Il cède sur la présidentielle mais pas sur le pouvoir. Vente concomitante. Report de l’élection présidentielle, mais Bouteflika reste aux commandes et garde la main sur le processus de «réformes politiques».
Cédant aux pressions populaires, au lendemain de son retour au pays après une hospitalisation à Genève, le chef de l’Etat a décidé de reporter l’élection présidentielle jusqu’à la fin de l’année, assortie d’une conférence nationale «inclusive». «Si je ne peux être candidat, l’élection présidentielle n’aura pas lieu.»
«Rien ne se fera sans moi encore moins contre moi», semble vouloir dire le président sortant. Une victoire en demi-teinte pour les Algériens qui se sont mobilisés massivement depuis l’historique journée du 22 février.
Ainsi, Abdelaziz Bouteflika décide de rester au pouvoir en prolongeant son mandat présidentiel qui prendra fin le 26 avril prochain. Une violation de la Constitution à laquelle la décision du chef de l’Etat ne fait aucune référence.
Pressés par le temps – à un jour de la date fatidique de la validation ou de l’invalidation des candidatures par le Conseil constitutionnel –, les décideurs étaient contraints d’agir. D’évidence, ils sont mis en demeure de sortir de cette impasse. Étroites, les issues sont rares. Celle du cinuième mandat est définitivement barrée. Un sens interdit.
Encerclé de toutes parts, le pouvoir cherche une porte de sortie. Il procède par une tentative de reprendre l’initiative politique. Mais aussi et surtout une manœuvre pour contourner le mouvement populaire et sa revendication de rejet de la candidature de Abdelaziz Bouteflika pour un 5e mandat assorti d’un changement du système politique en vigueur. C’est le scénario validé hier par les mesures prises par le président de la République.
Il va sans dire que la nouvelle démarche politique entreprise par le pouvoir ne tient pas compte des revendications exprimées vigoureusement par la rue depuis trois semaines. Elle est vouée à être rejetée. Et fortement. Et si aux regards des «insurgés» le coup de balai dans le sérail s’impose et immédiatement, il ne serait pas suffisant pour calmer la colère de la rue.
Du replâtrage. La campagne médiatique lancée par les médias proches du régime et qui a coïncidé avec le retour de Bouteflika au pays n’a dupé personne.
Cette campagne qui s’emploie à faire croire au «bon pacha et mauvais vizir» a été brocardée par beaucoup d’Algériens et Algériennes sur les réseaux sociaux. Il ne sert plus à rien de ruser.
Ça ne fonctionne plus. «Les corrompus, les affairistes, les ministres et autres clients du régime qui ont dilapidé les deniers de l’Etat sont désignés par le chef (Bouteflika). Il n’a pas été trompé, tout s’est déroulé sous ses yeux et il n’a rien fait, il a laissé faire…», réplique la rue pour mieux situer les responsabilités politiques.
Le processus insurrectionnel en cours dans le pays prend de l’ampleur, s’enracine et libère des territoires jusque-là hyper-caporalisés. La «révolte» des juges en est un signe.
Le système se désagrège. En face, le pouvoir, fortement déstabilisé par le séisme populaire qui l’a atteint de plein fouet, ne se relève pas encore.
La nouvelle situation qui s’est créée dans le pays est allée au-delà du jeu politique mis en place par le système Bouteflika. Une rupture systémique s’est opérée dans la rue. Désormais, le peuple est devenu l’acteur central.
Il s’est imposé à la fois comme source du pouvoir et contre-pouvoir avec une capacité à bloquer les projets politiques en élaboration.
Le vent de révolte qui souffle sur le pays a désormais engagé la société dans une nouvelle phase historique qui exige des révisions déchirantes. Le pouvoir ne peut se permettre de rater ce moment décisif de l’histoire de la nation.
Il doit dans un premier temps aider et faciliter la mise en place des mécanismes devant servir d’échafaudage au nouveau système en gestation. L’ancien est déjà mort dans l’esprit des Algériens. (El Watan du 12 mars 2019)
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