mai 2018. Sans quoi, les biens seront vendus aux enchères. Des millions de réfugiés syriens exilés ou déplacés à l’autre bout du pays sont pris au piège.

«J’avais toujours espéré rentrer un jour, explique sur le site Syria Direct Salim Muhammad, originaire d’un village près de Homs et réfugié en Jordanie. Cette loi détruit tous mes espoirs.» Pourtant, ce Syrien qui avait fui les bombardements du régime avait pris le titre de propriété de sa maison et de sa terre avec lui lorsqu’il était parti en 2012. Mais il risquerait une arrestation immédiate s’il rentrait. «Je suis poursuivi par le régime pour incitation et participation à des manifestations. Je comprends que le régime s’en prend à nos propriétés par une nouvelle loi qui sert ses intérêts.»

La loi nº 10 permet certes aux propriétaires absents de se faire représenter auprès de l’administration par un membre de leur famille proche. Mais, dans le cas de la majorité des réfugiés, soit ils n’ont plus de famille sur place soit elle n’oserait jamais se présenter à l’administration pour faire valoir des titres de propriété de personnes que le régime considère comme des ennemis.

Qui est concerné par cette loi? Les réfugiés, visiblement. Ils seraient entre 11 et 13 millions sur les 22 millions de citoyens que comptait la Syrie en 2011. Cinq ou six millions vivent à l’étranger, en Turquie, au Liban, en Jordanie ou ailleurs, alors que les autres millions ont été déplacés – contraints à l’exode – d’une région à l’autre du pays. Une bonne partie, au moins un million de personnes, a trouvé refuge ces deux dernières années dans la province d’Idlib, dans le nord-ouest, la seule qui reste encore presque intégralement aux mains de divers groupes rebelles.

Selon des enquêtes du Norwegian Refugee Council et du Haut-Commissariat aux réfugiés 17 % des réfugiés à l’étranger et 9 % des réfugiés internes ont emporté leurs titres de propriété, mais peu seront en mesure de les exhiber devant l’administration locale syrienne ou oseront tenter de le faire…

Certains font le rapprochement avec une loi restée célèbre en Israël, adoptée après la création de l’État en 1948. C’est le cas du juriste Nizar Ayoub, qui a fondé Al-Marsad, un centre des droits de l’homme situé dans le Golan syrien annexé par Israël, qui s’est exprimé sur le site d’Al-Jazeera. «À l’instar de la loi sur les propriétaires absents qui a permis aux Israéliens de se saisir de biens de Palestiniens forcés à quitter leurs terres, la nouvelle loi d’Assad pourrait voir l’État confisquer les terres de millions de Syriens déplacés ou réfugiés», soutient-il.

À qui profiteraient les maisons et terres ainsi bientôt saisies par le régime syrien? Aux Syriens clients du régime, répond l’opposition.

D’autres vont plus loin et appréhendent des desseins de reconfiguration «ethnique» qui verraient le régime tenter de faire venir dans le pays des familles arabes chiites d’Irak ou d’ailleurs dans le but de modifier les équilibres en Syrie, puisque l’immense majorité des réfugiés est sunnite.

«La nouvelle loi va légitimer les plans de l’Iran, sectaire et expansionniste, relatifs au changement démographique de la Syrie, estime Yasir Ferhan, de la Coalition nationale de l’opposition syrienne. Cette procédure révèle la véritable intention du régime d’Assad.» (Article publié dans le quotidien Le Soir, daté du 19 avril 2018; titre de la rédaction de A l’Encontre)

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