À rebours des discours qui veulent faire croire que les sociétés contemporaines évolueraient vers la constitution d’une immense «classe moyenne», le livre d’Alain Bihr Les rapports sociaux de classes (Éditions Page 2, 140 pages, 9,50 euros) rappelle le rôle central des rapports sociaux de classe pour analyser les sociétés contemporaines. Car nos sociétés restent fondamentalement «segmentées, hiérarchisées et conflictuelles». Après avoir rappelé les trois principales grilles de lecture de cet état de fait (l’analyse marxiste, l’analyse webérienne, l’analyse individualiste), l’auteur justifie sa référence privilégiée à Marx. Ce point de vue s’appuie, notamment, sur les nombreux travaux sur les inégalités menés avec son collègue Roland Pfefferkorn. Le livre propose ensuite une «grille de lecture marxiste des rapports sociaux de classe» organisée autour de trois chapitres qui proposent une introduction synthétique aux concepts centraux de la théorie marxiste (les rapports capitalistes de production, la lutte des classes, la subjectivité des classes). Il aborde en conclusion la question de la pluralité des rapports sociaux et de leur articulation. À cet égard, le point de vue de l’auteur est clair: «Les rapports sociaux de production sont en position prédominante à l’égard des autres rapports sociaux», même si ces derniers disposent d’une «autonomie relative».
L’ouvrage se nourrit du travail théorique effectué par l’auteur depuis plusieurs années mais aussi de tout un ensemble de recherches – non limitées aux auteurs marxistes – dont la bibliographie finale fournit les principaux éléments. Ce travail d’actualisation théorique constitue un des principaux apports du livre sur le fond. Une présentation très structurée ainsi qu’un exposé méthodique et rigoureux des concepts rendent par ailleurs, sur le plan formel, ce livre accessible à un grand public. Le second chapitre sur la lutte des classes est peut-être le plus abouti de ce point de vue par la grande finesse, mais aussi par la clarté de son analyse.
Le lecteur pourra regretter de ne trouver dans le livre aucune discussion critique de la grille de lecture proposée, par exemple en ce qui concerne la place prédominante des rapports sociaux de production, un point théorique pourtant souvent discuté. Cela tient au format très court du livre et l’auteur le souligne dès l’introduction. Ce livre est donc aussi une invitation au débat et à la critique. Il fournit, en tout état de cause, des outils précieux à tous ceux – familiers ou non de la littérature marxiste – qui souhaitent aiguiser leur compréhension des enjeux actuels des luttes sociales.
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Pierre Concialdi est chercheur à l’IRES. Cet article est paru dans L’Humanité, 12 juin 2012.
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