Par la rédaction du
Courrier des Balkans
Né dans une famille de partisans, Ratko Mladic «ne supportait pas» pas les tchetniks [armée serbe qui, entre autres, a combattu la résistance dirigée par Tito] et le folklore nationaliste serbe. C’est du moins ce qu’affirment ses biographes. Le futur militaire a vu le jour le 12 mars 1942 dans un petit village de la commune de Kalinovik, près du Mont Treskavica, au sud-est de Sarajevo. Son père Nedo, combattant de la 49e Division d’Herzégovine des partisans, est tué par les Oustachis [force croate, antisémite et fasciste et anti-yougoslave, allié du Reich et de l’Italie fasciste] en 1945, peu avant la fin de la guerre. Le jeune homme devient militaire et connaît une carrière sans éclat particulier jusqu’à ce qu’il soit nommé, en 1991, commandant du 9e Corps de l’Armée populaire yougoslave (JNA), basé à Knin, alors que les combats font rage dans le Krajina entre les forces croates et les sécessionnistes serbes. Le 4 octobre 1991, le colonel Mladic est promu général de brigade.
Six mois plus tard, le 24 avril 1992, il devient général de division, tout en étant muté à Sarajevo, où il est nommé chef d’état-major adjoint du deuxième district militaire de la JNA.La guerre a pourtant déjà commencé le 6 avril en Bosnie-Herzégovine. Le 12 mai, la Republika Srpska de Bosnie-Herzégovine crée sa propre armée, la VRS, dont Mladic prend le commandement, ce qui ne l’empêche pas d’être promu au rang de général de Corps d’armée de l’Armée de Yougoslavie (VJ) en 1994. Interlocuteur principal des Casques bleus de la FORPRONU, le général Mladic, rusé et autoritaire, s’impose comme le personnage central de la guerre de Bosnie-Herzégovine. Le 24 mars 1994, sa fille Ana, se suicide dans la maison familiale de Belgrade, en utilisant l’arme de service de son père.
Lors de la chute de l’enclave bosniaque de Srebenica, en juillet 1995, les images du général Mladic procédant, à Potocari, au tri des futures victimes, ont fait le tour du monde. Il est inculpé quelques mois plus tard, par le Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie (TPIY) des crimes de «génocide, persécutions, complicité dans le génocide, extermination, meurtres, déportation, attaques contre des civils et prise d’otages».
Une cavale sous très hautes protections
Malgré cela, Ratko Mladic va encore couler des jours paisibles durant quelques années en Republika Srpska, résidant, sans se cacher, dans une caserne de Han Pijesak, où il s’adonne aux plaisirs tranquilles de l’apiculture. Néanmoins, il doit bientôt passer de l’autre côté de la Drina et réside à Belgrade, dans le quartier de Banovo Brdo, toujours dans une très peu discrète semi-clandestinité. On le voit parfois se rendre au stade pour assister à un match de football. Sa situation se complique après la chute de Slobodan Miloševic, en octobre 2000, et surtout après l’arrestation de celui-ci en mars 2001. L’ancien général doit dès lors se cacher dans des casernes et des bâtiments militaires. En octobre 2004, deux appelés serbes trouvent la mort dans des circonstances toujours obscures dans la caserne de Topcider, à Belgrade: ils auraient probablement vu le fugitif.
Soumis à de fortes pressions internationales, les gouvernements serbes successifs lancent de régulières opérations visant, théoriquement, à arrêter Ratko Mladic. En réalité, les dépêches de Wikileaks ont révélé que les autorités étaient très précisément informées des déplacements du fugitif. En 2006, des assistants du général sont arrêtés sur la frontière entre la Serbie et la Bosnie-Herzégovine, et Mladic aurait lui-même échappé de peu à la capture.
En 2010, le gouvernement de Belgrade offre une prime de 10 millions d’euros, à qui donnera des informations permettant d’arrêter Ratko Mladic, mais celui-ci continue à jouir de protections très haut placées: en 2012, treize assistants du fugitif ont été traduits en justice en Serbie. En novembre 2017, des journalistes qui demandaient à consulter les documents se sont vus opposer une fin de non-recevoir, par le bureau du Procureur, le dossier étant toujours classé «secret d’Etat».
Ratko Mladic a été finalement arrêté le 26 mai 2011 dans le village de Lazarevo, en Voïvodine, non loin de Belgrade: se faisant appeler Milorad Komadic, il se cachait chez des cousins, mais le scénario de son arrestation ressemble fort à une mise en scène, laissant supposer une reddition négociée. Aucun des parents de l’ancien général, notamment son cousin Branko chez qui il a été arrêté, n’a été inquiété par la police, alors que l’assistance aux fugitifs recherchés par le TPIY est un délit réprimé par la loi serbe. C’est en tout cas un homme affaibli qui apparaît alors sur les photos et les images de télévisions. Il aurait subi plusieurs accidents cérébraux.
Les rebondissements d’un interminable procès
Rapidement transféré devant le TPIY, Ratko Mladic refuse, lors de sa première comparution, le 4 juin 2011, de plaider coupable ou non coupable. En prison, son état de santé se dégrade encore: en août, il est hospitalisé pour être opéré d’une hernie.
Lors de ses premières comparutions, Ratko Mladic paraissait très faible, incapable de placer lui-même ses écouteurs ou de saisir un verre d’eau mais, lors de l’ouverture officielle de son procès, le 16 mai 2012, il multiplie les provocations saluant le public et mimant un geste d’étranglement. Le procès va pourtant subir une série d’interruptions, tant en raison de l’état de santé de l’accusé que d’erreurs de procédure de l’accusation.
Fin 2013, le Tribunal fait obligation au prévenu de venir témoigner au procès de son ancien comparse Radova Karadzic, lui-même arrêté à Belgrade en juillet 2008, et finalement condamné le 24 mars 2016 à 40 années de prison, en première instance. L’audience a finalement lieu le 29 janvier 2014. Ratko Mladic refuse de répondre à toutes les questions, mais la confrontation entre les deux hommes se solde par un étonnant spectacle, Mladic lançant à Karadžic, «Izvini, Radovane!» («excuse-moi, Radovan!»), et profitant de l’occasion pour qualifier le TPIY de «juridiction satanique». En ouverture, son avocat, Me Branko Lukic, avait demandé au juge O-Gon Kwon de ne pas interpeller Mladic. «Mon client», avait justifié l’avocat, «souffre, selon les médecins, d’un problème de mémoire qui ne lui permet pas de distinguer les événements réels de ceux de son imagination».
Le 7 décembre 2016, au terme de trois jours de réquisitoire, l’accusation requiert la prison à perpétuité contre l’ancien commandant des forces serbes de Bosnie-Herzégovine. Le 21 mars 2017, ses avocats déposent une demande en liberté provisoire, afin que leur client puisse se rendre en Russie pour être soigné. Selon eux, il serait «en danger de mort». L’état de santé de Ratko Mladic a encore été invoqué, toujours sans succès, pour que soit reporté l’énoncé du verdict, attendu ce mercredi.
Une institution responsable des massacres de masse et de l’extermination
Le verdict Mladic – du mercredi novembre 2017 – dépeint l’armée de la Republika Srpska (VRS) comme une institution responsable du génocide et des autres crimes de guerre commis en Bosnie-Herzégovine, estime Edin Ramulic, militant pour les droits de l’Homme et membre de l’initiative Jer me se tice! («Parce que ça me concerne!»). « Ni Ratko Mladic en tant qu’individu, ni les Serbes en tant que peuple ne sont à proprement parler responsables, mais bien la VRS en tant qu’institution», a-t-il déclaré.
Pour Edin Ramulic, la sentence du TPIY était prévisible, surtout en ce qui concerne l’acquittement du général accusé de génocide dans six municipalités de Bosnie-Herzégovine. «De grandes attentes reposaient sur la petite équipe du tribunal de La Haye censée recueillir toutes les preuves, alors que les représentants des institutions de Bosnie-Herzégovine ne faisaient rien.» Avec plus de 2500 exhumations, précise Edin Ramulic, la Bosnie-Herzégovine a accumulé des preuves médico-légales que personne n’a envoyées au procureur. «Aujourd’hui encore, nous n’avons pas de liste des victimes. Pourquoi s’attendrait-on à ce que les gens de La Haye s’occupent de ce que nos propres institutions ont échoué à faire?»
Après avoir pris connaissance du jugement, Edin Ramulic note qu’il y est constamment question de génocide. «Nous avons eu des décisions antérieures qui stipulaient sans ambiguïté que ce qui s’était passé à Prijedor [en Republika Srpska], ou dans d’autres municipalités de Bosnie-Herzégovine, avait des proportions de génocide. C’est hélas un piège dans lequel nous sommes tombés: si ces crimes ne sont pas reconnus comme génocide, alors il ne s’est rien passé. Toute l’importance réside dans l’accusation, les massacres de masse et l’extermination.»
«Ce verdict sera le début d’une nouvelle ère où nous considérerons enfin clairement ce qui s’est passé pendant la guerre, ainsi que les gens qui ont souffert», espère le militant des droits de l’Homme. Selon lui, les unités de la VRS devraient cesser de porter l’image de Ratko Mladic durant les rassemblements et décrocher ses portraits des murs. «Ce serait une première étape pour tourner la page des intentions criminelles des chefs militaires, car je crois que la grande majorité des membres de la VRS étaient honnêtes et avaient des intentions louables. Ils voulaient défendre ce qu’on leur avait dit qui était menacé.»
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