Par Apex
Non réélue à la tête du Medef [Mouvement des entreprises de France], Madame Laurence Parisot va donc quitter les écrans des télévisions françaises et les tables de négociation sociale. Elle nous laisse un florilège de petites phrases mi-bourdes et mi-provocations. Mais on doit également retenir qu’entre 2007 (avant le déclenchement de la crise en France) et aujourd’hui, Madame Parisot et le patronat ont largement obtenu ce qu’ils réclamaient.
Voici ce qu’elle proposait, il y a six ans: «Toute réforme du contrat de travail doit se donner pour objectif premier de favoriser et donc de faciliter l’embauche. Pour encourager cette dernière, il suffirait de dédramatiser les modalités de licenciement. C’est pourquoi nous proposons une approche très nouvelle : la séparabilité (…) Ce nouvel état d’esprit permettrait de simplifier et de pacifier dans bien des cas la rupture du contrat de travail, le but étant de parvenir à une rupture par consentement mutuel qui ménagerait l’intérêt moral et financier des deux parties.» (Besoin d’air, Ed. du Seuil, mars 2007).
Nous y sommes, ou presque. L’idée que de meilleures conditions de licenciement facilitent les embauches des entreprises a fait son chemin et vient de remporter un joli succès à l’assemblée nationale sur la «sécurité de l’emploi».
Mais cette idée est d’une totale incongruité :
• En mai 1986, la suppression de l’autorisation administrative pour les licenciements est votée pour «encourager l’embauche». Le gouvernement de l’époque annonce plusieurs centaines de milliers d’emplois. Quelques années plus tard Etienne Pinte le propre rapporteur de cette loi confessera qu’elle n’a créé aucun emploi.
• En 1992, ce sont les allégements de charges sociales pour favoriser le temps partiel féminin.
• Dans les années 2000, ce sera de contrat de mission, donc temporaire afin de contourner le CDI (Contra à durée indéterminée). Puis la mise en place de la rupture conventionnelle pour contourner les procédures de licenciement collectif (PSE – Plan de sauvegarde de l’emploi).
• Il y eu aussi la tentative de CPE (Contrat première embauche). Bloqué puis finalement annulé pour cause de mobilisation sociale (2006), ce contrat devait être assorti d’une «période de consolidation» de deux ans durant laquelle l’employeur pouvait rompre le contrat de travail sans en donner le motif.
• L’ANI (Accord national interprofessionnel) de 2008 comportait déjà un large éventail d’allégement des procédures de licenciement: plafonnement de l’indemnisation d’un licenciement «sans cause réelle et sérieuse», ambiguïté sur l’obligation de motiver la lettre de licenciement, allongement des périodes d’essai, la rupture conventionnelle et enfin la possibilité d’un CDD (Contrat à durée déterminée) de 3 ans pour «mission». A propos de ce dernier, le fait de travailler sur un projet sur une mission donnée, est tout à fait banal pour un ingénieur. C’est l’inverse qui semble plutôt rare: un ingénieur qui ne travaillerait pas sur un projet! Sa durée peut être, au maximum, de trois ans. Cela signifiera souvent trois années sans accès au crédit, ni accès au logement, trois années marquées du sceau de la précarité (Emmanuel Dockès, Droit du travail, Ed. Dalloz, 2012 ).
Aujourd’hui, en France, 9 emplois sur 10 créés sont en CDD ou en intérim ou des stages. Par contre le taux de chômage poursuit sa course. Bilan: la flexibilité favorise la précarité mais pas du tout les embauches. Et cela pour des raisons pourtant évidentes: les entreprises recrutent en fonction de la demande de leurs marchés! En cas de reprise, elles n’hésiteront jamais à recruter si c’est pour répondre à un gonflement de leur chiffre d’affaires. Passer à côté d’une prise de commande significative sous prétexte qu’on devra (peut-être) un jour engager une procédure de licenciement n’est franchement pas commun! Sauf à la rigueur chez des artisans.
Par contre en cas de stagnation économique, la flexibilité favorise incontestablement les suppressions de postes. Or, nous sommes dans une longue phase de crise et de restructuration. Il n’y a donc pas besoin de déployer un raisonnement complexe pour comprendre que toutes les lois sur la flexibilité passées ces dernières années, dont celle découlant de l’Accord national interprofessionnel (ANI), ne sont là que pour faciliter les licenciements. Leur effet de levier sur les embauches n’est pas démontré après 30 ans de mesures de plus en plus «libératrices». Elles s’adaptent au contraire à la crise et accentuent celle-ci en accroissant la précarité.
Flexi-sécurité, un bon «bilan» pour le Medef
Mais au bout du compte Madame Parisot a obtenu satisfaction! Car, ce qui l’intéressait c’était l’anticipation. Utiliser la crise pour une évolution sociale irréversible, selon son calcul. Une fois le démontage des mesures protectrices des salarié·e·s bien avancé, le retournement de conjoncture bénéficierait d’autant plus aux profits qu’il n’y aurait pas de retour en arrière sur la flexibilité des contrats de travail. Les gains de productivité iront alors moins à l’emploi et aux salaires et plus au profit, au nom de la compétitivité.?Faut-il alors se prémunir du pire en encaissant le «moindre mal» et même en le défendant?
Quand c’est le patronat qui garde la main sur plusieurs décennies, la question est mal posée. Le pire, s’il n’est pas pour aujourd’hui, sera pour demain car toutes les conditions auront été réunies pour détériorer encore un peu plus le rapport de forces.
La capacité de dire non est le seul moyen de ne pas avoir à dire oui et tant pis en permanence et à chaque fois. (Publié le 14 mai 2013)
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