Nicaragua. La répression accrue comme conditions d’une négociation?

Chronique depuis San José (Costa Rica)

Le 31 décembre 2018, dans un discours prononcé dans le quartier bunker de El Carmen à Managua, le président Daniel Ortega «a appelé à construire de nouveaux chemins pour l’année 2019», selon la formule de l’agence officielle du Venezuela, discours reproduit par le réseau de télévision.

Selon le communiqué de l’agence de presse contrôlée par le pouvoir de Nicolas Maduro: «Ortega a rappelé la tentative de coup d’Etat et les autres actions déstabilisatrices qu’a connues ce pays centre-américain d’avril à juillet 2018, qui ont coûté la vie à 199 Nicaraguayens (sic!) et blessés plus de mille, selon les données officielles.».

«Le leader sandiniste a exhorté a continué la lutte pour éradiquer la pauvreté et faire avancer les programmes relatifs au logement, à la santé l’éducation», ici selon la formule de l’agence cubaine Prensa Latina.

Un croirait le résumé d’un discours aux accents propres à un «stalinisme tropical», dans le lequel les maisons en papier pâte des Villages Potemkine – célèbres dans la Russie de Catherine II et repris sous d’autres apparences à l’époque de Staline – sont faites d’«arbres de Vie», si chers à la co-présidente Rosario Murillo.

Déchiffrer le cadre et le contenu d’un discours

Le discours a été prononcé dans la salle de réunion du Secrétariat, à El Carmen, sans drapeaux, mais avec beaucoup de fleurs.

On constatait l’absence de la police et de l’armée. La présence «officielle» se limitait à Gustavo Porras [président de l’Assemblée nationale], Fidel Moreno [qui dirige la municipalité de Mangua, en tant secrétaire général de la capitale] et Bosco Castillo [ ministre de la Jeunesse et dirigeant des dites Jeunesses sandinistes]. Ces trois-là – la jeune garde «orteguiste-murilliste» – ont une relation privilégiée avec Rosario Murillo, ce qui signifie que Murillo continue à faire de la politique quotidienne, depuis le 19 avril, date à laquelle elle a mis en place la politique du «On y va avec tout».

L’absence des autres membres du cabinet est frappante. Il est possible qu’ils aient quitté Managua pour les vacances ou qu’ils n’aient pas un poids politique significatif dans les décisions prises par Rosario Murillo.

Ce qu’ils ont réussi, c’est de remplir la salle de réunion du Secrétariat avec des jeunes qui n’ont aucune expérience politique et n’apportent rien en termes de développement d’une politique d’Etat; mais ils obéissent à la ligne politique de Murillo.

Ce qu’il a dit et ce qu’il n’a pas dit

Il n’a rien dit de pertinent qui ait de l’importance sur sa stratégie pour résoudre les principaux problèmes du pays. Donc une absence totale de propositions.

Il ignore une fois de plus les principaux problèmes du pays: la crise sociopolitique, l’aggravation de la récession économique, l’absence de légitimité internationale de son gouvernement, etc.

Il ne parle pas non plus des répercussions pour le pays de la loi Magnitsky Nica, de la loi Nica, des réunions de l’OEA, du rapport du GIEI (le Groupe interdisciplinaire d’experts indépendants) publié le 21 décembre et intitulé «Rapport sur les actes de violence commis entre le 18 avril et le 30 mai au Nicaragua». Un compte rendu utile est publié par Amnesty International à ce propos.

Toutes ces initiatives prises durant les derniers mois aggravent la récession économique et créent une distance accrue entre le gouvernement Ortega-Murillo et leurs alliés patronaux clés de la période passée.

Il y a deux lectures ou hypothèses possibles à envisager :

  • La première hypothèse est de ne pas bouger, de ne pas céder, d’attendre des temps meilleurs. Le régime Ortega-Murillo n’a pas de proposition et sa tactique/stratégie et se trouve en «pilotage à vue ». C’est-à-dire qu’ils agiront en fonction des circonstances, en s’y adaptant ponctuellement. Ils espèrent que les Etats-Unis n’agiront pas de peur de créer le chaos dans la région centraméricaine (avec les effets sur les migrations, entre autres).
  • Ils espèrent que la «communauté internationale» ne puisse continuer à avancer sur le terrain des actions concrètes (boycott, mesures visant des hauts personnages, gel des avoirs, etc.), une illusion sans fondement matériel.
  • Ils pensent toujours que les emprunts contractés pour 2019-2020 vont leur permettre de progresser et de survivre à la crise actuelle. C’est ce que révèle le budget approuvé pour 2019.
  • Ils continuent de penser que, malgré toutes les sanctions établies, les déclarations de OEA (Organisation des Etats-Américains dont l’Uruguayen, ex-du MPP des Tupamaros, et à la tête: Luis Almagro]; du IACHR (Commission interaméricaine des droits humains), le MESENI (Monitoring Mechanism for Nicaragua qui doit assurer le suivi du rapport du IAHCR ; du rapport GIEI, que tout cela n’a pas le pouvoir de les forcer à changer immédiatement de tactiques/stratégies.
  • Cette position va conduire le pays dans le précipice (il est déjà au bord), à un effondrement économique, à une crise sociale aux conséquences énormes pour la population entière, qui ne leur apportera aucun bénéfice.

La deuxième hypothèse indique qu’il y a une négociation en cours, une négociation qui ne peut être un retour aux conditions antérieures à avril 2018, mais qui offrirait un escalier de sortie pour Ortega-Murillo. Il y a plusieurs éléments qui pourraient indiquer qu’il y a négociation.

  • L’entreprise privée qui a déclaré, le 12 décembre 2018, qu’elle allait procéder à une marche (manifestation) ne l’a pas fait et ne s’est pas prononcée sur le Rapport du GIEI.
  • Les déclarations du Pape François, le 24 décembre, n’ont émis aucune condamnation pour les crimes commis tels que rapportés par le Rapport du GIEI ; ce pape demande seulement la réconciliation, il est connu que le Nonce apostolique (ambassadeur du Vatican) au Nicaragua – Mgr Waldemar Stanislaw Sommertag est favorable à la négociation.
  • Le discours final de Luis Almagro (OEA), s’est terminé dans l’espoir que la négociation sera menée à bien pour sortir de la crise socio-politique
  • Dans la logique de la future négociation, prévue pour janvier ou février 2019, Ortega poursuit la répression en évitant ainsi la résurgence d’un mouvement social, une deuxième vague de manifestations, qui repousse toute négociation, sans la participation des auto-convoqués. Avec la répression, Ortega a éliminé, concrètement, la force sociale de la rue, des «auto-convoqués» permettant aux pouvoirs traditionnels (partis, entreprise privée, église, armée, etc.) de participer à la négociation et de proposer une issue.
  • Les Etats-Unis continueront à faire pression pour que le régime accepte une négociation qui implique le retrait du pouvoir de Ortega-Murillo.
  • La sortie qui envisage la permanence d’Ortega-Murillo, la transparence électorale fin 2019 ou début 2020, etc.

Dans la logique de l’élimination permanente de la force sociale de la rue, de celle des auto-convoqués, on comprend mieux la volonté du gouvernement de forcer l’Église à suspendre le pèlerinage du 1er janvier [instauré en 1968 et même pas supprimé lors du tremblement de terre de 1972], ce qu’a fait le cardinal Leopoldo Brenes qui confirme que la suspension de ce pèlerinage traditionnel est due à la crainte que cette manifestation favorise la résurgence d’une deuxième vague sociale, qui gênerait encore davantage le gouvernement Ortega-Murillo dans ses objectifs d’obtenir une solution favorable à ses intérêts.

Pour s’assurer que ce pèlerinage ne se fasse pas, il a été ordonné un déploiement de la police, de la police antiémeute et des paramilitaires dans les secteurs du parcours indiqué pour cette activité et ses environs. (1er janvier 2018 ; Costa Rica, San José)

 

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