Selon le baromètre 115 – plateforme téléphonique de la structure d’hébergement d’urgence – le 115 refuse majoritairement des sans-papiers, des étrangers. Cela ressort de l’étude faite dans 37 départements hors Paris. Durant l’hiver 2013, 58% des appels-demandes n’ont pas donné lieu à un hébergement. Les refus ont majoritairement concerné les étrangers. Plus exactement: 75% des demandes de personnes originaires de pays hors Union européenne et 62% de celles venant de pays de l’UE qui n’avaient pas résolu la question du «logement». Les non-attributions d’hébergement ont enregistré une forte augmentation par rapport à l’hiver 2012: plus 89% pour les personnes hors UE et 29% pour les ressortissants de l’UE. Paupérisation et chômage font leur «travail». La «concertation nationale» ayant trait à la «loi sur l’immigration» qui s’est ouverte, en France, avec le «socialiste» Manuel Valls, ministre de l’Intérieur, le lundi 15 juillet 2013 ne va aboutir à la présentation d’un nouveau projet de loi devant le Parlement avant 2014. En effet, M. Valls veut intégrer, dans la même loi, un «volet sur l’asile», alors qu’initialement il était prévu deux lois séparées. Cela permettra de «noyer le poisson». Et surtout, Hollande, Ayrault et Valls devront se décider si le texte de loi sera mis à l’ordre du jour du Parlement… avant ou après les municipales. Considérations électorales, politique de contre-réformes sur tous les plans et effet en cascade de cette orientation ressortent bien sur une question aussi élémentaire que l’hébergement d’urgence pour un gouvernement dont le slogan était: «Le changement maintenant»! Maintenant c’est certain! Le changement c’est en fait une continuité camouflée au plan verbal. (Rédaction A l’Encontre)
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Alors que s’ouvrait le 15 juillet 2013 une concertation nationale sur l’avenir du droit d’asile, les associations de lutte contre l’exclusion haussent le ton. Accueillir sans distinction chaque SDF en demande d’un refuge, quel que soit son statut administratif, l’endroit d’où il vient, qui il est. Ce grand principe oblige les services de l’Etat de la République française. Selon le Code de l’action sociale et familiale: «toute personne sans abri en situation de détresse médicale, psychique et sociale a accès, à tout moment, à un dispositif d’hébergement d’urgence». Le droit prévoit en outre une continuité de la prise en charge.
Le Conseil d’Etat, dans une ordonnance du 10 février 2012, a même hissé cet accueil inconditionnel au rang de liberté fondamentale. Le gouvernement de Jean-Marc Ayrault-François Hollande, quant à lui, a affirmé sa volonté, à plusieurs reprises, de rester sur cette ligne, notamment lors du comité interministériel de lutte contre les exclusions, le 21 janvier dernier. Certaines administrations, pourtant, demandent aux associations gestionnaires de structures de procéder à une sélection.
50’676 nuitées en hébergement d’urgence dans la Gironde
En Gironde, la situation de l’hébergement est très tendue. Dans ce département, le 115 [plateforme téléphonique du Samu social destiné à répondre aux demandes d’hébergement d’urgence] a géré 50’676 nuitées en hébergement d’urgence durant le seul premier semestre 2013, soit deux fois plus que sur l’ensemble de l’année 2012. Pour réduire la demande, la préfecture entend également faire un tri, ce qui ne manque pas de détériorer les relations entre ses services et les associations.
Voici les instructions, livrées dans un courriel envoyé le 13 janvier 2013 par l’administration aux organisations de solidarité: «Sont exclues d’une orientation vers l’insertion, les personnes (…) sans titre, titulaires d’un titre inférieur à un an ou d’un simple récépissé de demande de titre et les travailleurs migrants saisonniers sans emploi et sans ressources pouvant prétendre à des aides dans un autre État de l’UE.» Concrètement, une famille rom de Roumanie, précaire, vivant dans un campement, un migrant en règle mais présent depuis peu, ou un autre en phase de renouvellement de son autorisation au séjour ne seraient pas pris en charge dans une structure d’hébergement d’urgence. Sollicitée, la préfecture n’a pas souhaité réagir.
L’Etat menace de supprimer les subventions
Le principe d’accueil inconditionnel et de continuité de prise en charge est également mis à mal à la sortie des centres d’accueil pour demandeurs d’asile (Cada). La réglementation européenne exige en effet que les personnes qui n’ont pas obtenu la «protection de la France» quittent les structures spécialisées pour laisser place à d’autres demandeurs. Mais beaucoup d’associations ne veulent pas se plier à cette règle. De leur point de vue, si elles ne trouveront pas de place dans l’hébergement classique en composant le 115, et la continuité de l’accueil sera rompue.
Dans le Maine-et-Loire, un rapport de force s’est engagé entre les services de l’État et les organisations gestionnaires. Le préfet, François Burdeyron, l’écrit noir sur blanc dans un document officiel daté du 22 avril 2013 et adressé aux gestionnaires de Cada: «Je vous demande de me saisir (…) lorsque vous êtes embarrassés par des situations précises de personnes déboutées dont l’OQTF [ soit: «obligation de quitter le territoire de la France») a été notifiée et qui se maintiennent dans les dispositifs d’hébergement que vous gérez avec les dotations versées par l’Etat.» Avant de mettre en garde: «Dans le cas contraire, je me verrai contraint de diminuer les subventions des opérateurs.»
Des associations qui contestent moralement ces méthodes
Contacté par le journaliste de La Croix, le préfet François Burdeyron confirme sa position en expliquant que les sans papiers n’ont pas davantage vocation à être accueillis dans les centres d’hébergement généralistes. Le représentant de l’État craint en effet «un phénomène d’appel d’air»: «Le code de l’action sociale ne s’applique pas s’il rend inopérant la gestion de la présence des étrangers en France. Par ailleurs, il n’y a pas lieu de proposer une place dans une structure de réinsertion sociale à des personnes qui ont vocation à quitter le territoire. Tout juste peuvent-elles demander une mise à l’abri, à condition qu’il reste des places », considère-t-il.
Outre les directives écrites, les préfectures peuvent actionner d’autres leviers pour écarter les sans-papiers des centres d’hébergement. Dans l’Isère, les gestionnaires de structures d’hébergement dénoncent des méthodes dont la légalité n’est pas contestable, mais qu’elles réprouvent moralement. «La préfecture demande depuis peu à la police d’exécuter des obligations de quitter le territoire français directement dans les centres d’hébergement, dans l’espoir de faire dégonfler les demandes de mise à l’abri. Cela ne sert à rien, sauf à déplacer ces populations vers d’autres sites », estime Francis Silvente, président de la Fnars [Fédération d’associations de solidarité. Exclusion, insertion, solidarité] de Rhône-Alpes.
Certaines structures préfèrent perdre des financements publics plutôt que de renoncer à leurs valeurs. Dans le Loiret, «Toits du monde», petite association gestionnaire d’un Cada, a ainsi refusé de remettre à la rue cinq familles de déboutés du droit d’asile. L’organisation, au budget de 800’000 € annuels pour 90 places disponibles, s’est en conséquence vue privée par l’État de 120’000 € en 2012 et 180’000 € en 2013, à hauteur du coût de l’accueil des personnes sans titre de séjour. «Toits du monde», en faillite, a dû mettre les clés sous la porte e 30 juin 2013. (16 juillet 2013)
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Florent Gueguen, directeur général de la Fnars: «Nous ne voulons pas être l’antichambre des centres de rétention»
Entretien conduit par Jean-Baptiste François
Comment analysez-vous les instructions données par les préfectures aux gestionnaires de centres d’hébergement?
Florent Gueguen: Je ne crois pas que l’État ait une volonté particulière de discriminer tel ou tel type de population, mais force est de constater que la gestion de la pénurie de places se fait toujours au détriment des étrangers. Il y a aujourd’hui 21’000 places en centre d’accueil pour les demandeurs d’asile (Cada), pour 60’000 demandes de protection par an. Les consignes écrites ou orales que reçoivent les organismes de solidarité illustrent bien ce mécanisme de rejet lorsque le système est embolisé. C’est vrai qu’un demandeur d’asile ne doit pas rester en Cada lorsqu’il a épuisé ses recours pour obtenir la protection de la France, mais l’État doit prévoir des solutions pour gérer cette sortie du dispositif vers l’hébergement généraliste, avec un accompagnement.
Comment les associations vivent-elles cette situation?
F.G.: Leur budget, en matière d’hébergement, dépend en totalité de l’État. Elles sont tiraillées entre le devoir de répondre à la commande publique en remettant des personnes à la rue et les valeurs qui les animent, fidèles au principe d’inconditionnalité et de continuité de l’accueil. Certaines préfectures leur demandent de donner le nom et le statut administratif des personnes accueillies. Les associations n’acceptent pas de gérer des places, si, in fine, l’objectif est de servir la politique d’éloignement. Ce n’est pas leur rôle. Nous prêtons assistance aux personnes les plus vulnérables, nous ne voulons pas devenir l’antichambre des centres de rétention.
Quel sera votre rôle dans la concertation qui commence sur le droit d’asile?
F.G.: Nous nous réjouissons que ce rendez-vous ait lieu, alors que la question des étrangers avait été écartée de la grande conférence contre la pauvreté de décembre dernier. Nous allons insister sur la nécessité d’augmenter le nombre de places en Cada. Le gouvernement a promis 4000 places supplémentaires en 2013. Nous souhaitons également qu’il s’engage pour 2014, avec un niveau d’accompagnement suffisant des publics. Par ailleurs, la concertation sera l’occasion d’aborder la question de la régularisation d’un certain nombre de déboutés du droit d’asile. Le ministre de l’intérieur, Manuel Valls, a déjà affirmé que ces derniers avaient vocation à être éloignés du territoire français.
Mais il sait très bien qu’un grand nombre de personnes ne pourront pas l’être, du simple fait qu’elles sont venues avec leurs enfants, qui sont, eux, non expulsables. Rien ne sert de les maintenir dans le système de l’hébergement en les ballottant d’hôtel en hôtel. Non seulement, cela coûte cher, mais, en plus, cela s’apparente à de la maltraitance institutionnelle. Nous proposons d’ouvrir le secteur du logement accompagné aux ménages fragiles sans titre de séjour. Enfin, l’État doit faire un effort de régularisation pour des familles hébergées depuis un certain temps, afin de leur donner un accès au logement et à l’insertion. (16 juillet, article et entretien publiés dans le quotidien La Croix)
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