9 février: NON à l’initiative «Contre l’immigration de masse»

BUNDESRAT, SVP, ARBEITSZIMMER, BUNDESHAUS, FERDINAND HODLER, GEMAELDE, HOLZFAELLER,Par Karl Grünberg

Blocher avec son Hodler et l'affiche officielle contre l'UDC...et la confusion....
Blocher avec son Hodler et l’affiche officielle contre l’UDC… et la confusion… propre à une tradition politico-culturelle

«La barque n’est pas pleine», Simonetta Sommaruga, 13 janvier 2014 [1]

Les partisans comme les adversaires bourgeois de l’initiative UDC «Contre l’immigration de masse» ont mobilisé la peur. La peur de la dégradation des conditions de vie et du cadre de vie. Elle sera le vainqueur de la votation que l’initiative soit acceptée ou rejetée.

Et la peur qu’éprouvent les cibles de l’UDC, les étrangers, qui travaillent, cotisent, paient leurs impôts et qui n’ont pas le droit de vote restera dans l’ombre, sans même mentionner la grave péjoration de la situation des demandeurs d’asile.

Le Conseil fédéral [2], les associations patronales, les partis qui les suivent combattent ce texte au nom de la prospérité des employeurs: son succès amènerait du chômage, il faut la rejeter pour ne pas tuer la poule aux œufs d’or. Des œufs qu’ils ne partagent pas. Le 24 novembre 2013, ces milieux obtenaient le rejet massif de l’initiative sur l’écart salarial maximum 1:12. Quatre jours plus tard, le magazine Bilan annonçait que la fortune des 300 plus riches de Suisse a crû de 67 milliards en un an, pour atteindre 627 milliards de francs.

La tradition comme valeur

L’UDC fait campagne comme on dirige une fanfare: elle se préoccupe de la beauté du paysage contre le bétonnage, de l’harmonie de notre culture contre l’invasion étrangère, de l’histoire de notre pays contre les apprentis sorciers qui le vendent à l’encan (les mondialistes), etc.

Les partis gouvernementaux partagent les mêmes références. Flanquée de l’office fédéral qui la met en musique, la Loi sur le séjour et l’établissement des étrangers (LSEE) veille depuis 1931, «aux intérêts économiques et moraux du pays» contre l’invasion, contre la surpopulation étrangère (l’Überfremdung).

Cette vigilance n’est pas euphémique. Elle a conduit le Conseil fédéral à proposer en 1991 de refuser l’autorisation de séjour aux «ressortissants des pays qui n’ont pas les idées européennes au (sens large)»[3].

Ce racisme conduit à la Loi sur les étrangers (LEtr), qu’il propose en 2007, dopé par les mêmes soutiens économiques et politiques, auxquels s’ajoute alors l’UDC, qui n’en veut plus aujourd’hui.

Un regard sur cette tradition

S’enrichir du travail des migrant·e·s et prévenir la solidarité de classe entre travailleurs suisses et étrangers arme depuis près d’un siècle le code génétique des intérêts bourgeois qui, jusqu’à nos jours, adaptent ces impératifs aux évolutions successives, avec la complicité organisée de différents «représentants du monde du travail».

La lutte contre l’Überfremdung est une priorité du conseil fédéral depuis 1917. Il institue alors sans base légale un office fédéral (l’actuel ODM – Office fédéral des migrations). Pour le pérenniser, il fait modifier la Constitution fédérale (1924), condition nécessaire à la rédaction d’une loi (LSEE, 1931).

La LSEE devait entrer en vigueur le 1er janvier 1934. En avril 1933, les autorités suisses décident son application anticipée. Hitler vient de prendre le pouvoir et de rapides mesures antijuives leur semblent nécessaires.

passeport

Paru dans le livre mentionné en note de Daniel Bourgeois
Paru dans le livre mentionné en note de Daniel Bourgeois

Le 14 mars 1938, l’Allemagne nazie annexe l’Autriche. Le conseiller fédéral Giuseppe Motta salue: «le plus grand événement historique depuis la Guerre mondiale».

Le 28 mars 1938, le Conseil fédéral estime «qu’indépendamment de la situation de notre marché du travail, le degré d’infiltration étrangère (Überfremdung) est tel» que «(…) nous devons  nous défendre de toutes nos forces et, s’il le faut, sans pitié contre l’immigration des Juifs, tout particulièrement des Juifs de l’Est».

En application de ce choix, les autorités suisses demandent aux autorités nazies d’apposer un signe distinctif dans les passeports des Juifs allemands, pour les filtrer à la frontière. La négociation du Tampon J aboutit le 29 septembre 1938 [4].

Pourquoi les autorités suisses n’ont-elles toujours pas reconnu cette responsabilité?

En France l’extermination des Juifs commence en juillet 1942. La France a une longue frontière avec la Suisse. Alors qu’un rapport officiel du 30 juillet 1942 sur la situation des réfugiés souligne «les conditions terribles qui règnent dans l’est et qui ne permettent plus guère d’envisager des refoulements», le responsable de la politique des étrangers, Heinrich Rothmund, préconise « que les réfugiés civils soient désormais refoulés en plus grand nombre, même s’il peut en résulter pour eux des inconvénients sérieux (danger pour l’intégrité corporelle)».De crainte que des réfugiés juifs ne soient accueillis, le Conseil fédéral décide que la «barque est pleine».

Fin septembre 1942, Rothmund expose à Montreux[5] que le danger «n’est pas l’antisémitisme, doctrine étrangère à nos institutions et à nos mœurs, mais l’israélisation[6] du pays, l’augmentation disproportionnée d’une seule catégorie d’étrangers. La question se complique du fait que le juif est difficilement assimilable.»

La barque était-elle pleine, est-elle pleine?

Le 30 août 1942, parlant à une audience de jeunes gens, le conseiller fédéral Eduard von Steiger[7] a justifié sa politique: «lorsqu’on a le commandement d’une petite embarcation de sauvetage déjà lourdement chargée, ayant une faible capacité et pourvue d’une quantité limitée de vivres, et que des milliers de victimes d’une catastrophe maritime appellent à l’aide, il faut savoir se donner l’air d’être dur si l’on ne peut pas prendre tout le monde à bord».

Pénible démagogie, la Suisse de 1942 n’était pas une petite embarcation de sauvetage mais un solide navire, assurant une partie de l’approvisionnement industriel du IIIe Reich! En est-il autrement aujourd’hui? La crainte des réfugiés ne fut-elle pas la première réaction officielle suisse au printemps arabe? Qu’en est-il de l’accueil des réfugiés syriens à l’heure où on nous serine que les musulmans ne sont pas «assimilables»? Une orientation d’interculturalité n’est que rarement débattue, même dans la gauche.

La politique des étrangers et des réfugiés reste à tel point imbibée de décennies de préjugés, de sales coups et de discrimination raciale que la conseillère fédérale Simonetta Sommaruga se permet aujourd’hui d’assurer que «la barque n’est pas pleine!» pour justifier la politique d’immigration choisie du gouvernement.

Quels que soient nos nationalités, nos religions, nos statuts, c’est tous ensemble que nous pourrons lutter, pour préserver et améliorer nos conditions de vie et notre cadre de vie [8].

Karl Grünberg est président de «Tampon J». Une conférence-débat est organisée le 10 février 2014, à 18h30, à la Maison des associations, Salle Gandhi, à Genève. Pour information, cliquez sur ce lien : http://www.tamponj.ch/wp-content/uploads/2014/01/conference_ETAT-verite_fev2014-011.jpg


[1] Simonetta Sommaruga, Migros Magazine, 13 janvier 2014.

[2] Le journaliste qui se veut décapant Pascal Décaillet et quelques autres s’indignent contre la campagne collégiale du Conseil fédéral alors que l’UDC s’oppose à lui.

[3] 91.036 Rapport du Conseil fédéral sur la politique à l’égard des étrangers et des réfugiés du 15 mai 1991 (http://www.amtsdruckschriften.bar.admin.ch/viewOrigDoc.do?id=10106637).

[4]  Voir à ce propos l’ouvrage de Daniel Bourgeois, Business helvétique et IIIe Reich, Editions Page deux, 1998, pp. 167-194.

[5] Conférence annuelle des chefs des polices cantonales des étrangers.

[6] Rothmund parle plus fréquemment du risque d’«enjuivement» du pays.

[7] Conseiller fédéral de 1941 à 1951, responsable du Département de justice et police, membre du PAB (Parti des paysans, artisans et bourgeois), aujourd’hui UDC.

[8] Voir le Dossier n° 3 La Brèche: «Un NON pour une unité de tous les salarié.e.s et pour de véritables droits démocratiques, sociaux et syndicaux pour tous»

Post-scriptum

Christoph Blocher, dans une tradition bien établie, a rendu hommage le 2 janvier 2014, devant des milliers de personnes, à l’occasion de l’inauguration des nouvelles bâtisses du Comptoir de Lucerne, au conseiller d’Etat lucernois Philipp Anton von Segesser (1817-1888). Blocher a souligné les qualités de ce patricien: «Un courageux Nein-Sager, un démocrate, un fédéraliste, un vrai catholique.» Tachles, Das jüdische Wochenmagazin rapportait dans son édition du 5 janvier 2014 que ce «Nein-Sager» a mené un campagne antisémite virulente dans les années 1860, s’opposant à la reconnaissance de l’égalité des droits pour les citoyens juifs de Suisse et contre l’implantation de juifs en Suisse. Blocher, qui possède une connaissance de l’histoire suisse, ne pouvait ignorer cette orientation de cette personnalité, membre d’une famille patricienne ayant marqué l’histoire du canton. (Rédaction A l’Encontre)

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