La présence massive de militaires dans les rues de Rio de Janeiro pour les Jeux olympiques n’est qu’un faible révélateur d’une tendance bien plus profonde à l’œuvre dans la société brésilienne.
Si l’on se fonde sur les données officielles, 68’000 agents de sécurité surveillent Rio de Janeiro, c’est-à-dire sept militaires par athlète (10’500 sportifs participent aux Jeux), sans compter 20’000 autres stationnés dans d’autres villes, dans les aéroports, aux frontières et dans les gares d’autobus. Le nombre total double celui des forces de l’ordre mobilisées pour les Jeux de Londres, bien qu’il n’atteigne pas celui atteint lors de ceux de Pékin en 2008, au cours desquels 110’000 soldats avaient été mobilisés. Il convient d’ajouter à ce chiffre énorme les 12 navires de grande taille, 50 de petite et les 28 hélicoptères.
Il y a à peine une semaine, l’ONG Justiça Global a diffusé un important rapport portant le titre de Violation des droits humains dans la ville olympique, un guide sur les atteintes que l’événement provoque dans les couches populaires de la ville.
Ce document de 44 pages commence par souligner «la souffrance d’une ville dans son ensemble, la douleur qui a progressivement grandi et qui a été vécue pendant les années de préparation du principal événement sportif du monde.» La ville s’est transformée «en guichet de commerce en faveur des grandes entreprises de la construction, des entrepreneurs, des compagnies de transport, du capital privé». Par contre, pour les secteurs populaires, la préparation des Jeux a impliqué «l’approfondissement des processus de ségrégation socio-spatiaux de contrôle et de privatisation de l’espace public, de destruction de la population noire et pauvre.»
Pour rendre possible les travaux des Jeux (agrandissement des aéroports et des ports, des autoroutes et des voies de déplacement rapide), 77’000 personnes ont été délogées, ce qui en fait «la politique la plus importante de déplacements forcés de l’histoire de la ville». Il faut ajouter à cela les politiques de contrôle urbain qui impliquent la répression et l’expulsion des vendeurs ambulants, «le déplacement forcé des gens qui vivent dans la rue, l’emprisonnement de masse et l’utilisation d’effectifs militaires dans les favelas et les quartiers périphériques.»
D’un point de vue urbanistique, la Ville olympique et les énormes dépenses effectuées par l’Etat ont modifié la structure urbaine: d’une centralité axée sur la baie de Guanabara et le port, elle s’est déplacée vers la Barra da Tijuca, un quartier de l’ouest, privilégié et cher, qui connaît un processus brutal de spéculation immobilière et d’expulsion de la population pauvre. Certaines favelas, comme celle Metró Mangueira, proche du stade de Maracaná, ont été entièrement déplacées sous le prétexte de la construction d’un parking.
Le cas le plus emblématique est celui de Vila Autódromo, une communauté de pêcheurs formée à partir de 1969 dans une zone où s’est édifiée la Ville olympique. Un délogement brutal a laissé à peine 20 familles sur les 600 que comprenait le quartier. Au cours même du processus de délogement, un hôtel cinq étoiles a été construit. Une fois les Jeux terminés et le démantèlement d’une partie des logements qui abritent les athlètes, les principaux entrepreneurs et compagnies immobilières lanceront des opérations luxueuses générant des profits de plusieurs millions.
«La Loi des olympiades» : un état d’exception
Le 26 juillet, quatre organisations des droits humains (Justiça Global, Conectas, Artigo 19 et ISHR [International Service for Human Rights]) ont dénoncé devant le Conseil des droits humains de l’ONU, à Genève, les violations commises lors des travaux pour les Jeux olympiques, ainsi que la militarisation présente de la ville suite à l’annonce de l’occupation de six favelas pendant l’événement.
Ils ont dénoncé, en parallèle, le manque de transparence des dépenses publiques, en particulier dans le domaine de la mobilité urbaine ainsi que la déclaration, par le gouverneur de Rio de l’Etat de calamité publique qui a conduit le gouvernement fédéral à injecter près d’un milliard d’euros pour les Jeux, alors que, au même moment, des coupes budgétaires sont effectuées dans des services publics essentiels. A cela s’ajoutent les réductions de salaires en utilisant la crise économique grave.
D’après l’Institut de politiques alternatives pour le Cône sud, l’Etat de Rio de Janeiro, entre 2013 et 2016, a opéré une diminution de 12 à 10% des dépenses consacrées à l’éducation alors que ceux dévolu à la sécurité publique ont crû de 10 à 15% du budget.
De son côté, le Comité populaire de la Coupe et des Olympiades de Rio, dans lequel participe des organisations populaires de différentes villes qui ont abrité en 2014 la Coupe du monde de football, a convoqué entre le 1er et le 5 août des Journées de lutte contre les Jeux de l’exclusion au centre de la ville au cours desquelles des débats, des ateliers et des actions de rue se sont tenus. Ces journées ont dénoncé la consolidation d’une «cité ségréguée» où les inégalités augmentent de façon permanente.
Ce que le grand public ignore toutefois – car les médias s’efforcent à l’occulter – c’est que les Jeux olympiques (ainsi que les championnats mondiaux de football) impliquent l’approbation d’une législation d’exception qui restreint sérieusement les droits des gens. Le 10 mai dernier, en même temps que le pays débattait du processus engagé contre Dilma Rousseff, la présidente du moment a signé la Loi 13.263, connue sous le nom de «Loi des olympiades», qui, selon ses critiques, est en contradiction avec les lois en vigueur.
Cette loi interdit la présentation d’affiches contenant des «messages offensants» dans les installations officielles ou des drapeaux «à des fins qui ne correspondent pas à une manifestation festive et amicale». En d’autres termes, ne sont pas tolérées les protestations et les mobilisations à proximité des lieux où se tiennent les compétitions. Cette norme va dans la même direction que la Loi antiterroriste approuvée l’année dernière, une loi qui restreint le droit de manifestation et criminalise les mouvements sociaux, vus comme objets de l’intervention policière et des services de sécurité.
Les Jeux passent et la société reste polarisée et militarisée. De même que les travaux ont marqué un avant et un après, déchirant le tissu urbain au profit des grandes entreprises et de la spéculation immobilière, la présence militaire et policière est faite pour rester.
Ce n’est pas un hasard qu’une nouvelle politique de sécurité urbaine pour contrôler les favelas a été engagée dès que la tenue du Mondial de football a été attribuée au Brésil. En 2008 a été mise en place la première Unité de police pacificatrice (UPP) dans la favela de Santa María. Cette politique s’est intensifiée à partir de 2010, lorsque Rio a été choisi comme siège des Olympiades.
Entre 2008 et mars 2014, 38 UPP ont été installées, toutes dans des favelas, sous prétexte de lutter contre le narcotrafic. Les UPP sont une sorte de commissariats fortifiés qui occupent militairement le quartier sans affecter beaucoup le commerce des drogues. L’impact le plus grand concerne la population qui est harcelée et humiliée lors de contrôles racistes et sexistes. Lorsqu’un groupe de jeunes souhaite faire une fête dans la favela, il doit négocier l’autorisation avec l’UPP afin de régler la consommation d’alcool et limiter ou interdire des musiques comme le funk, car les policiers considèrent qu’elles favorisent les narco.
Dans les faits, les normes et les lois appliquées dans les favelas sont différentes de celles en vigueur dans la ville car les quartiers pauvres vivent sous un état d’exception permanent. Les Jeux n’ont pas créé cet état d’exception, mais ils l’ont consolidé et l’ont amené, pour le temps des compétitions, à un point un extrême. Un retour en arrière sera très difficile.
Pour toutes ces raisons, la moitié des Brésiliens sont opposés aux Jeux olympiques et 63% sont convaincus qu’ils apporteront plus d’aspects négatifs que de bénéfices. (Article publié le 7 août 2016 sur le site Naiz, traduction A L’Encontre)
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