Par Stephanie Coontz
Il est toujours séduisant de savoir où l’on se situe par rapport à la moyenne. La première fois que j’ai reçu un résultat en dessous de la moyenne à un examen, alors que j’étais une étudiante de première année très sûre d’elle-même, fut un avertissement nécessaire. Je trouve actuellement encourageant d’apprendre que je fais de l’exercice plus que les autres femmes de mon âge.
Les moyennes sont utiles parce que de nombreuses tendances, de nombreux comportements et résultats se distribuent le long d’une courbe en forme de cloche où la plupart des données se rassemblent autour du milieu alors qu’un ensemble bien plus petit se place aux deux extrémités. Connaître le nombre moyen de naissances dans une zone peut aider les constructeurs à décider quel est le nombre de chambres à coucher dont on aura le plus besoin dans de nouvelles maisons. Cela peut également avertir les législateurs d’une crise prochaine de fertilité.
Les moyennes peuvent toutefois être trompeuses lorsque la distribution est fortement faussée d’un côté, avec un petit nombre non représentatif à la marge poussant la moyenne dans leur direction. Prenons un exemple. Le revenu moyen, en 2011, des 7’878 ménages de la localité de Steubenville dans l’Etat de l’Ohio était de 46’341 dollars. Mais si deux personnes devaient s’y établir, mettons Warren Buffett [«l’oracle d’Omaha», lieu de naissance et de résidence, à la tête du fonds d’investissement Berkshire Hathaway, un des hommes les plus riches au monde et qui joue la carte de la philanthropie en se joigant à Bill Gates de Microsoft] et Oprah Winfrey [son talk-show est devenu l’émission la plus vue jusqu’à son extinction en 2011, actrice, elle est considérée comme la femme noire la plus riche au monde] le revenu moyen de Steubenville augmenterait de 62% en une seule nuit pour s’établir à 75’263 dollars par ménage.
Des exceptions peuvent également faire baisser les moyennes, conduisant des sociologues à surestimer les risques d’événements particuliers.
La plupart d’enfants de parents divorcés se révèlent aussi bien «adaptés» que les enfants de parents mariés, mais le nombre bien plus réduit de ceux qui connaissent une existence très troublée peut diminuer la moyenne de l’ensemble du groupe, produisant des estimations exagérées à propos de l’impact du divorce.
Les choses sont mêmes bien plus compliquées dans les situations où les gens donnent des réponses très différentes à des «événements de la vie». Dans ces cas, la réponse «moyenne» ne correspond souvent absolument pas aux expériences «typiques». Ce problème est plus commun que de nombreux chercheurs l’ont antérieurement envisagé, selon un document qui sera publié cette semaine par le Council on Contemporary Families, duquel je suis la directrice de recherches et d’éducation publique.
En moyenne, les réactions des gens à des épisodes angoissants de la vie tels que le divorce ou le deuil indiquent un déclin aigu et durable dans le bien-être individuel suivi par un rétablissement lent et graduel. En moyenne également, les individus mariés prétendent être plus heureux que les personnes divorcées ou célibataires. Mais dans ce nouveau document, The Trouble With Averages, le psychologue Anthony Macini montre que traiter la «réponse moyenne» comme si elle était l’issue normale ou typique peut conduire à des politiques sociales inadéquates ainsi qu’à des traitements thérapeutiques erronés.
Dans le cas du deuil, la moyenne est faussée par un relativement petit pourcentage de personnes qui témoignent d’une détresse substantielle et persistante. La plupart des personnes font en fait l’expérience d’une «augmentation modeste et rapide de détresse qui subsiste au cours de quelques mois.» Lorsque Mancini et ses collègues étudièrent la réaction de personnes face à la perte de l’un des époux, ils découvrirent que seulement 20% des personnes en deuil passaient par le schéma «conventionnel» du chagrin: une baisse rapide du bien-être suivie d’un rétablissement graduel à des niveaux antérieurs de satisfaction. Près de 60% ne font pas l’expérience d’une tristesse durable.
Lorsque nous considérons que les gens «normaux» ont besoin de «temps pour cicatriser leurs blessures» ou que nous décourageons, ainsi que certains «conseillers en deuil» le font, des individus à prendre une quelconque décision jusqu’à une année voire plus après le décès de son époux ou épouse, il est possible que nous donnions un conseil inapproprié. De tels conseils peuvent amener des personnes qui sont prêtes à aller de l’avant à se demander si elles n’éprouvent aucun sentiment.
Près de 5% de l’échantillon fait état, de manière surprenante, d’une meilleure satisfaction vis-à-vis de la vie qu’avant le décès de l’époux ou de l’épouse. Ces personnes ont pu se trouver dans une situation stressante de soutien et de soins ou être «enfermées» dans un mariage malheureux. Les traiter comme si elles devaient être déprimées ne peut que les amener à se sentir coupables.
Le fait selon lequel, en moyenne, les personnes mariées sont plus heureuses signifie-t-il que nous devrions promouvoir le mariage?
La grande majorité des personnes interrogées par Mancini et ses collègues – près de 80% – signalent déjà des niveaux élevés de qualité de vie avant de se marier, sans augmentation significative après le mariage. Il apparaît que, le plus souvent, le mariage soit une «récompense» de son degré élevé de qualité de vie qu’une voie pour atteindre ce seuil.
Un petit groupe, 5%, fait l’expérience d’une croissance de leur qualité de vie au cours des années qui précèdent le mariage et le maintiennent par la suite. Mais 6% font état d’une baisse rapide du bien-être dans les années qui suivent leur mariage.
Seuls 10% affirment que le fait de s’être marié les a guéris de leur tristesse. Ces personnes ont fait l’expérience d’une diminution de leur qualité de vie dans les années qui précèdent leur mariage avant d’être devenu plus heureux par la suite.
Les effets bénéfiques du mariage pour ce petit groupe confirment une étude antérieure réalisée par les sociologues Adrianne Frech et Kristi Williams montrant que l’association moyenne entre mariage et une meilleure santé mentale découle largement du nombre relativement petit d’individus qui sont sérieusement déprimés avant de se marier.
Lorsque les sociologues Sheela Kenney et Frank Furstenberg étudièrent le mariage et le divorce, ils découvrirent que pour les gens qui avaient fait les mariages de «meilleur qualité», le divorce conduit à de très importantes et durables diminutions du «bonheur d’ensemble». Mais pour les personnes qui ont fait les mariages de la «moins bonne qualité», le divorce était associé avec une augmentation du bonheur. La majorité des personnes divorcées, en outre, étaient résistantes. Elles ne faisaient pas l’expérience d’importantes diminutions de leur bonheur et les niveaux de dépression n’étaient pas significativement différents de ceux et celles qui restaient mariées dans une catégorie de qualité de vie analogue.
La plupart des gens s’accorderont sur le fait qu’une maternité célibataire est une situation stressante. Pourtant, selon les conclusions saisissantes d’une étude menée par Kristi Williams, Sharon Sassler et leur équipe, les mères célibataires jeunes latinos ou noires qui se sont mariées après la naissance de leurs enfants ont une santé au moment du «milieu» de leur vie moins bonne que celles qui ne se sont pas mariées avant 40 ans.
Je ne milite pas pour l’abandon des moyennes. Utilisées avec précaution, elles peuvent aider à analyser des modèles et à formuler des politiques. Mais au regard de la variété des situations existant dans la confusion du monde réel, nous devrions penser deux fois avant de distribuer des conseils qui s’appliquent à tous reposant sur la base de moyennes. (Traduction A l’Encontre)
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Stephanie Coontz a milité dans le mouvement contre la guerre au Vietnam. Elle a pris la parole à Zurich, en 1970, lors du plus grand meeting organisé en Suisse contre la guerre conduite par l’administration américaine au Vietnam. Parmi les orateurs suisses se trouvait un des futurs animateurs d’Avenir Suisse: Thomas Held.
Stephanie Coontz s’est spécialisée dans l’histoire de la famille et les études familiales. Elle enseigne auprès du The Evergreen State College. Elle est l’auteure de nombreux ouvrages ayant eu un succès important aux Etats-Unis et dans le monde anglo-saxon. On peut citer: Marriage, a History: How Love Conquered Marriage, Penguin Books, 2006; A Strange Stirring: The Feminine Mystique and American Women at the Dawn of the 1960s, Basic Books, 2011; The Way We Really Are: Coming To Terms With America’s Changing Families, Basic Books, 1998; The Way We Never Were: American Families And The Nostalgia Trap, Basic Books, 1993.
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Ce texte est paru sous la rubrique «Opinion» dans l’édition du 26 mai 2013 du New York Times.
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On peut trouver ci-dessous un entretien, en anglais, effectué à l’occasion du 50e anniversaire de la publication du livre de Betty Friedan, The Feminine Mystique, publié en français sous le titre La femme mystifiée [sic!], Ed. Gonthier 1964.
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