Italie. «Le syndicat est autre chose» (I) et campagne de solidarité avec les salarié·e·s de Fiat Chrysler Automobile (II)

image11Document du séminaire
de Bellaria (I)

La guerre permanente et asymétrique montre la profondeur et de la gravité de la crise du capitalisme au niveau global. Le 12 mars, plusieurs manifestations ont donné lieu à un embryon du mouvement contre la guerre [1] qui s’annonce sur une large échelle juste aux portes de l’Italie. Nous sommes encore loin de pouvoir empêcher une catastrophique guerre italienne en Libye. Il est plus que nécessaire de maintenir, de renforcer et d’étendre le mouvement contre la guerre, l’austérité et la terreur. Ces trois dernières étant intimement liées entre elles. Mais quelque chose commence à bouger.

• En France, le mouvement qui a envahi les rues de Paris contre la nouvelle loi du travail [le job Act] du gouvernement «socialiste» de Manuel Valls [et Hollande] pendant les derniers jours rompt, finalement, le mur de la relative passivité sociale d’ensemble installée depuis quelques années en France.

Ce mouvement s’oppose aussi à la tentative de suspension des garanties constitutionnelles de la part du gouvernement français sous le prétexte de la lutte contre terrorisme. Cette mobilisation s’insère également dans un cadre de profonde instabilité politique et institutionnelle en France. De plus, du Portugal à l’Espagne, il y a de significatives formes de résistance contre la dureté des politiques d’austérité qui réduisent, au fur et à mesure, le consensus entre les forces politiques «au pouvoir». En Italie, la mobilisation organisée par les secteurs du syndicalisme de base, à l’occasion de la grève du 18 mars dernier, est un premier pas, bien que d’une ampleur n’est pas comparable aux dynamiques à l’œuvre dans d’autres pays.

• En général, la capitulation de Tsipras à l’égard de la Troïka [dès juillet 2015, ouvertement, et qui se prolonge depuis lors] a rendu évidente l’impossibilité d’une issue institutionnelle face à l’ampleur des politiques d’austérité. D’où l’importance des mouvements sociaux qui viennent de réapparaître sur la scène sociale en Grèce [mobilisation du 4 février]. La rupture des limites imposées par les traités de l’Union européenne (UE) et par la logique du marché est donc une condition indispensable pour défendre et reconquérir un système de droits sociaux.

• Une rupture nécessaire tant sur le plan politique que sur le plan social. Le scénario d’une instabilité politique permanente n’épargne pas non plus le gouvernement de Matteo Renzi [Président du Conseil des ministres depuis le 22 février 2014] qui a perdu une bonne partie de son appui à cause de la détérioration des conditions de vie concrètes de la majorité de la population. Toutefois, la faiblesse du gouvernement italien correspond à la phase de la plus longue de passivité sociale depuis la création de la République italienne [en 1947]. L’absence d’une opposition effective aux politiques du gouvernement permet à celui-ci de poursuivre sans obstacle l’attaque au système social de notre pays.

• En même temps, les diverses luttes qui s’expriment dans cette phase subissent inévitablement le poids dramatique de l’isolement, le manque d’une unité d’action et l’absence d’une initiative générale d’un syndicat [en l’occurrence la CGIL] opposant une résistance contre le processus de destruction des droits syndicaux, sociaux et civiques, des garanties contractuelles et du salaire.

La capitulation de la Confédération générale italienne du travail (CGIL) face au Jobs Act – combiné avec sa crise socio-économique toujours plus profonde – continue à produire des résultats désastreux. L’unité avec la Confédération italienne des syndicats de travailleurs (CISL) et l’Union italienne du travail (UIL) dans la négociation collective marque la fin d’un affrontement qui a existé, à des degrés divers, depuis longtemps – et qui était propre au syndicat CGIL – sur le rôle et la fonction de la négociation collective et sa bilatéralité [son aspect d’amortisseur de l’affrontement des intérêts de classe], des cotisations liées au welfare, de la participation des travailleurs au sein de l’entreprise et de la démocratie syndicale. [Lire à ce sujet : http://alencontre.org/europe/italie/italie-le-jobs-act-realite-et-metaphore-dune-victoire-des-dominants.html]

• On peut saisir cette réalité à l’occasion du renouvellement des conventions collectives de travail (CCT). En effet, la conclusion de toutes les CCT marque des reculs ultérieurs sur deux plans: 1° des détériorations des normes contractuelles ; 2° intégration de parties du Jobs Act gouvernemental.

Même l’unité retrouvée de la Fédération des employés et des ouvriers de la métallurgie (FIOM) avec la Fédération italienne des travailleurs de la métallurgie (FIM) et l’Union italienne des travailleurs de la métallurgie (UILM) [2] par rapport au conflit des salarié·e·s de la métallurgie – bien plus qu’une unité d’action – s’inscrit dans la logique de mettre fin à toute querelle au sein de la CGIL.

Si dans le passé la FIOM s’opposait à la dérive de la CGIL, la situation est fort différente aujourd’hui. En effet, la FIOM risque de jouer un rôle clef dans l’établissement d’un nouveau contrat social avec les sommets de la Confédération générale de l’industrie italienne (CONFINDUSTRIA) à propos du système de négociation collective, du droit de représentation des salarié·e·s et du droit de grève. Ceci dans la perspective de mettre sur pied un système corporatif et autoritaire, dont les contours sont annoncés par un accord sur la représentation syndicale du 10 janvier 2014 [3].

• Ce n’est pas un hasard si c’est la FIOM elle-même qui demandé et obtenu l’approbation de la part de la commission des statuts CGIL sur l’incompatibilité des délégués de la Fiat Chrysler Automobile (FCA) [4].

Dans cette affaire, le vote du comité central qui a assumé la décision concernant l’incompatibilité entre la libre et autonome initiative syndicale [dans l’entreprise ou diverses filiales d’une firme], d’un côté, et l’appartenance à la CGIL, de l’autre, symbolise, définitivement, la rupture avec l’histoire plurielle, démocratique, conflictuelle du syndicat le plus grand de notre pays.

L’assemblée des délégué·e·s de la plateforme « Le syndicat est autre chose » (http://alencontre.org/europe/italie/le-syndicalisme-italien-face-au-couple-renzi-squinzi.html) dénonce la gravité, sans précédent, du choix de la FIOM de frapper les délégués FCA qui étaient en grève contre les samedis imposés et la charge de travail excessive.

• La campagne contre les expulsions du syndicat et/ou les destitutions des délégué·e·s FCA est l’une de nos initiatives prioritaires durant les prochaines semaines [5]. Cette bataille doit être conduite pour réaffirmer la centralité du rôle des ouvriers et de la démocratie syndicale tant à l’intérieur et à l’extérieur de leur organisation syndicale à laquelle ils adhèrent.

C’est notre expérience et pratique collective d’opposition qui est remise en question par le tournant de la CGIL et de la FIOM. Le large consensus autour de l’appel «Nous sommes tous incompatibles» avec cette ligne est la démonstration – dans la forme plus radicale et solidaire –, d’une part, d’une solidarité avec les délégués de la FCA, et, d’autre part, d’un engagement aux côtés de tous ceux et de toutes celles qui veulent se défendre sur les lieux de travail, mais perçoivent le syndicat comme éloigné d’eux, si ce n’est hostile.

Sussana Camusso (CGIL) et Maurizio Landini (FIOM), le 23 mars 2016
Susanna Camusso (CGIL) et Maurizio Landini (FIOM),
le 23 mars 2016

• Les nombreux témoignages contre les sanctions disciplinaires vont bien au-delà de notre syndicat. Au cours des prochains jours se multiplieront des prises de position collectives d’intellectuels, de personnalités du monde académique et de juristes.

Nous sommes de l’avis que cette campagne doit prendre pour cible chaque réunion des organismes dirigeants et chaque instance de la CGIL et de la FIOM en Italie. L’Assemblée nationale demande à toutes et à tous les camarades du «Le syndicat est autre chose» de stimuler des séances de soutien dans tout le pays. Tout cela devrait conduire Susanna Camusso et Maurizio Landini [6] à ne pas aller plus loin.

Nous porterons cette campagne lors de la réunion directoire national de CGIL qui se déroulera le lundi 21 mars. Il est vraiment impensable que la CGIL mette un trait au droit de grève alors même qu’elle se prête à promulguer une charge sur les droits élémentaires des travailleurs et travailleuses. (Document approuvé à l’unanimité, avec 11 abstentions, lors du séminaire qui s’est conclu le 20 mars 2016 à Bellaria; traduction A l’Encontre)

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[1] Différentes manifestations ont été organisées contre la guerre et pour la paix dans différentes villes en Italie. Lire l’appel « 12 mars contre la guerre »: https://12marzocontrolaguerra.wordpress.com

[2] La FIOM se caractérise par une combativité syndicale plus élevée alors que la FIM (du moins depuis la fin des années 1970) et la UILM sont depuis très conciliants avec le gouvernement et les associations patronales. [Rédaction A l’Encontre]

[3] Cet accord s’inscrit à la suite du conflit ouvert par la restructuration des usines de Pomigliano d’Arco et de Mirafiori de FIAT en 2011) http://alencontre.org/europe/quand-la-fiat-veut-briser-les-droits-syndicaux.html). Il s’agissait alors d’un premier banc d’essai pour vérifier la mise en pratique de «nouvelles relations collectives de travail» fondées sur une dégradation des conditions de travail et l’éviction des syndicats qui s’y opposent. Ce banc d’essai aboutit précisément à l’accord du 10 janvier 2014, lequel comporte les trois points suivants: 1° Il n’accorde le droit de représenter les salarié·e·s qu’aux syndicats signataires des CCT; 2° Une détérioration des conditions de travail peut être négociée dans le cadre d’une CCT d’entreprise dont la fonction consiste à déroger aux normes de la CCT négociée au niveau de la branche; historiquement, suivant les rapports de forces dans l’entreprise, des gains pouvaient obtenus allant au-delà du contrat de branche; 3° Les syndicats ou les délégué·e·s rebelles peuvent être sanctionnés par un tribunal arbitral, dont la composition est la suivante: trois représentants des syndicats signataires CGIL, CISL et UIL, trois représentants de CONFINDUSTRIA, ainsi qu’un président ayant le statut «d’expert externe» choisi d’un commun accord par les six autres membres du tribunal! [Rédaction A l’Encontre]

[4] Le collège statutaire de la CGIL a décidé qu’il y a une incompatibilité pour un délégué entre l’appartenance à la Coordination intersyndicale des travailleurs du groupe FCA et la CGIL-FIOM. Cette coordination intersyndicale, qui réunit les délégués de plusieurs syndicats, est à l’origine de plusieurs grèves contre l’imposition du travail le samedi, notamment dans les usines FCA (ex-Fiat) du Centre et Sud de l’Italie, notamment à Termoli, Melfi et Atessa. La décision du collège statutaire de la CGIL accorde la possibilité à la FIOM d’expulser ces délégués de leur syndicat. Elle met de ce fait en discussion l’organisation et la pratique des libertés démocratiques dans la CGIL-FIOM. Une campagne a dès lors été lancée pour éviter que ces déléguées soient l’objet d’une expulsion. [Rédaction A l’Encontre]

[5] Lire la note n° 4.

[6] Depuis 2010, Susanna Camusso et Maurizio Landini sont secrétaires généraux respectivement de la CGIL et de la FIOM. [Rédaction A l’Encontre]

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«Vous êtes les incompatibles»! (II)

Solidarité avec les délégué·e·s FIOM des usines italiennes de Fiat Chrysler Automobiles (FCA) frappés par bureaucratie syndicale!

Fiat Tremoli (Calabria, province de Cosenza)
Fiat Tremoli (Calabria, province de Cosenza)

• Les conditions d’exploitation en cours dans les usines italiennes de la Fiat Chrysler Automobiles (FCA) que le PDG Sergio Marchionne [qui a été aussi lans le conseil d’administration de l’UBS ou de Lonza – à Viège (Valais) – aux côtés et contre Blocher, actuellement aussi à la tête de Ferrari] a imposé aux travailleurs et travailleuses sont bien connues: rythmes massacrants et travail insupportable en équipes alternantes s, chantages, autoritarisme et répression de la part de l’encadrement.

• Sont connues également les tentatives du PDG de la FCA pour mettre hors jeu et mettre dehors des usines la Fédération italienne des ouvriers de la métallurgie (FIOM): le syndicat qui pour longtemps a cherché – il est vrai sans jamais œuvrer à l’unité des ouvriers entre les différentes usines – à s’opposer à cette offensive patronale, dans le but de défendre les droits sacrés des travailleurs et des conditions de travail décentes.

• Dans ce contexte, la FIOM a appuyé récemment des grèves dans les usines du Sud de l’Italie, de sorte à stimuler une opposition à cette offensive patronale à partir de la lutte contre les heures supplémentaires du samedi. L’entreprise souhaite les imposer pour ne pas embaucher de la main-d’œuvre supplémentaire.

• La direction de la FIOM a pourtant renoncé rapidement à poursuivre cette orientation de résistance étant donné que sa direction privilégie le rapprochement avec les autres syndicats de la branche, la Fédération italienne des ouvriers de la métallurgie (FIM) et l’Union italienne des travailleurs de la métallurgie (UILM), lesquels sont depuis toujours subalternes aux patrons et prêt à satisfaire à leurs exigences [voir article ci-dessus].

• Les délégué·e·s de la FIOM ne pouvaient pas accepter d’adhérer à cette orientation de la bureaucratie syndicale étant donné qu’ils subissent sur leur propre peau les effets de la politique patronale de Sergio Marchionne. C’est donc dans la continuité de leur engagement, de l’histoire même de la FIOM et du syndicalisme de classe – ainsi que du rapport de confiance avec les ouvriers dont ils sont les représentants – qu’ils ont décidé de lancer des grèves contre les heures supplémentaires du samedi. Ainsi, ils ont réussi à s’opposer avec succès à la direction de la FCA, laquelle a très mal pris cet acte de résistance.

• Les délégué·e·s de la FIOM ont aussi participé à une forme de coordination entre délégué·e·s et travailleurs des usines concernées appartenant à différents syndicats. Cette action a été entreprise sur la base du principe fondamental, nécessaire et inaliénable, de la solidarité entre travailleurs et travailleuses face au patronat. Un choix qui s’inscrit par ailleurs dans la continuité de l’orientation passée de la FIOM et mise en pratique par ses délégué·e·s dans différents lieux de travail.

• Face à cette capacité d’initiative démocratique et par le biais des délégué·e·s et des travailleurs, les dirigeants de la CGIL et de la FIOM n’ont pas trouvé de mieux que de chercher à bloquer cette orientation pratique de lutte en sanctionnant les délégué·e·s concerné·e·s.

Le prétexte est celui de la participation à une coordination intersyndicale considérée comme un acte de rupture avec la CGIL. Dans un premier temps, c’est le Collège statutaire de la CGIL qui s’est prononcé. Il a estimé – sans même entendre les travailleurs et travailleuses concernés – que l’appartenance à la CGIL est incompatible avec celle de la coordination intersyndicale.

Dans la foulée, le Comité central de la FIOM, sur indication et responsabilité de son secrétaire général Maurizio Landini, a pris une décision sans précédent: les délégué·e·s concernés ne peuvent plus faire part des instances de direction de la FIOM et, surtout, ne représentent plus le syndicat sur les lieux de travail. Il s’agit, de fait, d’une menace d’expulsion.

Ces membres du syndicat ne se voient imposer que des devoirs et tous leurs droits syndicaux sont niés, à partir de celui, élémentaire et fondamental, pour un militant syndical d’organiser la lutte des travailleurs et des travailleuses sur la base des conditions concrètes sur les lieux de travail.

• Il s’agit d’un acte bureaucratique grave. Une décision inimaginable jusqu’à maintenant. Elle ne fait pas honneur à la FIOM et à son histoire. Elle sonne la sirène d’alarme d’une orientation profondément erronée vers une normalisation de l’appareil syndical à l’instar de la FIM et la UILM.

• Cet acte prend pour cible ce que la FCA redoute le plus: la capacité et la possibilité de construire la lutte ouvrière à l’intérieur des usines; cette lutte menée par les travailleurs eux-mêmes. Ceci est d’autant plus grave qu’une attaque sans précédent est en cours contre le mouvement ouvrier et les salarié·e·s. L’action conjointe entre gouvernement et patronat vise, actuellement, à atteindre le droit de grève, après la protection contre le licenciement a été affaiblie, avec succès.

image4• Nous adressons tout notre soutien et toute notre solidarité aux travailleurs et travailleuses de la FIOM touchées par cette sanction absurde et injuste. Nous nous engageons à entreprendre toutes les initiatives nécessaires à la défense de leurs droits.

Nous demandons à la direction de la FIOM, ainsi qu’à son secrétaire Maurizio Landini, de revenir sur leurs pas et de ne pas aller au-delà dans cette voie profondément erronée.

Nous appelons aussi toutes les forces politiques et sociales qui dénoncent à juste raison les dérives anti-démocratiques actuelles dans notre pays de participer à cette campagne de solidarité. Ce qui est en jeu c’est la capacité des syndicats et des travailleurs/travailleuses à disposer des outils organisationnels et politiques pour opposer une résistance contre la guerre sociale déclenchée par les classes dominantes. (Traduction A l’Encontre)

Envoyer toutes et tous vos signatures en solidarité à l’adresse: sindacatounaltracosa@gmail.com

 

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