Les comptes suisses de trois parlementaires UMP

Bruno Sido, Bernard Brochand et Lucien Degauchy
Bruno Sido, Bernard Brochand et Lucien Degauchy

Par Mathilde Mathieu

La Haute Autorité pour la transparence a saisi la justice des cas de parlementaires qui ont dissimulé des avoirs en Suisse et ont rempli de fausses déclarations de patrimoine.

Le député Lucien Degauchy (UMP) a rapatrié son compte en 2014 après trois décennies à Genève.

Le sénateur Bruno Sido (UMP) a hérité d’un compte ouvert par son père dans les années 1990, dont il a entamé la régularisation en 2013 seulement.

Le député Bernard Brochand (UMP) aurait détenu un compte à l’UBS depuis quatre décennies, non signalé dans sa déclaration de patrimoine.

Jérôme Cahuzac n’est pas un cas isolé. Plusieurs parlementaires français ont détenu un compte en Suisse non déclaré pendant des années, voire des décennies, sans que les autorités ne se soient donné les moyens de les débusquer jusqu’ici. Les cas du député Lucien Degauchy (UMP) et du sénateur Bruno Sido (UMP), mais aussi du député Bernard Brochand (UMP), ont été signalés à la justice par la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HAT), l’instance chargée depuis cette année d’éplucher les déclarations de patrimoine des élus, qui l’a fait savoir jeudi 13 novembre dans un communiqué.

Présidée par Jean-Louis Nadal, cette autorité indépendante qui collabore étroitement avec l’administration fiscale a saisi le parquet de Paris, non pas de soupçons de «fraude fiscale» (seul Bercy pouvant porter plainte en la matière), mais pour signaler le fait que ces trois parlementaires ont probablement menti dans leurs déclarations de patrimoine, en omettant de mentionner leurs avoirs détenus outre-Léman. Dans un communiqué publié jeudi soir, elle évoque «un doute sérieux quant à l’exhaustivité, l’exactitude et la sincérité de leurs déclarations».

Or, depuis les lois sur la transparence de 2013, toute «omission» peut valoir aux délinquants en col blanc et cravate jusqu’à trois ans de prison et 45 000 euros d’amende, possiblement alourdis d’une interdiction des droits civiques et d’exercer une fonction publique.

Sachant que des avoirs ont été dissimulés au fisc pendant des années, rien n’empêchera évidemment le parquet, une fois saisi, d’élargir ses investigations à des soupçons de «blanchiment de fraude fiscale», s’il le juge nécessaire. Saisi le 7 novembre des cas de Bruno Sido et Lucien Degauchy, il a d’ores et déjà ouvert des enquêtes préliminaires, confiées à l’Office anti-corruption de Nanterre. De son côté, Bernard Brochand assure dans un communiqué que son compte en Suisse était déclaré au Fisc français et que «les dépôts d’argent (…) effectués sur ce compte dans les années 70 ont été soumis à l’impôt français.»

En septembre, arguant d’une nécessaire exemplarité des élus, nombre de parlementaires UMP avaient appelé Thomas Thévenoud à renoncer à son siège de député, lui qui ne déclarait pas correctement ses impôts. Cette fois, combien vont remettre en cause les mandats de messieurs Brochand, Degauchy et Sido? Certains vont sans doute se dépêcher d’attendre.

Car la HAT devrait tirer d’autres salves. Alors qu’elle n’a pas tout à fait terminé de contrôler les déclarations de patrimoine des parlementaires (bientôt consultables en préfecture), des saisines pourraient suivre pour des cas d’évaluations immobilières outrageusement minorées – le signalement relatif à Lucien Degauchy s’appuie aussi sur une «sous-déclaration» de ses biens immobiliers estimée à 50 % environ par la HAT. À ce stade, elle se refuse à tout commentaire.

En attendant, la Haute Autorité a sélectionné trois premiers dossiers peu «risqués», difficilement récusables, comme pour se faire les dents.

Bruno Sido (UMP), sénateur et président du conseil général de Haute-Marne

Cet agriculteur de métier a longtemps été l’ayant droit d’un compte suisse ouvert par son père au milieu des années 1990 à la banque cantonale vaudoise, comme il l’a reconnu auprès de Mediapart. «C’est un héritage, je n’ai jamais alimenté moi-même ce compte dormant», déclare Bruno Sido, en précisant qu’il contenait environ 150 000 euros.

L’élu affirme avoir lancé une procédure de régularisation en juillet 2013, qui aurait débouché sur un rapatriement effectif des fonds en France «à la fin 2013». «De mémoire, j’ai payé 26 000 ou 28 000 euros de pénalités», assure-t-il. Pourquoi donc avoir attendu si longtemps ? «J’ai d’abord considéré que je l’avais en nue-propriété, jusqu’à la mort de mon père en 2002. Puis il fallait que j’en discute avec mes frères et sœurs…»

Quand il a rempli sa déclaration de patrimoine pour la HAT début 2014, Bruno Sido a certes mentionné cette procédure et les montants concernés. Mais pendant toutes les années antérieures, il a remis de fausses déclarations à l’ancêtre de la Haute autorité, ne pipant mot de ses avoirs dissimulés en Suisse. En particulier en 2011, après sa réélection au Sénat.

C’est cette «omission» qui fait aujourd’hui l’objet d’un signalement au parquet. «Il ne s’agit pas d’argent public, insiste Bruno Sido. Et ça ne concerne en rien mes mandats locaux.»

Par le passé, ce baron local, sénateur discret dans l’hémicycle mais poids lourd à la tête du groupe des présidents de conseils généraux de droite et du centre, mobilisé contre la suppression des départements, a déjà été épinglé par France Soir pour son train de vie.

En 2011, le quotidien passait tout en revue: son surnom de «roi Sido» ; le contrat d’assistante parlementaire de son épouse, qui cogère par ailleurs sa société agricole (il est toujours en cours) ; les subventions européennes de la PAC empochées par son exploitation («133 700 euros en 2009 pour 400 hectares de céréales») ; son choix de résider dans «un hôtel particulier de deux étages appartenant au conseil général», avec «personnels de maison» requis pour l’occasion, «potager et serre personnels» entretenus par les jardiniers de la collectivité, etc. «Il n’y a eu aucune remarque de la chambre régionale des comptes», avait alors répliqué Bruno Sido. En 2013, sa collègue socialiste Laurence Rossignol lui a par ailleurs décerné «la palme du misogyne» du Sénat.

Bernard Brochand (UMP), député des Alpes-Maritimes

Dans sa déclaration de patrimoine, l’ancien maire de Cannes, que nous n’avons pas réussi à joindre à ce stade, est soupçonné d’avoir dissimulé d’importants avoirs en Suisse à la banque UBS, de source judiciaire. Celle-ci évoque un montant dépassant le million d’euros. Jeudi soir, le député a cependant affirmé, par communiqué, que «les dépôts d’argent, gagnés légalement par mon travail, effectués sur ce compte dans les années 70 ont été soumis à l’impôt français. Ma situation est donc claire, légale et honnête. Que la Haute Autorité fasse son travail est normal, en revanche, que je sois jeté en pâture et victime d’amalgame avec des fraudeurs est honteux, je ne l’accepte pas. Je demande donc que les vraies informations soient communiquées.»

Dans un autre dossier, un juge cannois a déjà demandé en avril la levée de son immunité, dans le cadre d’une information judiciaire ouverte notamment sur des soupçons de «corruption passive et active», pour l’entendre sous le régime de la garde à vue. Une levée refusée. Plusieurs personnes de l’entourage de Bernard Brochand, qui ne s’est pas représenté aux dernières municipales, ont été mises en examen.

En pleine affaire Cahuzac, l’élu avait publié une tribune sur son site internet, pour s’élever contre la publication du patrimoine des parlementaires (ils sont uniquement consultables): «Cela ne ferait que dresser les Français les uns contre les autres en rappelant des heures sombres de notre histoire.»

Lucien Degauchy (UMP), député de l’Oise

Comme il l’a déjà admis dans Le Monde du 23 octobre, Lucien Degauchy, ancien horticulteur de 77 ans, cinq mandats de député au compteur, a été l’ayant droit d’un compte en Suisse ouvert par ses parents pendant trois décennies, jusqu’au lancement d’une procédure de régularisation à l’été 2013. Mais le député UMP de l’Oise, voisin de circonscription d’Éric Woerth, a quelque peu enjolivé l’histoire narrée au quotidien du soir.

D’après nos informations, l’argent stocké sur son compte avant le rapatriement s’approcherait en fait des 200 000 euros. «C’est faux», nous rétorque Lucien Degauchy, qui ne s’accroche certes plus à la somme de «100 000 euros» indiquée au Monde, mais parle désormais de «138 000 ou 148 000 euros».

«C’est le compte que mes parents commerçants ont racheté à un ami banquier à l’arrivée de François Mitterrand (ndlr, en 1981), insiste le député, aujourd’hui assujetti à l’ISF (impôt de solidarité sur la fortune). Parce qu’ils pensaient qu’ils étaient fichus en France.» En réalité, l’opération daterait de quelques années plus tard.

À l’en croire, s’il n’a pas signalé d’avoirs en Suisse dans sa déclaration de janvier à la HAT, «c’est que le compte était clôturé, que j’attendais les fonds», souffle Lucien Degauchy. D’après nos informations, la procédure de rapatriement n’aurait pourtant abouti qu’à l’été 2014… De toute façon, ce n’est pas d’une fausse déclaration de patrimoine qu’il s’agit, mais d’une multitude: depuis sa première élection comme conseiller général en 1985, jamais ses avoirs en Suisse n’ont été mentionnés.

«Je ne me sentais pas propriétaire de ce compte, sur lequel je n’ai jamais déposé un centime, se justifie-t-il aujourd’hui. Ce sont mes parents qui l’ont alimenté, en me faisant promettre que l’argent irait à leurs petits-enfants. À la mort de mon père, il y a une quinzaine d’années, c’est devenu un compte dormant. Pour moi c’était un fardeau, une épée de Damoclès. Je n’y étais pour rien, bon Dieu !»

Pourquoi a-t-il décidé de régulariser en 2013 seulement ? «Cette année-là, les serres de mon fils horticulteur ont été ravagées par la grêle et ma fille a divorcé. J’ai vu l’occasion de respecter les dernières volontés de mes parents en dépannant mes enfants, tout en profitant de la circulaire Cazeneuve (des pénalités atténuées pour les évadés fiscaux se présentant spontanément à l’administration, ndlr). J’ai tout fait le plus légalement possible, j’ai donné pouvoir au cabinet spécialisé Francis Lefebvre, j’ai payé les pénalités ! Pourquoi devrait-on me traiter comme un bandit ? Si j’avais fait comme tout le monde, si j’avais payé un scooter en Suisse pour rapatrier l’argent comme tout le monde, vous auriez dit quoi ? Toute ma vie, j’ai essayé d’être d’une honnêteté sans pareille !»

Après des décennies sans bouger le petit doigt, l’argumentaire convainc difficilement. Lucien Degauchy a eu moult occasions de se mettre en règle plus vite avec le fisc, en particulier en 2011. Comme le député le détaille lui-même, sa banque l’a prié à l’époque de transférer son argent dans un autre établissement, jugeant trop risqué de conserver un parlementaire français dans ses listings (une «personnalité exposée politiquement» dans le jargon des banquiers suisses). «Ils avaient des fuites ou je ne sais pas quoi, nous confie Lucien Degauchy. Ils ne pouvaient pas me garder, j’ai dû virer l’argent dans une autre banque à eux.» À l’entendre, il serait presque victime dans cet épisode: «Ça n’est pas vraiment moi qui ai changé de banque, ça s’est fait d’autorité.»

De 2007 à 2010, alors que son collègue et voisin Éric Woerth était ministre du budget, bien placé pour lui expliquer comment procéder discrètement, le député n’avait pas davantage régularisé sa situation. «J’y ai bien pensé, rétorque Lucien Degauchy. Mais je ne voulais pas, vis-à-vis de lui. Je ne voulais pas qu’on dise que je profitais d’Éric Woerth pour rapatrier.»

En mars 2013, en tout cas, le parlementaire a jugé opportun en pleine affaire Cahuzac de signer une proposition de loi pour «la mise en place d’un dispositif d’amnistie fiscale» à l’intention des évadés fiscaux français. «À l’heure où le gouvernement français cherche de nouvelles recettes fiscales, il est urgent d’imaginer des mesures fortes afin de rapatrier les capitaux indispensables à la relance de notre économie», pouvait-on lire dans ce texte, qui proposait d’instaurer une «taxe forfaitaire» de 5 % seulement sur les avoirs ainsi rapatriés ! «Selon certaines estimations, le montant des seuls avoirs français placés en Suisse atteindrait près de 45 milliards d’euros», insistait à juste titre la proposition de loi.

«Je ne me souviens plus, relativise aujourd’hui Lucien Degauchy. J’en signe vingt par jour, des propositions de loi que mon groupe politique me demande de signer. Quand il n’y a pas de contre-indication, je signe !» En l’espèce, il n’en a pas vu.

Il faut dire que le député a une drôle de conception du travail parlementaire, qui se reflète dans ses interventions en séance publique: huit entre 2007 et 2012, quatre depuis. Et encore, sur son dernier mandat, ne s’agit-il que de participations aux questions au gouvernement télévisées. En commission, où se joue l’essentiel, Lucien Degauchy n’a pas dit un mot depuis 2012.

Sa dernière question remonte au 25 juin 2014 et concernait «les orages de grêle» inhabituels qui se sont abattus sur l’Oise, avec «des hectares de serres et de vérandas pulvérisés», dont celles de son fils. Ce jour-là, Lucien Degauchy s’est attiré les railleries de ses collègues en pointant l’éventuelle responsabilité «d’expériences anti-(orage) menées notamment à l’aéroport de Roissy-Charles-de-Gaulle». Balayant cette «rumeur» sans fondement, le secrétaire d’État aux transports ne s’est pas privé, en réponse, de dévoiler que Lucien Degauchy lui avait «fait parvenir une revue de presse tout à fait éloquente sur les différents villages touchés ainsi que sur l’état des serres massacrées par la tempête», «notamment des serres Degauchy». On n’est jamais mieux servi que par soi-même.

Ces signalements de la HAT interviennent alors que son président, Jean-Louis Nadal, vient d’être chargé par François Hollande de rédiger «un état des lieux de la législation française» en matière d’exemplarité de la vie publique, assorti de «recommandations» sur «les moyens dont dispose la HAT». En clair, le chef de l’État semble partant pour confier plus de pouvoirs à la Haute Autorité.

«Si elle pouvait signaler quelques empêchements ou difficultés pour accéder à l’information (…), alors je prendrai en compte les observations ou les propositions du président de cette Haute Autorité, a déjà indiqué François Hollande, lors de sa conférence de presse de rentrée. Parce que je veux aller jusqu’au bout. Je ne veux pas que l’on puisse penser, au terme de mon quinquennat, qu’il y a un parlementaire, un ministre, un responsable public qui ne soit pas en ordre.»

Comme Mediapart l’a récemment expliqué, la HAT fait aujourd’hui l’objet d’une contre-offensive. Certains de ses détracteurs ont saisi l’occasion de récentes fuites dans la presse sur des parlementaires, en particulier nos révélations sur le probable redressement fiscal du député Gilles Carrez, pour tenter de la déstabiliser, elle qui commence sérieusement à gêner – y compris quelques hauts fonctionnaires de Bercy soucieux de conserver la main sur leurs données fiscales et leur usage, au nom d’une expertise incomparable. La voilà qui prouve définitivement son utilité. (Pour information, article publié sur Mediapart le 14 novembre 2014)

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