Brésil. «Bolsonaro a replacé le Brésil sur la carte de la faim»

Entretien avec Guilherme Boulos, leader du PSOL, conduit par Gustavo Veiga (São Paulo)

Il parle couramment l’espagnol, et le fait de manière assurée, sans soupçon de «portuñol» [ce mélange de portugais et d’espagnol]. Sa faconde permet d’avancer rapidement dans l’entretien qui se fait dans un bureau qu’il a loué pour sa campagne. Une fois l’entretien terminé, il le quittera pour continuer à faire campagne dans sa petite Celta (Celtinha), une voiture très économique dans laquelle il se déplace en ville. Guilherme Boulos [1] est l’allié de Marina Silva [ex-ministre de l’environnement de Lula de 2003 à 2008] dans un front de gauche qui a réuni ses deux forces: le Parti socialisme et liberté (PSOL) et Rede, le parti écologiste. Boulos et Marina Silva soutiennent Lula sur le chemin du Planalto. Ce professeur d’université [fils d’une famille de médecins], titulaire d’une maîtrise en psychologie clinique, aspire également à doubler le nombre de député·e·s du PSOL au Congrès; actuellement le PSOL en compte huit.

Quelles conclusions tirez-vous des quatre années de mandat de Bolsonaro?

Il restera dans les annales comme le pire gouvernement de l’histoire de la République du Brésil. Il n’y a aucun doute là-dessus, car ce fut le pire à plusieurs égards. Du point de vue de la politique démocratique, parce qu’il a détruit les institutions, les relations avec le parlement et le pouvoir judiciaire. Tous les jours, il profère des menaces. Il remet en question le système électoral qui lui a permis d’être élu. Il se prononce en faveur de la dictature et du coup d’Etat [de 1964]. Sur le plan social, il est aussi le pire. Nous avons eu des gouvernements extrêmement cruels dans notre histoire, toutefois le gouvernement de Bolsonaro a réussi quelque chose d’unique au monde, replacer le pays sur la carte de la faim [établie par le PAM: Programme alimentaire mondial]. Aucun pays qui avait quitté la carte de la faim de l’ONU n’y est jamais revenu à nouveau. Le Brésil est le troisième producteur mondial de denrées alimentaires, or il compte 33 millions de personnes souffrant de la faim.

L’ancien officier militaire [capitaine] qui cherche à se faire réélire s’appuie sur des données économiques pour affirmer qu’il a fait quelque chose de bien.

Les élites s’attendaient à ce qu’il y ait des investissements internationaux, une confiance dans les marchés et tout le reste. Néanmoins, le Brésil a connu une croissance insignifiante. Et enfin, nous avons fait face à une tragédie humanitaire, une blessure ouverte : nous parlons de près de 700 000 morts. Et morts non seulement à cause du virus… morts à cause de la négligence, à cause d’un président qui a dit qu’il n’allait pas acheter de vaccins parce qu’il n’y avait pas de tests, parce que les gens pouvaient se transformer en jacaré [c’est-à-dire en alligator s’il prenait le vaccin contre le COVID-19, déclaration de décembre 2020] ; certes quelque chose qui peur semble risible, mais qui a coûté des vies. A la veille des élections [le 22 août 2022] il s’est excusé [de ces propos]. Donc, pour résumer, à cause de tous ces aspects, en plus du désastre environnemental, entre autres de la destruction de l’Amazonie, nous pourrions parler toute la journée des aspects tragiques du gouvernement de Bolsonaro.

Lula a utilisé plusieurs fois l’adjectif génocidaire pour se référer à lui ou à ses politiques. Êtes-vous d’accord ?

Bolsonaro fait partie d’une vague d’extrême droite qui, heureusement, du moins en Amérique latine, est déjà sur le déclin. Mais il n’est pas seulement un autre membre de l’extrême droite. Il est particulièrement sinistre, macabre, et c’est pourquoi je suis parfaitement d’accord avec la qualification de «génocidaire». Au cours des trois dernières années, on a beaucoup discuté au Brésil de la possibilité d’utiliser à son égard le terme de génocide. Un génocide signifie des meurtres massifs et intentionnels. Et c’est exactement ce qui s’est passé au Brésil. En 2021, pour la première fois, le pays a connu un taux de croissance démographique négatif en raison des décès dus à la pandémie. Si le président et son ministre de la Santé ont fait de la structure de l’Etat brésilien un allié du virus, il y a eu un génocide au Brésil. [La lente élimination des populations amérindiennes, entre autres liée à la politique de dévastation de la forêt amazonienne – les délimitations des espaces protégés pour ces populations ont été levées en grande partie –, participe de ce que l’on peut qualifier de politique «génocidaire» – Réd.]

Que pensez-vous des menaces de Bolsonaro de ne pas reconnaître le résultat des élections s’il perd dimanche?

Il va mettre cette menace à exécution. Il n’y a aucune raison qu’il ne le fasse pas. Au Brésil, il est tout simplement impensable qu’au moment où Lula remporte les élections – que ce soit au premier ou au second tour – que Bolsonaro apparaisse à la télévision et dise: «Je veux féliciter Lula, les élections ont été propres…». Bolsonaro se situe en dehors de la grammaire de la démocratie. Par conséquent, il va nier le résultat des élections une fois qu’il sera battu.

Je ne crois pas, et peu de gens au Brésil le croient, que les forces de l’armée vont se lancer dans une aventure pro-Bolsonaro, même si elles comportent des secteurs partageant les mêmes idées que Bolsonaro [le candidat à la vice-présidence sur le ticket de Bolsonaro est le général de réserve Walter Braga Netto qui a occupé des postes importants militaires et dans le «maintien de la sécurité» ainsi que politiques et diplomatiques – Réd.]. Le pouvoir judiciaire garantira le résultat des élections. Le législateur les reconnaîtra. La presse et les «faiseurs d’opinion» les reconnaîtront également. C’est la conviction de la majorité du peuple brésilien.

Alors, où est le risque?

Je ne pense pas que le risque soit un coup d’Etat au sens traditionnel du terme. Je pense plutôt à un scénario comme celui du Capitole [le 6 janvier], de violence politique stimulée par des groupes armés bolsonaristes, car le président a constitué une sorte de milice politique privée, avec les clubs de tir. [La connexion est documentée entre ces milices et des secteurs de la Police militaire en activé ou «à la retraite» – Réd.] Il a considérablement élargi le droit de posséder des armes à feu et trop de gens en ont acheté, dont certaines sont des armes de combat. Le risque est donc que des actions coordonnées de ces groupes créent une situation de chaos et de violence. Pour faire face à cela, nous avons fait un très large front démocratique pour le condamner. Deuxièmement: nous avons lancé un appel à contenir et à réprimer toute tentative de ce genre. Et, troisièmement, une grande mobilisation dans les rues, si possible la semaine prochaine, afin que la volonté du peuple soit respectée.

Le risque que vous mentionnez augmente-t-il si Bolsonaro atteint le second tour?

Pourquoi le deuxième tour est-il le pire scénario? Parce qu’il reste un mois [du 2 octobre] avant le 30 octobre. Et ces dernières semaines, nous avons déjà eu des épisodes d’assassinats dans le Ceará, dans le Mato Grosso, avant cela dans le Paraná. Des personnes ont été tuées parce qu’elles critiquaient Bolsonaro et défendaient Lula. Imaginez un second tour polarisé, que pourrait-il se passer? Il serait beaucoup plus facile de l’isoler au premier tour qu’au second. Car au premier tour, 513 député·e·s à la chambre et 27 sénateurs/sénatrices sont également élus. Donc, si était affirmé qu’«il y a eu fraude», cela signifierait qu’il y a également eu fraude lors du vote au Congrès. Et les députés les plus proches de Bolsonaro qui ont été élus pourraient dire: «non, pour moi il n’y a pas eu de fraude».

Quel rôle les Etats-Unis, qui ont soutenu pendant des décennies les coups d’Etat dans la région, sont-ils appelés à jouer dans les élections?

Il y a deux choses. Tout d’abord, la position de Biden. Il y a quelques jours, l’ambassade des Etats-Unis au Brésil a légitimé le système électoral brésilien. Je pense que ce n’est pas parce que les Etats-Unis sont un pays qui aime la démocratie. Ils le font parce que si leur président devait appuyer l’attitude de Bolsonaro, cela pourrait se retourner contre lui, en raison du lien que Bolsonaro a avec Trump.

En tant que membre d’un front de gauche qui soutient Lula, quel sera votre objectif , en tant que PSOL s’il gagne les élections?

Notre rôle sera d’exercer une pression de gauche pour que le programme pour lequel Lula a été élu devienne effectif et aussi pour que le plafond des dépenses budgétaires [introduit sous Michel Temer après la destitution de Dilma Rousseff] soit révoqué.

Quelles sont les politiques du PT que vous avez défendues pendant ses années au gouvernement et celles que vous n’avez pas défendues?

Certaines ont été mises en avant pendant les mandats de Lula et de Dilma Rousseff. Par exemple: l’augmentation progressive du salaire minimum a été significative, la politique d’expansion de l’investissement public dans des programmes comme «Ma maison, ma vie» [Minha Casa, Minha Vida, lancé en 2009] et dans des programmes sociaux comme Bolsa Família, ou l’expansion des universités publiques, tout cela. L’accent est mis sur la lutte contre la faim. Tout cela nous le soutenons.

Parmi les points négatifs, il y a des questions qui n’ont pas été abordées et qui doivent maintenant l’être. Une réforme fiscale progressive, qui ne figurait pas au programme du gouvernement du PT et qui est essentielle pour le Brésil. Il faudra toucher aux privilèges et taxer davantage les millionnaires, toucher aux dividendes des banques. Pour moi, c’est une question essentielle.

Quel sera, selon vous, l’héritage de Lula?

Je lui ai parlé il y a quelques semaines et il m’a dit : «Je n’avais pas besoin d’être à nouveau président. J’ai 76 ans et ma biographie a déjà été éclaircie car tous mes procès ont été annulés. Si j’ai décidé d’être à nouveau candidat, c’est parce que je veux et je dois faire plus que ce que j’ai fait dans les autres gouvernements.» Je le crois et j’espère fermement que ce sera une conclusion répondant aux intérêts populaires. Je pense que Lula restera dans l’histoire comme le plus grand leader populaire de l’histoire du Brésil. (Article publié sur le quotidien argentin Pagina 12 le 30 septembre 2022; traduction rédaction A l’Encontre)

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[1] Guilherme Boulos est candidat du PSOL au poste de député à la Chambre fédérale. Membre de la Coordination nationale du Mouvement des travailleurs sans toit (MTST) et de la direction du PSOL, il soutient Fernando Haddad (candidat présidentiel du PT en 2018) au poste de gouverneur de l’Etat de São Paulo. CE dernier se présente sur un ticket qui l’associe à Lúcia França (PSB), le parti auquel s’est rallié Geraldo Alckmin, candidat à la vice-présidence de Lula, ancien du PSDB et en liaison connue avec l’Opus Dei, courant très conservateur de l’Eglise catholique romaine. Quant à Fernando Haddad, il appuie la candidature de Boulos à la Chambre. (Réd. A l’Encontre)

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