Par Eric Favreau
Dans les trois jours, nous reviendrons sur divers aspects de cette «crise sanitaire», dite du virus Ebola. Car on passe de la «crise sanitaire» à la «crise sécuritaire», avec une «mobilisation générale» qui tend à faire oublier où est le centre du déclenchement de l’épidémie: l’Afrique de l’Ouest. Soit un ensemble de pays colonisés, soumis par la suite à des ajustements structurels du FMI, avec la complicité active «d’élites» obéissant aux ordres des ex-pays coloniaux. Ces derniers sont de retour, pour diverses raisons, en tant que «soignants». Ou en tant que préparation militaire d’un affrontement contre le «bioterrorisme»? Se combinent maintenant dans ces pays: crise sanitaire, crise alimentaire, régimes de plus en plus discrédités, crise sécuritaire et la présence militaire «rassurante» de pays protecteurs, depuis longtemps. Dans la foulée, psychose et stigmatisation anti-black se combine. Simultanément, l’attention du public occidental est centrée sur des pays du «centre»: de l’Espagne à la France, en passant par les Etats-Unis ou la Grande-Bretagne. Ce qui a pour effet, au moins, de mettre en relief le déclin et les failles de certains systèmes de santé modernes suite à l’austérité et à la gestion entrepreuneuriale du secteur de la santé, comme le faisait l’article publié sur le «cas» de la soignante espagnole. Dans ce sens, l’article ci-dessous va dans une direction analogue, même si son angle d’approche n’est pas déterminé par la réaction raisonnée du personnel hospitalier, comme celui de l’hôpital Carlos III. Voir sur ce site les articles publiés depuis le 10 août 2014, en inscrivant Ebola sur le moteur de recherches du site. (Rédaction de A l’Encontre)
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La panique? Non, mais l’affichage d’une vigilance extrême. Même le vocabulaire se veut plus dramatique. Ces derniers jours, l’épidémie d’Ebola, qui a fait près de 4500 morts, est décrite comme «la plus grave urgence sanitaire de ces dernières années» par les responsables occidentaux, qui redoutent désormais une contagion dans leurs pays. Jeudi 16 octobre 2014, en fin d’après-midi, un cas suspect a ainsi été évoqué concernant une infirmière de l’hôpital militaire Bégin de Saint-Mandé (Val-de-Marne), c’est-à-dire dans l’établissement même où avait été prise en charge l’infirmière de MSF rapatriée en France après avoir été infectée (et désormais guérie).
De fait, le virus continue de courir plus vite que la réponse qui lui est apportée. Il y a dix mois, lors de son apparition en Afrique de l’Ouest, nul ne pouvait imaginer qu’Ebola déstabiliserait comme jamais cette région. Et pas un expert, non plus, n’aurait prévu que les pays occidentaux allaient craindre une épidémie de ce virus très particulier sur leur propre territoire.
Jeudi, le Conseil de sécurité des Nations unies a élevé le ton, demandant aux Etats membres de l’ONU «d’accélérer et d’étendre de manière spectaculaire leur aide financière et matérielle» aux pays touchés. De son côté, l’Union européenne a annoncé «procéder immédiatement à une vérification» de l’efficacité des contrôles anti-Ebola mis en place dans les aéroports des trois pays africains touchés. Barack Obama, qui a annulé tous ses déplacements mercredi et jeudi face au risque de propagation sur le sol américain après la contamination de deux soignantes, a promis une réponse «beaucoup plus agressive» pour éviter de nouveaux cas.
En France, par la voix du président François Hollande, on a appris que des contrôles de passagers à l’arrivée à Roissy sur le vol quotidien d’Air France en provenance de Conakry, la capitale guinéenne, allaient être mis en place. «Ces contrôles débuteront samedi matin», a précisé la ministre de la Santé, Marisol Touraine. Ils prendront la forme de prises de température des passagers et seront effectués par l’équipe médicale de l’aéroport de Roissy avec la Croix-Rouge et la Protection civile. Marisol Touraine a également annoncé un renforcement des contrôles au départ des vols, à Conakry. «La première précaution à prendre est de s’assurer que quelqu’un qui a de la fièvre ne monte pas dans l’avion.»
Comment expliquer un tel durcissement du dispositif alors que le contrôle en France des passagers est jugé inutile par les cliniciens interrogés par nous?«Il suffit amplement de surveiller au départ des aéroports de villes à risque», affirme ainsi un médecin. L’OMS va dans le même sens en estimant que les mesures à l’arrivée sont non seulement «coûteuses» mais «inefficaces». De son côté, le Conseil international des aéroports, qui regroupe 44 pays, a surtout demandé une coordination des mesures «pour éviter des recommandations contradictoires».
Le contrôle à Roissy n’est-il donc instauré que pour rassurer? «A l’heure à laquelle je vous parle, nous n’avons pas de cas», a rappelé, jeudi, Marisol Touraine, insistant ensuite sur le dispositif déjà en place : l’Institut de veille sanitaire est «en état de veille renforcée», 23 lits sont disponibles dans les 12 hôpitaux de référence pour ce virus en France, auquel s’ajoutent 13 lits en réanimation.
De fait, la bascule dans l’inquiétude s’est faite avec l’apparition des cas d’Ebola, non plus importés,mais contractés dans les pays occidentaux. Ils sont pourtant très peu nombreux: à ce jour, deux aux Etats-Unis et un en Espagne. Mais ils intriguent fortement. Comment se fait-il que dans ces pays où les systèmes de santé sont a priori performants, où des protocoles de vigilance, de surveillance et de prise en charge ont été élaborés, ces cas ont pu survenir?
En Espagne, manifestement, cette contamination a révélé des défaillances en série dans la prise en charge, l’épidémie se révélant être un miroir du système de santé en pleine crise sociale. Le secteur, qui comptait 505’000 employés en 2012, en a perdu 28’500 en deux ans. L’hôpital madrilène Carlos III, où se trouve l’aide-soignante victime d’Ebola, a réduit de 12% son personnel en 2013 et son service spécialisé dans le traitement de maladies hautement infectieuses était cet été en cours de fermeture. «Evidemment que les coupes se ressentent, explique le Dr Paulino Cubero, un généraliste du centre. Quand un collègue est absent, les patients prévus ce jour-là doivent être répartis» entre les autres médecins et l’attente se fait plus longue. «Les économies ont été très mal pensées», a encore dénoncé ce médecin. Est-ce pour cela que l’aide-soignante a été contaminée? A trois reprises, elle a été renvoyée chez elle, et les règles de sécurité sanitaire n’ont pas été vraiment respectées.
Les deux cas américains sont d’une certaine manière beaucoup plus problématiques. Ils interviennent dans un pays obnubilé par les règles sécuritaires, et où Ebola, depuis dix ans, est considéré sous l’œil du bioterrorisme. Résultat, des protocoles en pagaille ont été rédigés, mis en place, et évalués. Et pourtant, cela n’a pas suffi.
Dans le premier cas, l’aide-soignante travaillait au centre hospitalier Texas Health Presbyterian de Dallas, où est mort le Libérien Thomas Eric Duncan le 4 octobre. Elle faisait partie de l’équipe qui l’a traité après son hospitalisation, le 28 septembre. «Nous ignorons ce qui s’est passé au cours du traitement du patient de référence, c’est-à-dire le premier cas traité à Dallas, mais à un certain moment, il y a eu une faille dans le protocole qui a causé l’infection», a expliqué le Dr Thomas Frieden, directeur du Centre de contrôle des maladies (CDC). «A coup sûr, le protocole n’a pas été suivi», a ajouté le Dr Anthony Fauci, directeur de l’Institut américain des allergies et des maladies infectieuses. La soignante américaine infectée a pourtant indiqué avoir respecté les protocoles, et l’hôpital de Dallas a insisté sur le fait qu’elle portait l’équipement (masque, gants, tenue de protection) recommandé par le CDC.
«Cette contamination intrigue vraiment, analyse le professeur Gilles Pialoux, chef du service de maladies infectieuses à l’hôpital Tenon, à Paris. Une faille dans le protocole, mais laquelle? Est-ce une erreur? En tout cas, cela montre que les protocoles – aussi bien élaborés soient-ils dans un pays extrêmement attentif à ces questions – sont toujours mis en place, in fine, par des humains, avec toute la marge d’erreur que cela comporte.»
Quant à la seconde contamination de la soignante aux Etats-Unis, elle confirme la faille du dispositif, sans l’expliquer pour autant. Son histoire est quasi identique. L’Américaine a eu «beaucoup de contacts» entre les 28 et 30 septembre avec le Libérien hospitalisé à Dallas, mais toujours protégée. Plus troublant, elle a pris un vol intérieur un jour avant de ressentir les premiers symptômes. «Elle n’aurait pas dû voyager sur un vol commercial», a déclaré Thomas Frieden, qui a rappelé la nécessité, pour les personnes sous surveillance susceptibles d’être atteintes d’Ebola, de limiter leurs déplacements.
A l’évidence, les autorités sanitaires américaines ont trop fait confiance à leur dispositif, délaissant le côté aléatoire et humain en jeu dans toute épidémie. (Publié dans Libération le 16 octobre 2014)
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