Par A l’Encontre, APEX,
Union syndicale Solidaires
Le 9 avril 2013, l’Assemblée nationale française adoptait, à 16h50, à 250 voix pour et 26 contre, en première lecture, le texte connu sous le nom d’«ANI» – Accord national interprofessionnel – signé le 11 janvier par les organisations patronales (Medef, Confédération générale des petites et moyennes entreprises-CGPME et Union professionnelle artisanale-UPA) et trois syndicats (CFDT, Confédération générale des cadres-CGC et Confédération française des travailleurs chrétiens-CFTC). Les organisations syndicales non signataires de l’ANI – CGT, Force ouvrière-FO, Fédération syndicale unitaire-FSU et Union syndicale Solidaires – ont appelé à une mobilisation devant l’Assemblée nationale durant l’après-midi du 9 avril. Cette manifestation – qui se situait dans la foulée de celle du 5 mars 2013 – devait traduire l’opposition d’une majorité du mouvement syndical et des salarié·e·s à l’acceptation de ce texte, qui a été pour l’essentiel dicté par le Medef.
Cette contre-réforme attaque une part importante du Code du travail, un code que la patrone du Medef, Laurence Parisot, définissait ainsi: «Là où il commence s’arrête la liberté de penser.» Un des «libertés» conquises par le Medef et ses complices de la majorité gouvernementale de Ayrault-Hollande conduira à ce qu’un membre du Bureau national du Parti socialiste et ancien inspecteur du travail, fort connu, Gérard Filoche, définit de la sorte: «Ce texte va aggraver [entre autres] le sort des femmes à temps partiel, en lissant leur salaire, avec des paquets d’heures complémentaires et plusieurs coupures dans la journée.» (Libération, 10 avril 2013) Va se joindre à la manifestation, à Paris, une délégation des travailleurs de PSA-Aulnay, qui entament leur 13e semaine de grève. Leur mot d’ordre: «Interdiction des licenciements, aucune usine ne doit fermer». Un mot d’ordre qui dépasse de loin le cas de PSA-Aulnay, tant les dits plans sociaux ne cessent de tomber tous les jours. Un des porte-parole des grévistes de PSA, Jean-Pierre Mercier, membre de Lutte ouvrière et leader CGT, déclare: «Le pire que je vois dans l’ANI, c’est d’autoriser les patrons à baisser les salaires.»
Selon les syndicats, quelque 120’000 salarié·e·s ont défilé dans les rues de diverses villes françaises, malgré un temps fort maussade. Il ne fait pas de doute que le «désaveu populaire», pour reprendre la formule d’un dirigeant de la CGT, est bien plus large et qu’il traduit un mécontentement de très larges secteurs de salarié·e·s qui pourrait entrer en résonance avec a crise de régime que «l’affaire Cahuzac» et ses suites ont mis au jour.
Le Nouveau Parti anticapitaliste (NPA), en date du 11 avril, écrivait: «L’objectif [du Medef] est l’application dès le mois de juin de cette loi partout où les patrons voudront l’utiliser contre leurs salarié·e·s. Le 6 mars déjà, Renault annonçait la signature pour tout le groupe d’un accord de compétitivité après plusieurs mois de mobilisation des salariés contre ce projet. La direction de PSA a annoncé fin mars que dès que les syndicats auraient signé le PSE [Plan de sauvegarde de l’emploi qui avait anciennement pour nom Plan social!] supprimant 11’200 emplois, elle envisageait (si possible dès le mois de mai) de proposer de supprimer à Poissy l’équipe de nuit et d’augmenter d’une heure à une heure et demie par jour le temps de travail, avec l’objectif de réduire de 600 euros le coût de production d’une voiture. Et dans nombre d’entreprises moins médiatisées, les patrons mettent en place le même type d’accords. Le projet gouvernemental vise à alléger encore davantage les obligations des employeurs et à réduire les droits des salarié·e·s et des syndicats qui voudraient s’opposer aux attaques patronales. Le gouvernement et le PS ne s’embarrassent pas de scrupules pour justifier leur politique. Cette loi permettra «d’éviter les licenciements», a déclaré Sapin, ministre du Travail, en ouverture du débat le 2 avril. Les salarié·e·s de Continental Clairoix qui avaient subi une expérimentation de ce genre, deux ans avant la fermeture pure et simple, apprécieront. Quant aux différences avec les propositions d’accords de compétitivité et de flexisécurité proposés par Sarkozy, le gouvernement se réfugie derrière les amendements de l’UMP pour faire mine d’y voir des désaccords.»
Nous avons déjà publié, sur le site A l’Encontre, deux articles à propos de l’ANI, en date du 19 mars Un affrontement plus qu’important sur l’Accord national interprofessionnel sur la «sécurisation de l’emploi» et du 4 avril Le licenciement facilité au nom de «sécurisation de l’emploi». Nous y ajoutons une analyse de l’accord effectuée par APEX (institution de conseil aux Comités d’entreprise) qui présente divers articles de cet accord portant sur «les nouveaux droits des salariés» et qui conclut: «Le but du patronat est de resserrer les procédures et les négociations sur un rapport de force local (l’entreprise, voire l’individu) au détriment d’un droit social plus universel», ce qui est la règle en Suisse. (Rédaction A l’Encontre)
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Gagnant-gagnant?
L’entrée en vigueur de l’accord ne pourra intervenir qu’après l’adoption des mesures législatives et réglementaires nécessaires à son application. A cet effet, le gouvernement doit élaborer un projet de loi qui serait soumis au parlement a priori dès le mois de mars. Le document, dont nous vous présentons ci-après les principales mesures, est articulé en trois parties relatives respectivement aux nouveaux droits des salariés, aux informations des salariés via les IRP [Instances représentatives du personnel qui désignent l’ensemble des fonctions de représentation du personnel en France, depuis le Comité d’entreprise jusqu’au comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail-CHSCT] et aux moyens d’adaptation donnés aux entreprises.
Les moyens d’adaptation donnés aux entreprises
L’accord précise qu’en cas de «graves difficultés conjoncturelles», les entreprises pourront conclure des «accords de maintien dans l’emploi». Ces accords, d’une durée maximale de deux années, ouvrent la possibilité d’une baisse des salaires et/ou du temps de temps de travail, négociée par accord, en demandant l’application de mesures similaires pour la rémunération des mandataires sociaux et des actionnaires. En contrepartie, l’employeur devra s’engager à ne pas licencier pendant cette période. L’accord devra comporter des garanties telles que le partage du bénéfice économique de ces mesures et des sanctions en cas de non-respect.
En cas de refus du salarié, la rupture du contrat de travail s’analysera comme un licenciement économique individuel, l’entreprise étant exonérée des obligations liées aux licenciements économiques collectifs. Nous notons que la plupart des accords de ce type signés ces dernières années ont été catastrophiques dans la mesure où les sacrifices consentis par les salariés n’ont pas permis in fine d’éviter les suppressions de postes.
Dans les entreprises d’au moins 50 salariés qui doivent, pour des motifs économiques, licencier 10 salariés ou plus sur une même période de 30 jours il y aura désormais deux voies pour mettre en place un PSE:
1. Par accord collectif majoritaire signé par un ou plusieurs syndicats ayant recueilli 50% des voix lors des dernières élections professionnelles. Le texte prévoit que les délais fixés par l’accord ne seront pas susceptibles de suspension ou de dépassement. Cette disposition permettra de contourner les dispositions du Code du travail relatives à ces procédures. On se rappellera ici que des «accords de méthode» permettaient déjà aux organisations syndicales de définir outre le calendrier de procédure parfois le contenu même du PSE. Mais ces accords de méthode ne s’imposaient pas juridiquement aux Comités d’entreprise (CE) qui pouvaient encore tenter d’améliorer les mesures convenues dans l’accord de méthode. Enfin et surtout le CE pouvait décider de demander aux juges une modification du calendrier s’il estimait que le défaut d’information par exemple ou l’information incomplète ne lui permettait pas de rendre un avis. Cette fois-ci le contournement du CE risque d’être total.
2. A défaut d’accord majoritaire, le PSE pourra également être mis en place après homologation de l’administration du travail qui disposera d’un délai de 21 jours pour valider le respect de la procédure et le contenu du PSE. La procédure devra se dérouler dans un délai maximum préfix [1] (de 2 à 4 mois en fonction de l’ampleur des licenciements), non susceptible de suspension ou de dépassement. En ce qui concerne l’ordre des licenciements, l’employeur pourra privilégier la «compétence professionnelle», sous réserve de prendre en compte également les autres critères fixés par la loi.
Enfin, les délais de prescription en matière prudhommale passeront de 5 ans à 24 mois. Les demandes en matière salariale seront limitées à 36 mois.
Les nouveaux droits des salariés
L’accord prévoit la «généralisation» de la couverture complémentaire des frais de santé, mais il renvoie la mise en œuvre à des négociations de branches puis d’entreprises. Ce n’est que le 1er janvier 2016 que tous les salariés pourront bénéficier d’une couverture minimum en contrepartie d’une cotisation répartie à 50/50 entre l’employeur et les salariés. Pour les demandeurs d’emploi, la durée maximale de conservation des droits à la couverture complémentaire serait portée de 9 à 12 mois.
L’article 3 instaure des droits rechargeables à l’assurance chômage, en prévoyant que le solde des droits antérieurs non consommés viendrait s’ajouter aux nouveaux droits acquis. Cette mesure est toutefois conditionnée au fait qu’elle ne doit pas aggraver le déséquilibre financier du régime d’assurance chômage. La majoration de la cotisation d’assurance chômage des contrats à durée déterminée n’apportera pas le complément de ressources attendues pour y parvenir. En effet, les exonérations sont nombreuses (remplacement d’un salarié absent, emplois saisonniers…) et la mesure est compensée par l’exonération temporaire des cotisations pour l’embauche en CDI d’un salarié de moins de 26 ans. En outre, l’intérim n’est pas non plus visé par la majoration des cotisations mais la branche est invitée à négocier la mise en place de CDI pour les intérimaires, ce qui peut sembler paradoxal.
Le compte personnel de formation prévu par l’accord reprend les grands principes du DIF [Droit individuel à la formation], qui reste à ce jour très peu utilisé, en améliorant la portabilité des droits, dont le financement dépend d’un accord à venir entre les partenaires sociaux, les régions et l’Etat.
L’article 7 concerne la création d’un droit à une période de mobilité volontaire sécurisée pour les salarié·e·s ayant au moins 2 ans d’ancienneté dans des entreprises de plus de 300 salariés. Il s’agit en fait d’une période de suspension du contrat de travail pendant laquelle le salarié «découvre» un emploi chez un autre employeur. A la fin de cette période, soit le salarié réintègre l’entreprise d’origine dans son emploi antérieur ou un emploi «similaire», soit il démissionne sans préavis. Cette mesure a déjà été expérimentée dans des PSE ou des plans de départ volontaire, et elle serait donc dorénavant possible à tout moment.
En ce qui concerne le travail à temps partiel, l’accord institue notamment une durée minimum de 24 heures par semaine ainsi qu’une majoration des heures complémentaires. Il faut toutefois noter que des dérogations et des exceptions prévues dans le texte risquent d’en atténuer fortement la portée.
Les informations des salariés via les IRP
Une base de données unique sera mise en place dans l’entreprise afin de regrouper et rationaliser les données à communiquer aux IRP (délai de mise en place un an après l’entrée en vigueur de l’accord ou de la loi, deux ans pour les entreprises de moins de 300 salariés). Cette base remplacera l’ensemble des informations données de façon récurrente aux IRP, sous forme de rapports ou autres. Un accord collectif de branche ou d’entreprise pourra adapter le contenu des informations relevant de ces rubriques, en fonction de l’organisation ou du domaine d’activité de l’entreprise. Le contenu et les modalités d’utilisation de ce document unique (ou base de données) feront par ailleurs l’objet d’adaptations aux entreprises de moins de 300 salariés.
Cette base de données sera le support d’une information et d’une consultation des IRP sur les orientations stratégiques de l’entreprise et ses conséquences en termes d’activité, d’emploi et de compétences sur un horizon de 3 ans. Ce processus sera encadré dans un délai préfix, l’absence d’avis étant considérée comme un avis négatif. Les IRP pourront se faire accompagner par un expert-comptable, mais la mission sera financée à hauteur de 20% sur le budget de fonctionnement, sauf accord entre les IRP et la direction.
Lorsque l’entreprise envisagera, indépendamment de tout projet de cession, sa fermeture, celle d’un établissement, d’un site ou d’une filiale, il conviendra d’envisager la recherche de repreneurs dès l’annonce du projet de fermeture. Le CE sera informé et consulté sur cette recherche et pourra se faire assister par un expert-comptable de son choix (les modalités de financement de cette mission n’étant pas précisées). Il sera informé des offres de reprise et pourra émettre un avis sur celles-ci, le cas échéant après leur examen par l’expert désigné à cet effet.
L’article 12 de l’accord confirme par ailleurs les cas de recours à l’expertise prévus par le Code du travail tout en modifiant les conditions de délai et de prix de ces interventions. En effet, à défaut d’accord entre la direction et les IRP, des délais préfix seront imposés et les honoraires seront basés sur un barème établi par l’ordre des experts-comptables en fonction de l’effectif de l’entreprise et non de la complexité de la question posée par le comité ou de la nature et de l’ampleur des investigations rendues nécessaires de ce fait.
En ce qui concerne le CHSCT, les employeurs ont toujours protesté contre la multiplication des consultations de tous les comités des établissements impactés par un projet. Désormais tout projet de l’entreprise devant être soumis au comité d’hygiène et de sécurité, si plusieurs établissements sont concernés, conduira à la mise en place d’une «instance de coordination issue de comités locaux, qui sera seule consultée». Par voie de conséquence, l’accord retire aux CHSCT le droit de recourir à l’expertise prévue par le Code du travail en stipulant que l’instance de coordination serait alors seule apte à exercer ce recours. L’accord prévoit enfin que cette expertise sera réalisée dans le délai préfix d’intervention de l’expert-comptable mandaté par le comité d’entreprise et portera sur l’ensemble des éléments relevant de la compétence des CHSCT. Le résultat de l’expertise sera communiqué à l’ensemble des comités concernés.
L’accord prévoit également de réserver un ou deux postes (selon le nombre de membres du conseil) d’administrateur ou de membre du conseil de surveillance aux représentants des salariés dans les très grandes entreprises (effectif global > 10’000 ou effectif en France > 5000). Ces postes ne seront pas compatibles avec l’exercice d’autres fonctions de représentant du personnel.
L’article 15 instaure une obligation de négociation triennale sur la mobilité interne, qui est définie comme «la mise en œuvre des mesures collectives d’organisation courante dans l’entreprise, ne comportant pas de réduction d’effectifs et se traduisant notamment par des changements de poste ou de lieux de travail dans la même entreprise». Dans ce cadre, les mesures d’accompagnement ainsi que les limites, notamment géographiques, imposées à cette mobilité seront définies par accord (que se passe-t-il en l’absence d’accord?). En cas de refus du salarié, le licenciement est prononcé pour motif personnel mais pas pour motif économique. On comprend mal pour quelles raisons une mobilité mise en place et imposée pour des raisons d’organisation et donc des raisons économiques pourrait entraîner de telles conséquences.
Enfin, les signataires proposent que les entreprises franchissant les seuils de 11 ou 50 salariés bénéficient d’un délai d’un an pour la mise en œuvre des obligations liées au franchissement de ces seuils, sous réserve de l’organisation d’élections de représentants du personnel dans les trois mois du franchissement du seuil d’effectif.
En conclusion
Cet accord comporte quelques nouveaux droits pour les salariés, mais ils sont souvent limités et leur mise en œuvre effective dépend parfois de négociations à venir ou de financements à trouver.
En ce qui concerne les IRP, de nouvelles obligations d’information et de consultation sont instituées avec le droit de recours à un expert-comptable, mais les délais et les moyens seront plus contraints, limitant d’autant le travail indépendant de l’expert. En outre, le rôle des CE dans le cadre des PSE pourrait être nettement réduit par rapport à aujourd’hui.
Les moyens d’adaptation prévus pour les entreprises sont en grande partie une transcription de pratiques déjà en cours sous des formes différentes. Elles peuvent devenir la loi dans un contexte fort peu favorable aux salariés. Le but du patronat étant de resserrer les procédures et les négociations sur un rapport de force local (l’entreprise, voire l’individu) au détriment d’un droit social plus universel. (22 mars 2013)
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[1] «Préfix» (sans «e» à la fin du mot), en procédure civile, qualifie un délai dont la méconnaissance constitue une fin de non-recevoir, entraînant la perte du droit d’agir en justice. Dans ce cas, le tribunal juge, sans examen au fond, que la demande est irrecevable. Le délai préfix n’est susceptible ni de suspension, ni d’interruption.
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