Choc, horreur puis rage. Ce sont les sentiments qu’ont traversés des dizaines de milliers de personnes à travers le pays alors qu’elles tentaient de comprendre l’acquittement de George Zimmerman. Comment se pouvait-il que Zimmerman soit libre? C’est lui qui a traqué Trayvon Martin, l’a affronté puis a sorti son pistolet avant d’assassiner un adolescent désarmé.
Avant même que le verdict ne soit connu, les médias dominants firent de leur mieux pour attiser l’hystérie au sujet d’émeutes potentielles dans le cas où un verdict de non-culpabilité serait prononcé tandis qu’ils diffusaient simultanément des appels au «respect» du système quelle que soit l’issue du procès. Ces appels produits par les médias aidèrent à l’application de loi en couvrant le harcèlement et l’intimidation des manifestant·e·s. Une fois de plus, ils déplacèrent la responsabilité de cette violence d’inspiration raciale de leurs auteurs vers les victimes.
Au lieu de cela les médias auraient pu faire œuvre de service public en publiant le nouvel avertissement qui est le résultat de ce procès: la saison de chasse aux jeunes Noirs est ouverte.
Trayvon Martin a été tué en février 2012 parce que George Zimmerman a décidé qu’il se trouvait au mauvais endroit au mauvais moment. Plutôt que George Zimmerman soit tenu responsable pour son acte meurtrier de profilage racial, Martin, sa famille et ses amis furent jugés, tout d’abord par les médias ensuite dans la salle de tribunal. Ils furent finalement reconnus coupables d’être Noirs dans un pays où la vie des Noirs n’a aucune valeur ni respect.
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Les faits entourant cette affaire, de ses débuts jusqu’à sa fin choquante, montrent la profondeur du racisme aux Etats-Unis. Et, oui, aux Etats-Unis présidés par un président afro-américain.
Il fallut plus de six semaines pour que George Zimmerman soit seulement arrêté et accusé d’un crime quelconque cela malgré le fait qu’il ait assassiné un adolescent désarmé qui ne faisait rien d’autre que rentrer avec des skittles et du thé glacé de l’épicerie.
La police accepta immédiatement et instinctivement la version donnée par Zimmerman des événements, selon lequel il aurait agi en autodéfense. Son arrestation ne s’est produite qu’une fois qu’il y eut plusieurs semaines de manifestations qui firent descendirent plusieurs milliers de personnes dans les rues pour exiger que justice soit rendue. Le tollé fut tel que même le président Barack Obama fut contraint de faire une déclaration publique de sympathie [dans laquelle il disait que s’il avait un fils, il ressemblerait à Trayvon Martin].
Le procès Zimmerman était censé démontrer que le système pouvait fonctionner lorsqu’il s’agissait de rendre justice aux Afro-Américains. Ce que l’on vit à la place, ce sont des procureurs paresseux, plus habitués à poursuivre des adolescents comme Trayvon, incapables de faire preuve de la même vigueur lorsqu’il s’agissait de poursuivre quelqu’un comme Zimmerman. Les avocats de Zimmerman, de leur côté, firent méthodiquement appel à tous les stéréotypes racistes au sujet des jeunes Noirs.
A la fin du procès, quiconque n’ayant pas connaissance des faits de cette affaire aurait pu supposer que c’est Martin qui a suivi, pris en chasse et tué Zimmerman et non l’inverse.
Il y a ceux qui insistent sur le fait que l’issue du procès Zimmerman ne concerne pas la race mais plutôt les complexités de la loi, au sujet de ce qui est admissible devant une cour et autre charabia légal. L’affaire Trayvon Martin a toutefois démontré une fois de plus à quel point le racisme fait partie de certains aspects du système judiciaire, y compris le tribunal.
Si quiconque à un doute au sujet de la réponse à la question hypothétique, souvent posée – que se serait-il passé si Martin avait été Blanc et son meurtrier un Afro-Américain –, qu’il considère l’affaire Marissa Alexander.
Alexander est une habitante afro-américaine de Jacksonville, Floride, qui est poursuivie en Floride – par le même procureur général de l’Etat en charge de la poursuite de Zimmerman, en fait – pour voies de fait graves parce qu’elle a tiré un coup d’avertissement dans un mur afin d’effrayer un mari abusif. Alexander a même utilisé la même défense faisant appel à loi de Floride «Stand Your Ground» qui permet à quiconque craignant pour sa vie ou sa sécurité de faire usage d’une arme pour se défendre.
Que s’est-il donc produit? Zimmerman a été acquitté de toute responsabilité dans la mort de Trayvon Martin. Alexander, qui a été accusée de tirer un seul coup d’avertissement qui n’a blessé personne, a été reconnue coupable par un jury qui n’a délibéré que 12 minutes. Elle a été condamnée à 20 ans de prison.
La justice en Floride n’est jamais color-blind.
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La conclusion de l’affaire Zimmerman ne concerne toutefois pas seulement les procureurs, les avocats de la défense et la stratégie de tribunal. Elle regarde la manière dont la diabolisation des Afro-Américains – et en particulier des jeunes hommes afro-américains – est devenue largement acceptée et normalisée qu’un adolescent peut être traqué et assassiné parce qu’il est Noir et sans que cet acte soit puni.
L’insistance sur le fait que la race est seulement une question de la vie sociale et politique des Etats-Unis lorsqu’elle fait l’objet d’une mention n’est pas uniquement la conviction erronée de la juge désinformée de Floride qui présida l’affaire Zimmerman et interdit les discussions au sujet de la race du procès.
Il est aujourd’hui largement accepté aux Etats-Unis que l’absence de langage racial signifie l’absence des races et du racisme. Cette opinion a été récemment confirmée par la Cour suprême des Etats-Unis lorsqu’elle a invalidé des parties significatives du Voting Rights Act [de 1965; à ce sujet voir l’article de Louis Menand sur ce site], soit l’un des acquis centraux du mouvement des droits civiques, parce que, ainsi que le président de la Cour John Roberts l’a indiqué: «Notre pays a changé.» Alors que Roberts admet qu’il y a encore quelques exemples de discrimination raciale, la conviction sur laquelle se fonde la décision de la cour affirme que le pays a dépassé l’époque de la discrimination systématique.
C’était là une affirmation formulée également par les médias professionnels en 2008, lorsqu’ils célébraient l’élection du premier président noir du pays, Barack Obama. Les commentateurs ont suggéré à de multiples reprises que l’élection d’Obama signifiait que les Etats-Unis étaient entrés dans une ère «post-raciale».
Obama et une poignée d’individus ayant rencontré le succès économique et politique sont souvent présentés comme une légitimation de la démocratie américaine. Lors de sa dernière campagne pour la présidence, Obama aurait dit: «Mon histoire est possible uniquement en Amérique – la conviction qu’ici en Amérique, si tu essaies, tu peux y arriver.»
Ce récit sur le Rêve américain et les merveilles de la démocratie des Etats-Unis n’est pas quelque conte rustique portant sur l’auto-émancipation et l’ascension d’un président noir. C’est une légende dont le dessein est de dévier l’attention portée sur l’inégalité structurelle, le racisme, l’impérialisme, le génocide [des Amérindiens] ainsi que de tous les ingrédients de la véritable histoire de l’Amérique. Obama est présenté comme un exemple de choix sur la manière dont il est possible d’avancer dans la démocratie américaine. On dit donc à ceux qui échouent à monter [socialement] et à rencontrer le succès que c’est de leur propre faute.
Le procès de Zimmerman confirme cela dans la mesure où Trayvon Martin a été systématiquement montré comme responsable de sa propre mort. Cette hideuse formation d’un bouc émissaire fait écho à la façon dont les Afro-Américains sont régulièrement blâmés de toutes sortes de choses: leur chômage ou sur les niveaux disproportionnés de pauvreté; sur les taux plus élevés d’emprisonnement; sur le harcèlement dont ils sont l’objet de la part de la police; sur les niveaux plus élevés d’expulsions de maison ou encore sur les fermetures massives d’écoles dans lesquelles ils envoient leurs enfants. C’est toujours de la responsabilité de l’individu, jamais du système qui crée et perpétue l’inégalité.
Les Noirs – en parallèle avec d’autres groupes souffrant une discrimination systématique – sont encouragés à se glisser dans une histoire qui les rend responsables de leur propre oppression.
Mais, de temps en temps, quelque chose se passe qui fait tomber le masque, révélant la face hideuse de la société des Etats-Unis. L’assassinat de Trayvon Martin et maintenant l’acquittement de son meurtrier confirment une fois de plus que le racisme est fermement implanté dans la chaire et la moelle de la démocratie américaine, qui ne peut vivre sans lui.
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L’une des tâches pour ceux et celles qui veulent que des mesures de justice soient prises en faveur de Trayvon Martin et pour toutes les autres victimes de discrimination de cette société est de réintroduire le terme «racisme» au sein du lexique politique de ce pays. C’est la seule façon de donner du sens aux conditions inégales dans lesquelles vivent la plupart des Afro-Américains ainsi que les autres minorités.
La discrimination raciale – ainsi que le fait qu’un plus grand nombre d’Afro-Américains connaissent la pauvreté, le chômage, les écoles qui manquent de fonds, l’insécurité du logement et tout le reste – n’est pas, dans la plupart des cas, un résultat intentionnel, comme ce fut le cas par le passé.
Aujourd’hui l’inégalité est la conséquence de siècles d’oppression raciale et d’exploitation économique. Les Etats-Unis sont un pays fondé sur la mise en esclavage de personnes à peau noir puis, après l’abolition de l’esclavage, sur l’imposition de 100 ans de discrimination légale contre les Afro-Américains. Personne ne peut donc simplement décider, quelque 40 ans après que la dernière loi explicitement raciste fut retirée des registres, que le racisme n’est désormais plus une question dans la vie américaine.
La perpétuation du mythe selon lequel nous vivons dans une ère post-raciale n’est cependant pas une erreur. Il s’agit d’une tentative délibérée d’éloigner la colère des causes systémiques et de faire porter le chapeau aux victimes.
Ainsi, lorsque le président Obama publie une déclaration à la suite de l’acquittement de Zimmerman, il ne fait pas mention du racisme, du profilage racial ou même de l’injustice. A côté des platitudes habituelles telles que «nous sommes une nation dans laquelle règnent les lois» – qui constitue en fait un appel au respect de la décision du jury – Obama cite la «violence par les armes» présente dans nos «quartiers» comme la véritable question, comme si la «violence par les armes» avait quelque chose à voir avec la justice de milicien racialement motivée de Zimmerman.
Une fois de plus Obama – au moins depuis qu’il est devenu un dirigeant politique national – a évité toute occasion de s’élever contre la prégnance du racisme et des inégalités aux Etats-Unis.
Ce travail a, en fait, toujours été la tâche des activistes, des radicaux et des socialistes.
Le mois prochain marquera le 50e anniversaire de la Marche sur Washington pour les emplois et la liberté au cours de laquelle Martin Luther King prononça son fameux discours I Have a Dream.
L’assassinat de Trayvon Martin indique qu’alors que beaucoup de choses ont changé depuis cette marche historique, beaucoup d’autres n’ont pas changé. Les vies des hommes, des femmes et des enfants noirs avaient peu de valeur dans le Sud de Jim Crow et les activistes pour les droits civiques lorgnaient souvent vers les fonctionnaires de Washington, D.C., pour intervenir et poursuivre les affaires que de ploucs fonctionnaires locaux ne voulaient pas suivre. Nous faisons aujourd’hui le même appel au gouvernement fédéral pour qu’il fasse ce que les fonctionnaires locaux et de l’Etat de Floride ne voulaient et ne pouvaient faire dans le comté Seminole.
Le combat pour rendre justice à Trayvon Martin ne repose pas uniquement sur l’obtention d’un verdict «de culpabilité» attendu contre George Zimmerman. Il doit aussi faire droit à son humanité et à sa dignité, sur le fait qu’il ne soit pas mort pour rien. Nous devons soutenir les appels d’une poursuite de Zimmerman au niveau fédéral en vertu du fait qu’il a violé les droits civiques de Martin [Luther King]. Nous devons cependant aussi tenir compte des mots de Martin Luther King lorsqu’en 1963 il faisait appel à la nation pour qu’elle agisse en faveur d’une compréhension plus large de la justice:
«Nous sommes également venus en ce lieu sanctifié pour rappeler à l’Amérique les exigeantes urgences de l’heure présente. Il n’est plus temps de se laisser aller au luxe d’attendre ni de prendre les tranquillisants des demi-mesures. Le moment est maintenant venu de réaliser les promesses de la démocratie; le moment est venu d’émerger des vallées obscures et désolées de la ségrégation pour fouler le sentier ensoleillé de la justice raciale; le moment est venu de tirer notre nation des sables mouvants de l’injustice raciale pour la hisser sur le roc solide de la fraternité.»
(Traduction A l’encontre; l’extrait du discours de Martin Luther King, prononcé le 28 août 1963, est tiré de la traduction réalisée par Marc Saporta dans l’ouvrage intitulé Je fais un rêve, les grands textes du pasteur noir, paru aux Editions Bayard en 1986, republié en 2008)
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Article publié le 15 juillet sur le site SocialistWorker.org
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