Après le ton triomphaliste et quasi unanime de la presse au lendemain de la victoire historique d’Angela Merkel, le contraste désormais est saisissant, à l’image de cette photo, publiée hier à la Une de Die Zeit, où l’on voit la chancelière, le regard inquiet derrière la vitre de sa voiture, embuée et dégoulinante de pluie. Oublié donc le sourire de la chérie de l’Allemagne pourtant encore à la Une du Berliner Post, 24 heures plus tôt seulement.
Car voilà, si la chancelière vient de remporter un incroyable triomphe personnel, il lui faut à présent composer avec l’un de ses adversaires pour former le prochain gouvernement. Son triomphe, précise Le Temps de Genève, l’a en effet privée de son allié traditionnel, le parti libéral FDP. Or la CDU ayant d’ores et déjà exclu toute discussion avec Die Linke [qui a perdu un peu plus de 3%, mais est le troisième parti parlementaire], restent donc les Verts, qui viennent de subir l’un des pires revers de leur histoire et le SPD.
Alors c’est vrai que les conservateurs alliés aux sociaux-démocrates disposeraient d’une confortable majorité de sièges. Et puis cette coalition permettrait également à Angela Merkel de dompter le Bundesrat [Conseil des Etats en Suisse], la seconde chambre du parlement représentant les Länder, contrôlé aujourd’hui par l’opposition.
Sauf que pour Angela Merkel, le prix à payer sera élevé. Le SPD n’a aucun intérêt à se lancer de nouveau dans l’aventure d’une collaboration avec la chancelière, laquelle généralement méprise totalement son partenaire de coalition. Le FDP vient d’ailleurs d’en faire l’amère expérience. Et puis rien ne dit que le SPD accepterait le marché. Au sein des sociaux-démocrates, personne en réalité n’a vraiment envie de s’allier à Merkel, car il ne s’agirait pas d’une alliance entre égaux et cela pourrait se terminer comme en 2009 ou pire, écrit l’hebdomadaire Der Spiegel, allusion aux législatives d’il y a quatre ans, où le SPD avait fait son plus mauvais score de l’après-guerre, après avoir gouverné dans une grande coalition avec Angela Merkel.
Si maintenant Merkel n’a plus qu’à choisir, comme l’écrit la Süddeutsche Zeitung, reste que la perspective d’une coalition place donc le parti de la chancelière devant un profond dilemme, nuance aussitôt son confrère britannique du Financial Times. Pire, c’est un triomphe qui pourrait même se terminer amèrement, avertit de son côté le quotidien de Vienne Die Presse. Le triomphe de Merkel est intervenu sur le dos de son partenaire de coalition au gouvernement, le Parti libéral et si Angela Merkel ne peut gouverner seule, alors son espace de liberté se rétrécira.
Non seulement le SPD réclame l’instauration d’un salaire minimum, d’une taxe sur les transactions financières et des augmentations d’impôts pour les plus forts revenus. Mais en plus Angela Merkel devra sans doute composer avec la CSU bavaroise, forte de la majorité absolue qu’elle avait obtenue une semaine plus tôt aux élections régionales de Bavière. Or dimanche dernier, la présidente du groupe parlementaire CSU rappelait à Angela Merkel l’une des exigences de son parti: l’instauration d’une taxe autoroutière qui s’appliquerait aux seuls étrangers traversant l’Allemagne. Une exigence incompatible avec le droit européen et qui pourrait obliger la CDU à céder, dans le prochain gouvernement, un ou deux postes de ministres supplémentaires à son alliée bavaroise.
Finalement, c’est peut-être le quotidien conservateur Die Welt qui analyse le mieux le dilemme auquel se retrouve confrontée la chancelière en évoquant, certes, le triomphe de Merkel, mais en allant jusqu’à dire qu’elle a gagné sans son parti. Et de préciser, si elle plaît tellement aux Allemands, c’est parce qu’elle fait son travail discrètement, apparemment sans aucun narcissisme et qu’elle n’énerve ni ne dérange les citoyens. Sauf qu’en dépit de sa très large avance, les négociations avec les éventuels partenaires ne s’annoncent pas comme une partie de plaisir.
Finalement, Merkel serait-elle pénalisée par sa domination? C’est en tous les cas l’analyse défendue par un chroniqueur de l’hebdomadaire Der Spiegel pour qui le plébiscite de Merkel aux législatives pourrait lui être fatal. La vérité, dit-il, c’est que Merkel et sa politique impitoyablement centriste ont mis sens dessus dessous le système politique allemand. Le FDP est superflu. Le SPD est un nain. Et les Verts sont affaiblis. Alors certes, tout à droite de l’échiquier politique, une nouvelle force réactionnaire émerge et le temps montrera si elle saura résister à la tendance à disparaître, qui frappe tous les nouveaux partis après leur fondation. Mais pour l’heure la situation est singulière: Merkel, prétendument victorieuse, est en vérité une Angela sans terre, ce que la Süddeutsche Zeitung résume par ces mots: avec sa large victoire, Angela Merkel a changé le visage de la république, devenue noire, couleur de l’union CDU/CSU.
En clair, si lundi dernier, la Frankfurter Allgemeine Zeitung titrait: «Plus incontournable que jamais». Eh bien trois jours après seulement, la victoire d’Angela Merkel semble plus inconfortable que jamais. (25 septembre 2013, chronique sur France Culture à 7h24)
Résultats
• Unions chrétiennes (CDU/CSU) – tête de liste Angela Merkel : 41,55% (sièges: 311 – sur 630, + 72)
• Parti social-démocrate d’Allemagne (SPD) – tête de liste, Peter Steinbrück: 25,74% (sièges: 192 sur 630, + 46)
• Die Linke – tête de liste collectif: 8,59% (sièges: 64 sur 630, – 12)
• Allaince90-Les Verts – tête de liste Katrin Göring-Eckhardt et Jürgen Trittin: 8,44% (63 sur 630, – 5)
• Parti libéral démocrate – tête de liste Philipp Rösler: 4,76% (0 siège, -93)
• Alternative pour l’Allemagne – tête de liste: Bernd Lucke: 4,7% (o siège sur 630, le seuil étant à 5%)
• Parti pirate allemand – tête de liste Bernd Schlômer: 2, 19% (o siège)
La participation a été de 71,55%.
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