Brésil. L’ex-général, Mourão, pourrait offrir un lifting au gouvernement Bolsonaro. Moins de niaiserie affichée, mais plus de détermination et d’acquiescement de la Paulista

Antônio Hamilton Martins Mourão (1953), vice-président du gouvernement de Jair Bolsonaro

Par Luis Felipe Miguel

Un mois a passé et l’ineptie de l’ex-capitaine Bolsonaro dans sa façon de gouverner se révèle criante. Il ne s’agit pas seulement de «droitisme» frénétique (ou ultra-droitiste), mais de son incapacité à comprendre les décisions qui doivent être prises, à anticiper les conséquences de ses actions et à garder son sang-froid.

• Selon une critique récurrente que l’on adresse à la compétition électorale, les qualités nécessaires pour gagner une élection et les qualités nécessaires pour gouverner n’ont pas grand-chose en commun. Bolsonaro en est l’illustration parfaite. Sur fond de population rendue imbécile par un système médiatique [et les réseaux sociaux comme par la toile d’araignée des évangéliques], de campagne de désinformation massive, de production de panique morale et de classes dominantes apeurées par la possible victoire d’un candidat de centre gauche [initialement Lula, avant son incarcération], il est devenu une option compétitive. Mais quant à savoir gouverner, c’est une chose qui dépasse largement ses possibilités.

• Le mouvement Pour que Mourão prenne les rênes du gouvernement (le nom du vice-président Mourão est utilisé en tant que celui-ci incarne la junte militaire – il est président du Club militaire) semble être fort. L’interview qu’il a accordée le 1er février 2019 à la chaîne de télévision Globo est significative. Le (ex) général se montre «réinventé», comme on dit chez nous. Il a commencé à faire preuve d’un peu de modération, d’un peu de sens du dialogue et d’un peu de volonté de réduire les tensions. Entre les lignes, il laisse clairement comprendre que c’est lui qui est capable de conduire le navire en évitant des intempéries plus fortes.

• Dans une réponse plus que surprenante, il se dit favorable à la légalisation de l’avortement, ce qui révèle une volonté de se distancier des secteurs les plus « moyenâgeux» du gouvernement. (Dans une réponse antérieure, Mourão s’était vu contraint par le protocole de défendre la Ministre de la femme, de la famille et des droits humains. Avec sa position sur l’avortement, il a intelligemment marqué une divergence.).

• Pour que Bolsonaro accepte de jouer le rôle de la reine d’Angleterre, en se limitant à faire joujou avec les armes et à signer des documents, c’est probablement parce que les méfaits de son clan sont maintenant largement connus de tous. S’il ne joue que les seconds rôles, les petites affaires menées à Rio peuvent continuer tranquillement sans que personne en parle plus.

Sérgio Moro [un «magistrat» anti-corruption, ennemi juré de Lula, et disposant aujourd’hui d’un super-ministère de la Justice et la Protection des personnes (sic), lui permettant de criminaliser les actions et les mobilisations de résistance sociale et politique], qui, comme l’a bien défini The Intercept, est devenu le «bon petit soldat du bolsonarisme », renoncerait au peu de crédibilité qui lui reste pour avaliser l’arrangement.

Ministre de la Femme, de la Famille et des Droits humains, pasteure évangélique: Damares Alves

• Les ministres plus folkloriques, tels que Damares Alves [Pasteure évangélique en charge de la Famille, des Droits humains et des femmes, vient d’être dénoncée pour avoir adopté un enfant hors de toutes les normes légales; voir O Globo, 1er février 2019. Réd.] ou Ernest Araújo [ex-ambassadeur, «cultivé» ou «instruit», qui pense que le «changement climatique» relève d’un complot marxiste»; voir The Independent, 26 novembre 2018; Slate du 10 janvier 2019 indique que E. Araújo attribue au trumpisme, en la matière, la qualité d’une vraie pensée! Réd.], seront probablement remplacés.

Quant à Ricardo Vélez Rodríguez [un théologien et philosophe ésotérique à la production aussi abondante qu’occulte, sauf pour des réseaux sociaux – Colombien naturalisé brésilien – et ministre de l’Education. Réd.], il complète le trio des farfelus les plus ostentatoires. Il aurait peut-être une chance de rester comme une sous-petite reine d’Angleterre au sein du ministère de l’Education qui est déjà plein de militaires. Et un gouvernement plus raisonnable donnerait peut-être un signal positif à l’opinion publique, interne et externe, en changeant une partie de sa composition, en retirant, par exemple, le criminel environnemental du Ministère de l’environnement.

• Mourão peut rêver qu’un tel pas se fasse, parce qu’il est le légitime représentant de la nouvelle élite militaire brésilienne, qui tout en étant plus autoritaire que jamais, est de plus en plus tournée vers les affaires et le libre-échange [pour un pouvoir militaro-patrimonial, comme au Guatemala, Chili, en Colombie, sens social de certaines privatisations. Réd.] Ainsi, il compte sur l’appui des grands intérêts économiques, dont la priorité est naturellement le projet de dénationalisation de l’économie, de réduction des politiques sociales et des quelques «protections» restantes dans le domaine du travail.

• Le nom qui incarne un tel projet est celui de Paulo Guedes [un hayekien et gérant d’un fonds d’investissement et srtout brooker. Réd.], dont la fonction de tsar de l’économie ne paraît menacée dans aucun scénario. Il est épargné par la presse, mais il est aussi impréparé que Vélez, Araújo ou Damares. Il n’a pas la moindre connaissance de base sur sa charge (il n’a dernièrement même pas su ce qu’était la Loi sur les directives budgétaires!). Il ne comprend pas qu’il occupe une position dans laquelle il doit rendre des comptes à la société, comme le montrent ses réponses agressives à des questions de journalistes. Il ne sait pas négocier et en bon fondamentaliste (du marché) qu’il est, il refuse toute négociation et il est délibérément aveugle à tout argument qui contredirait ses dogmes sacrés.

• La régence de Mourão nous apporterait un gouvernement peut-être moins bizarre, mais pas un gouvernement meilleur. (Publié sur Esquerda online, le 1er février 2019; traduction A l’Encontre)

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* Luis Felipe Miguel est professeur à l’Institut de Science politique de l’Université de Brasilia, où il a coordonné le cours sur le coup parlementaire d’août 2016. Il est l’auteur, entre autres, de Democracia e representação : territórias em disputa (Editions Unesp, 2014), de Dominação e resistência : desafios para uma política emancipatória (Boitempo, 2018) et, en collaboration avec Flávia Biroli, de Feminismo e política : uma introdução (Boitempo, 2014). Il collabore aussi à la rédaction de livres d’intervention politique tels que Por que gritamos golpe ? Para entender o impeachment e a crise política no Brasil (Boitempo, 2016) et O ódio como política : a reinvenção das direitas no Brasil (Boitempo, 2018).

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