Editorial mi-janvier, Esquerda online
Dans un effort pour montrer à la société brésilienne que ses promesses de campagne seront tenues, le gouvernement de Jair Bolsonaro a commencé une grande distribution de portefeuilles ministériels et cette rage rampante s’est écrasée sur un casse-tête qui l’a forcé à un pas en arrière en moyenne par jour, lors des dix premiers jours. Les maladresses du gouvernement montrent un énorme manque de préparation que ressent la Bourse des valeurs [1] et créent même beaucoup de confusion dans les rangs militants, mais elle ne nous permet pas de sous-estimer la force du gouvernement, encore moins de surestimer notre capacité à le vaincre.
La nomination d’importants portefeuilles de premier et de second niveau sous la responsabilité de l’armée, d’une part, et la nomination d’hommes d’affaires civils pour contrôler l’économie, d’autre part, montrent déjà l’ampleur des difficultés à établir le «dialogue» annoncé par le ministre Onyx Lorenzoni [le patron de la Casa civil, le secrétariat exécutif du gouvernement, un poste clé – Réd.] entre les intérêts divergents qui seront au cœur des décisions les plus importantes parmi les groupes qui tentent d’établir une plus grande maîtrise du pouvoir.
La mise en place d’un gouvernement à forte influence militaire est nécessaire pour le processus de «défense nationale» [«sécurité nationale»] basé sur la logique de l’Etat patrimonialiste capable de réguler les processus privés en faveur d’une exploitation accrue et d’une accumulation capitalistique des richesses entre les mains de quelques-uns. A cette fin, il est essentiel d’attaquer [pour le pouvoir] ceux qui ont historiquement défendu nos frontières, à savoir les communautés traditionnelles, indigènes et quilombolas [territoires occupés par des Noirs marrons – qui ont échappé à l’esclavage –, des «minorités» réprimées]. L’action immédiate du gouvernement dans les premiers jours démontre une attaque réelle contre les populations traditionnelles et l’environnement. Le transfert de la Fondation nationale indienne (FUNAI) au Ministère de la femme, de la famille et des droits de l’homme [dirigé par la pasteur ultraréactionnaire, âgée de 54 ans: Damara Alves]. Mais, en outre, s’ajoutent des limitations ayant trait à l’identification, à la délimitation et à la démarcation des territoires qui tombent maintenant sous la responsabilité du Ministère de l’agriculture [donc de l’extension des terres aux mains des grands propriétaires; il est confié à Tereza Cristina da Costa, leader de la fraction parlementaire «ruraliste», qui défend les intérêts de l’agrobusiness et fut un soutien important du président lors de sa campagne électorale]. Tout cela concrétise les intentions du gouvernement.
D’abord parce qu’elle atténue d’éventuelles crises avec le groupe évangélique fondamentaliste et ensuite parce que, idéologiquement, ce groupe collaborera pour que la fraction parlementaire, placée sous le commandement des ruralistes – qui ont toujours été l’ennemi des communautés traditionnelles –, puisse agir sous le masque de la défense des droits humains.
La Mesure provisoire n° 870/2019, n’est pas seulement un simple transfert de droits lié aux portefeuilles ministériels afin d’ajuster une gestion efficace des organes. Il s’agit d’une mesure qui vise un processus de cohésion sociale déjà considéré par les peuples autochtones comme une «intégration nationale» qui a entraîné la mort d’innombrables cultures et en a subordonné beaucoup d’autres à la logique du capital prédateur. Aujourd’hui, 13% seulement des terres sont occupées par les Indiens dans l’Amazonie, dites légales, qui, eux, manifestent pour la défense de leurs droits. Cette loi transfère également au Ministère de l’agriculture la politique d’identification et de démarcation des territoires quilombos occupés par les Noirs. Auparavant, il était sous la responsabilité de l’Institut national de la colonisation et de la réforme agraire, rattaché au Ministère du développement agraire.
[En apparence, historiquement, le ministère de la Réforme agraire. Il fut occupé par Miguel Rosetto de «Démocratie socialiste», en 2003, sous le premier gouvernement Lula. Il se trouvait, de facto, sous le commandement du ministre de l’Agriculture, gros propriétaire terrien. Avec les limitations de l’analogie, un peu – mais cela reste au plan du strict narcissisme électoral – comme le réputé et député Jean-Michel Dolivo qui veut «donner la parole à la rue» dans l’exécutif du canton de Vaud. Une parole qui devrait – c’est le sens de «l’opération» – trouver un rebond (rebondir est le verbe inventé par la droite pour susciter de faux espoirs aux chômeurs âgés et de longue durée) lors des élections nationales d’octobre 2019 en Suisse. Une «opération» placée sous la direction de celui qui bat tous les records de faux-culs politico-électoralistes. C-A Udry, Réd. A l’Encontre]
L’augmentation du pillage d’espèces vivantes [et de molécules issues des plantes] pour les laboratoires pharmaceutiques transnationaux et d’autres demandes du capital progressera de manière sans précédent, de même que la lutte pour la conquête des ressources en eau [barrages destructeurs écologiquement et captation potentielle d’eau potable en «bouteille» ou en bonbonne par Nestlé ou un concurrent] et contre les travaux d’infrastructure, ce qui implique une lutte pour l’installation [avec les oppositions potentielles réprimées] de centrales hydroélectriques et de barrages, exigée par l’agro-industrie brésilienne qui se développe au prix de graves conflits et de meurtres dans les campagnes, tant contre les petits agriculteurs indiens que non indiens et les communautés extractives [petits chercheurs d’or dont les dégâts réels – avec le mercure – sont présentés comme un crime écologique, alors que les dévastations modernes sont camouflées sous l’aspect de la modernité technologique – Réd. A l’Encontre].
Selon le rapport du CPT (Commission pastorale de la terre) «Les conflits dans la campagne brésilienne», l’année 2016 été marquée par le plus grand nombre de meurtres dans les campagnes: «avec 60 morts, 20% de plus que l’année précédente, 2016 est devenue l’année la plus violente dans la campagne depuis 2003». En 2017, ce nombre est passé à 71 assassinats, soit une augmentation de 15 %, dont 22% des personnes tuées étaient des dirigeants autochtones, des quilombolas et de petits agriculteurs.
En 2018, selon le CPT, sur les 24 meurtres, 53% étaient des dirigeants. Bien qu’en 2018 ce nombre ait diminué, le pourcentage de dirigeants a augmenté. Cela représente une grave menace pour ceux et celles qui consacrent leur vie à la lutte pour le droit à la terre, leur culture et leur peuple. Cette situation est très grave et exige un appui international pour éviter la décimation complète des peuples traditionnels, ainsi que la vente à l’encan des richesses naturelles du territoire brésilien. Il n’est pas étonnant que le transfert des titres fonciers soit entre les mains du «commandement de l’agro-industrie», ainsi qu’une responsabilité du vice-président de la république [l’ex-général Hamilton Mourão] avec ses préoccupations concernant le ministère de l’Infrastructure, également commandé par un militaire [Tarcisio Gómes de Freitas, militaire commandant du génie militaire, soit l’ingénierie de l’armée].
Tout aussi important est l’effacement des initiatives passées [informations, décrets, etc.] visant à garantir les droits des gays, lesbiennes, bisexuels, transsexuels et autres groupes LGBT, par le ministère des «Droits de l’homme» mené par la ministre réactionnaire Damares. Cela s’est fait sans aucune rumeur interne au pouvoir, puisqu’il s’agit même d’un agenda commun pour le projet «de sécurité nationale» à caractère fasciste qui doit se concrétiser selon une tonalité à basse fréquence.
Dans la foulée de la militarisation promue par le programme de Bolsonaro, on peut citer six responsables qui ont participé à l’invasion de Haïti qui a duré 13 ans, de 2004 à 2017. Certains commandants et d’autres ont participé directement à la MINUSTAH – Mission des Nations Unies pour la stabilisation en Haïti. Outre le commandement des troupes en Haïti (2012), le chef d’état-major de l’INEP a également été chef du cabinet de la sécurité institutionnelle de la Présidence de la République dans l’administration Lula en 2008-2009.
Pour soutenir l’armée, le gouvernement restructure le ministère de la Justice, donnant de nouveaux pouvoirs à l’ancien juge fédéral Sergio Moro, l’ancien ministère du Travail relève aussi de la Justice [référence au «terrorisme» des mouvements sociaux – Réd.]. C’est à lui qu’incombera la responsabilité de publier la «charte syndicale». La question de la production et de l’emploi sera sous le contrôle direct de l’économiste ultralibéral Paulo Guedes.
Une autre mesure s’inscrit dans la logique militaire, puisque le gouvernement ne présente pas de mesures concrètes pour améliorer la sécurité publique. Elle se concentre sur la remise [socialement sélective] du droit de port d’armes [avoir l’arme sur soi] aux «citoyens». Il est à noter que la mesure est justifiée par l’utilisation d’armes pour que chacun puisse faire sa défense individuelle, cela signifie transférer directement aux individus ce qui est le devoir de l’Etat, tandis que le gouvernement fédéral maintient les interventions militaires dans les Etats et aussi la présence de la Force nationale. La fraction parlementaire qualifiée «de balles» préconise l’abrogation de la loi sur le Statut du désarmement avec des justifications douteuses qui ne tiennent pas compte des causes réelles des crimes commis avec des armes à feu, comme les problèmes des féminicides et bien d’autres.
Alors que le militarisme avance en occupant des portefeuilles ministériels avec des propositions encore peu claires sur la politique à mettre en œuvre, le ministre Paulo Guedes se positionne avec l’urgence de promouvoir la contre-réforme de la sécurité sociale.
Comme prix d’une économie orthodoxe, nous observons déjà l’attaque directe sur les droits déjà initiée face à la peur [élections en octobre, prise du mandat en janvier] du prochain nouveau gouvernement par l’approbation de l’amendement constitutionnel 95 et de la (contre)réforme du travail sous l’ex-président Michel Temer qui est approfondie maintenant par le gouvernement bolsonarien. Les compressions budgétaires continuent de pénaliser les plus vulnérables, comme la réduction des investissements dans la santé des peuples autochtones de 1,77 milliard (2017) à 1,4 milliard (2019).
Mais c’est la contre-réforme de la sécurité sociale qui est en tête du débat pour achever le projet de recul des droits des travailleurs et travailleuse. Il est en cours de définition entre le Ministre de l’Economie et le Ministre de la Maison civile. Ils proposent dans un seul texte de présenter des amendements à la réforme envoyés par Michel Temer, considérant que la proposition de l’ancien président ne résoudrait pas de manière durable le problème du déficit de la sécurité sociale et que cela évitera l’usure politique du gouvernement en négociant une proposition «par tranches». Jusqu’à présent, le texte n’a pas été discuté publiquement, mais des spéculations existent selon lesquelles la réforme séparera la politique sociale du système d’assistance et apportera une nouveauté, à savoir l’introduction du système de capitalisation pour les futures jeunes salarié·e·s, alternant avec le système par répartition, entre autres changements tels que l’âge minimum et la pension allouée lors du décès [ce qui implique de facto deux secteurs juridiquement séparés dans le salariat avec un effet sélectif pour celui qui est soumis à la capitalisation et aux statuts précaires divers].
Alors que les informations ténébreuses demeurent dans les salles du Palais présidentiel (Planalto), le Congrès se prépare à élire ses dirigeants au milieu de différends très inégaux sur le formatage de ces institutions, la classe ouvrière attend, mais commence aussi à s’organiser pour faire face par des actions en justice, des lettres ouvertes, des dénonciations internationales, face aux attaques annoncées.
C’est à nous d’explorer les contradictions internes et de ne pas négliger et sous-estimer ce qui est arrivé avec le désir de rester sur place. Nos agendas ne peuvent pas «se calmer», les libertés démocratiques, la révocation de la EC 95 [décret adopté qui gèle tous les investissements publics pour 20 ans au nom de l’équilibre budgétaire]; contre la contre-réforme de la sécurité sociale, la titularisation des terres [qui permet d’exproprier légalement les terres des petits agriculteurs, des quilombolas, etc.], la question environnementale, sont quelques-uns des sujets qui seront à l’ordre du jour. Pour cela, l’unité de gauche est plus que nécessaire, c’est une exigence. Au retour du fonctionnement du Congrès, les mesures provisoires et les propositions de contre-réforme seront immédiatement mises à l’ordre du jour et la classe ouvrière a hâte que le Carnaval passe [celui du théâtre politique et celui de quatre jours du début mars]! (Article éditorial sur le site Esquerda online; traduction et édition Rédaction A l’Encontre)
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[1] Le 29 octobre 2018, suite à la victoire de Jair Bolsonaro, Reuters écrivait: «La Bourse de São Paulo a atteint un nouveau record lundi au lendemain de la victoire à l’élection présidentielle du candidat d’extrême droite Jair Bolsonaro, qui s’est engagé à combler rapidement le déficit budgétaire et à contenir la dette.
Les investisseurs savent gré à l’ancien officier d’avoir empêché un retour de la gauche au pouvoir mais ils préviennent qu’il lui faudra agir rapidement sur le front économique pour continuer d’avoir la faveur des marchés.
L’indice Bovespa, référence du marché boursier brésilien, gagnait 2,4% en début de séance, emmené par les poids lourds de la cote et sociétés nationales. La compagnie pétrolière Petróleo Brasileiro (Petrobras) s’octroyait ainsi 3,6% et la banque Itaú Unibanco Holding 3,3%.
Sur le marché des changes, le réal s’est raffermi de 1,4% à 3,6 pour un dollar, de loin la meilleure performance des devises latino-américaines lundi, tandis que le coût de l’assurance contre un défaut de la dette souveraine chutait fortement.
“Les marchés espèrent que la victoire de Bolsonaro va libérer les «esprits animaux» [animal spirits, formule que John Maynard Keynes utilisait dans son ouvrage de 1936 The General Theory of Employment, Interest and Money, mais dont l’interprétation est le plus souvent erronée. Keynes a repris la formule d’un psychologue étudié en 1905. Il l’utilisa dans un sens évolutionniste, concernant les acteurs économiques, mettant l’accent sur la créativité capitaliste, mais aussi sur l’ubris, sur les excès des acteurs économiques – Réd. A l’Encontre] au Brésil compte tenu de la qualité de l’équipe économique qui l’entoure, menée par Paulo Guedes”, déclare Yacov Arnopolin, gérant de Pimco, spécialiste des marchés émergents, reprenant le concept cher à l’économiste John Maynard Keynes pour décrire l’énergie des agents économiques.»
Malgré les incertitudes, les anticipations du capital restent positives et l’affirmation ci-dessus semble exagérée, pour ne pas dire fausse. Voici l’évolution de l’indice Bovespa de fin décembre 2018 au 18 janvier 2019 (C-A Udry – Réd. A l’Encontre)
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