A quelques jours de l’ouverture de la COP21 – Conférence sur le climat qui se tiendra à Paris du 30 novembre 2015 au 11 décembre 2015 à Paris – des «accidents» écologiques mettent en relief l’ensemble des facteurs qui aboutissent à une exploitation conjointe des ressources naturelles et des populations. Ce qui répond à la logique productive et productiviste d’un système qualifié de capitaliste.
Cette COP21 va se tenir dans un climat de double urgence: l’urgence climatique et «l’état d’urgence» qui s’impose à Paris et annule donc l’autorisation de la tenue de la grande manifestation de la Coalition Climat21.
L’accident, prévisible, qui a frappé une région entière de l’Etat du Minais Gerais au Brésil illustre la «planification extractive» placée sous le commandement de firmes transnationales pour qui l’extraction de plus-value écrase la terre et ses habitants. (Réd. A l’Encontre)
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Près de deux semaines après l’accident survenu près de Mariana, dans l’Etat du Minas Gerais [situé au nord-ouest de la grande région du Sud-Est du Brésil, la capitale Belo Horizonte, son nom traduit sa «richesse» en mines], le 5 novembre 2015, le littoral brésilien est maintenant lui aussi touché par la pollution engendrée par la fuite de déchets issus de l’extraction minière.
La catastrophe a d’abord provoqué la mort de sept personnes et la disparition de quinze autres. Une localité a été rayée de la carte (Bento Rodrigues) en plus des villages inondés.
Et près de 60 millions de litres d’un mélange constitué de terre, de silice, de résidus de fer, d’aluminium et de manganèse (l’équivalent de 24 piscines olympiques, précise le quotidien Folha de São Paulo) se sont déversés dans le Rio Doce (la douce rivière), le cinquième plus grand fleuve du Brésil. En quelques jours, des millions de poissons sont morts d’asphyxie et les habitants surnomment désormais ce fleuve le «Rio Morto» (la rivière morte).
Le mélange échappé du barrage n’est pas directement toxique pour l’être humain, disent les autorités, qui conseillent pourtant de jeter tous les objets et vêtements qui ont été en contact avec la boue. Les spécialistes, eux, expliquent que ce mélange pourrait agir comme une « éponge » qui piège les autres polluants. Quelques jours après le passage des eaux contaminées, des relevés ont ainsi montré un taux anormalement élevé de mercure à quelques kilomètres de la catastrophe. D’autres sources évoquent la présence de plomb, de cuivre et de divers métaux lourds.
Actuellement, ce sont plus de 500’000 personnes qui sont privées d’eau pour les approvisionnements domestiques et agricoles, le long des 850 km qui séparent Mariana et l’océan Atlantique. Des barrages et des usines de captation sont à l’arrêt à cause des déchets flottants et des tonnes de poissons morts. Par ailleurs, près de 600 personnes ont été déplacées à cause de la subite élévation des eaux. Par sa quantité et sa composition, cette vague de boue, qui progresse à la vitesse de 1,2 km/h, affecte toute une région pour au moins les cent prochaines années.
«Plusieurs siècles pour que la nature reconstitue un sol fertile»
Là où le «Fukushima brésilien», comme le désignent les internautes a recouvert les terres, plus rien ne pourra repousser avant de longues années. «Ce type de résidu d’extraction est totalement infertile car il ne contient pas de matière organique», explique Mauricio Ehrlich, professeur de géo-ingénierie à l’Université de Rio de Janeiro (URFJ). Il poursuit: «Il faudra plusieurs siècles pour que la nature reconstitue un sol fertile».
Plus graves encore que la création de cette zone de désert infertile sont les conséquences fluviales et maritimes. Dans les premiers jours, les particules boueuses en suspension dans l’eau, en empêchant le passage des rayons du soleil, ainsi que la bonne oxygénation de l’eau, ont provoqué la mort d’une grande partie de la faune et de la flore. Les pêcheurs et les volontaires se sont démenés jour et nuit pour tenter de sauver poissons, crustacés et tortues sur le littoral avant l’arrivée de la vague. Et pourtant, même s’il est encore trop tôt pour le dire, les scientifiques craignent que certaines espèces endémiques de la région aient définitivement disparu, car la catastrophe a eu lieu en pleine période reproductive de nombreuses d’entre elles. Le pH (acidité) de l’eau se trouve également altéré, ce qui va continuer d’affecter durablement la reproduction animale et végétale. Selon plusieurs experts, dix ans au moins seront nécessaires avant que réapparaisse un semblant de vie aquatique.
Les preuves d’une négligence de maintenance
Enfin, le système hydrologique de la région est bouleversé par cet apport exceptionnel de sédiments en grande quantité, affectant le tracé et le volume des cours d’eau. La création de «poches de stagnation» et la perturbation des courants ont aussi un effet sur les écosystèmes, des fonds fluviaux jusqu’aux berges. Les conséquences sur les nappes phréatiques sont pour l’instant peu connues, mais des contaminations sont à craindre. Des pollutions liées à la décomposition des animaux et des poissons morts commencent à préoccuper les autorités sanitaires. Par ailleurs, l’essentiel de la coulée de boue n’ayant pas encore atteint l’océan – seulement les particules très légères – les conséquences sur l’écosystème marin ne sont pas encore estimées.
Le responsable des barrages est l’entreprise Samarco, qui appartient au groupe minier brésilien Vale et à l’anglo-australien BHP Billiton [Cette transnationale – parmi les trois leaders du secteur – Rio Tinto et Glencore – a séparé ses structures étant donné la baisse des cours en deux: l’une intégrant le pétrole, le fer, le charbon, le cuivre et la potasse; l’autre réunissant l’aluminium, le nickel, le manganèse, l’argent, le plomb et le zinc et portant le nom de South32]
Le ministère public de l’État du Minas Gerais a affirmé que la rupture du barrage n’était pas un accident et qu’il rassemblait les preuves d’une négligence de maintenance. Une première amende de 250 millions de réais (61 millions d’euros) a été infligée et annoncée par la présidente du Brésil, Dilma Rousseff. Mais les experts estiment que la facture devrait se chiffrer plutôt en milliards.
Sur le plan économique, il est encore trop tôt pour faire le calcul des productions agricoles et piscicoles perdues et des impacts sur les autres activités de la région liées aux fonctions de la faune et de la flore gravement atteintes. Sur le plan écologique, le calcul, lui, ne sera peut-être jamais fait car «comment estimer le coût de la disparition d’une espèce?» souligne Alessandra Magrini, une des spécialistes qui va être chargée d’établir l’addition finale.
La menace de la rupture d’un troisième barrage
Le gouvernement a annoncé le 17 novembre un plan de «revitalisation» du Rio Doce qui devra être financé par l’entreprise responsable. Or, Samarco se retrouve actuellement confronté à la menace de la rupture d’un troisième barrage. Malgré les travaux d’urgence qui sont en train d’être effectués, les dirigeants ont fini par admettre, en début de semaine, que le risque existe toujours. Les habitants de la région s’attendent à voir le bilan s’alourdir.
La présidente de l’Institut brésilien de l’environnement (Ibama), Marilene Ramos, rappelle que la catastrophe de Mariana n’est pas la première de ce genre. En 10 ans, cinq incidents de la sorte se sont produits, bien que de moindre ampleur. Le Brésil doit donc désormais prendre au sérieux les menaces que constituent les activités extractives pour l’environnement et revoir ses réglementations de sécurité. (Article publié le 20 novembre par le site Reporterre)
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Mathilde Dorcadie, correspondante de Reporterre à São Paulo.
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