Syrie: une révolution méprisée contre une tyrannie implacable

Par Charles-André Udry

Ces 26 et 27 mai 2012, il suffit de voir – par exemple sur la chaîne d’informations BBC News – la population de Houla, sise près de Homs dans le centre de la Syrie, se précipiter en direction desdits observateurs de l’ONU, puis les entourer pour leur montrer des photos de membres de leur famille qui ont disparu ou ont été tués, pour comprendre quelle guerre mène la dictature de Bachar el-Assad contre la population.

Il suffit de regarder – avec un sentiment d’horreur – les vidéos traitant (voir celle, la plus supportable, placée sur ce site: TV A l’Encontre) du massacre, commis durant la nuit du 25 au 26 mai, de plus de 100 personnes, parmi lesquelles 49 enfants de moins de 10 ans, pour saisir en quoi ces tueries, ces crimes sont consubstantiels à la structure du pouvoir du clan Assad, à ses méthodes de domination comme d’oppression (donc à son histoire) ainsi qu’à son énergie fanatique de sauvegarder ses divers privilèges. Et, dans la foulée, ceux d’une clientèle lumpenisée (nommés, ici, les chabihas), une fraction sociale qui a toujours fait corps avec les dictatures les plus féroces.

Certains «anti-impérialistes», figés dans leurs certitudes, donnent plus de crédit aux déclarations hallucinantes faites, ce dimanche 27 mai 2012, par le porte-parole des Affaires étrangères du régime de Bachar el-Assad: Jihad Makdessi. Ce dernier n’a pas manqué d’assurer que le crime de Houla devait être imputé à «des terroristes». Car, le régime syrien avait comme devoir constitutionnel de «défendre la vie et la sécurité de la population»! Une «commission d’enquête» doit donc faire toute la clarté à propos de ce crime, a-t-il osé déclarer sur les ondes de la TV officielle syrienne (son intervention peut être visionnée sur le site de la BBC, avec traduction anglaise: http://www.bbc.co.uk/news/world-middle-east-18229322).

Et ces cagots «anti-impérialistes» répéteront leurs cruels contes, cela bien que, réuni en urgence, le Conseil de sécurité ait condamné à l’unanimité – gouvernements russe et chinois y compris, malgré les dénégations de l’ambassadeur syrien qui se plaignait que le régime d’Assad soit soumis à un «tsunami de mensonges» (sic) – ce massacre. Le Conseil de sécurité a souligné la responsabilité du gouvernement syrien, cela au moment où Kofi Annan est attendu, le lundi 28 mai, à Damas [1].

Pour celles et ceux qui ont quelques connaissances historiques, croire, une seule seconde, à ces élucubrations de Jihad Makdessi relève de la même «croyance» d’une grande rigueur – et ils ne sont pas rares les fétichistes du «grand complot impérialiste» – que celle de ceux qui, en 1939, pensaient que la prétendue attaque du poste de radio de Gleiwitz (Gliwice) par de supposées troupes de l’armée polonaise était à l’origine et justifiait l’invasion hitlérienne de la Pologne, en septembre 1939.

D’autres, tout aussi bigots, ne voyaient, alors, pas de lien entre le Pacte Ribbentrop-Molotov de 1939 et l’invasion parallèle de la Pologne. Ceux-ci ne cesseront d’ailleurs d’affirmer, haut et fort, dans les colonnes de L’Humanité (PCF) et de La Voix ouvrière (organe du PC helvétique, dit Parti Suisse du Travail) – durant des années dans l’après-Seconde Guerre mondiale – que le massacre des officiers polonais à Katyn (en 1940) n’était pas un «œuvre» des services spéciaux soviétiques (NKVD), mais des nazis. Or, des éléments concernant ces faits établis – reconnus, finalement, par la Douma poutinienne seulement en novembre 2010! – avaient été un élément d’un débat connu lors du procès de Nuremberg, en 1946. Le professeur François Naville, spécialiste de médecine légale à Genève, disposait d’une documentation indiscutable sur la responsabilité du NKVD en la matière. Il fut vilipendé par les adeptes d’une bigoterie aveugle et haineuse, propre aux staliniens, par les dirigeants du PSdT. Aujourd’hui, ceux pour qui «l’évangile anti-impérialiste» est imprimé au Venezuela n’hésitent pas à dénoncer comme «faisant le jeu de l’impérialisme» les militant·e·s ou les analystes qui soutiennent une évidence: un pouvoir criminel, celui du clan Assad, a assassiné plus de 12’600 Syriens et Syriennes (derniers chiffres de l’ONU).

Quant aux «terroristes» présents en Syrie, personne ne va nier que, dans le cadre d’une guerre menée depuis près de 15 mois [2] par le noyau dur des forces armées syriennes contre la population insurgée, certaines forces «djihadistes», liées à des pays du Golfe, soient, actuellement, présentes en Syrie. Ce genre de régime dictatorial qui a tout détruit au plan institutionnel, si ce n’est ses forces de répression, elles renforcées avec l’appui de la Russie poutinienne, crée le terrain idéal pour susciter des interférences extérieures, plus son combat criminel se prolonge.

Mais, à ce propos, nous ne pouvons qu’être d’accord avec la réponse faite par Jean-Pierre Filiu à la question d’un journaliste de Libération (23 mai 2012): «Faut-il dès lors considérer que la Syrie est devenue la nouvelle terre du djihad mondial? «Disons qu’au maximum il y a quelques centaines de combattants étrangers en Syrie. Pas suffisamment en tout cas pour que leur présence change la nature de la rébellion. La confusion sur l’importance du phénomène tient en partie aux discours de l’administration américaine qui met en avant Al-Qaida pour justifier son refus de s’impliquer», explique Jean-Pierre Filiu, professeur à Sciences-Po (Paris). «Le phénomène est réel, mais reste marginal. Nous ne sommes pas du tout dans une situation à l’irakienne, où les combattants affluaient, y compris d’Europe», confirme un analyste qui souhaite garder l’anonymat pour continuer à se rendre à Damas.»

Ils auraient pu ajouter que divers témoignages font mention de la présence de membres des forces Basij du régime iranien, connu pour son dévouement à la «libération des travailleurs d’Iran»!

Cette référence à Al-Qaida devrait sonner étrangement aux oreilles de certains «anti-impérialistes» qui, de fait, s’alignent derrière Assad ou manifestent, encore, une neutralité d’observateurs sceptiques car «la situation est compliquée». En effet, Al-Qaida est invoqué, à la fois, par l’administration des Etats-Unis et le régime d’Assad, lorsqu’il y a eu les premières explosions sur des places, à Damas, où trônaient les bâtiments de la police et de l’armée syriennes – à coup sûr bien protégés; cela à l’occasion de la visite frauduleuse de la délégation de la Ligue arabe, en décembre 2011!

Sauf pour des esprits simples, depuis quand une crise ouverte d’un régime honni par l’essentiel de sa population et dans cette région spécifique du monde ne déboucherait-elle pas sur une «situation compliqué»? La question ne réside pas dans ce constat qui est à l’analyse géopolitique ce que la découverte de la prose est à Monsieur Jourdain.

Il s’agit, en fait, de savoir si ce soulèvement durable contre la dictature du clan d’Assad plonge ses racines dans une crise sociale qui n’a cessé de s’approfondir depuis les années 1990, d’abord dans la périphérie agricole, puis dans la périphérie des grandes villes, enfin au centre même de villes considérées comme «stables»? Poser la question c’est y répondre.

Et le social est intriqué au politique, au refus populaire de se voir exproprier de biens matériels et des droits civiques et civils. Que des forces politiques – par exemple, les Frères musulmans – disposent d’une audience et d’un soutien du Qatar, cela ne fait pas de doute. Comment pourrait-il en aller autrement quand on sait que le régime clanico-alaouite d’Assad (une sorte de résidu historique du parti Baas historique) a mené une répression systématique, non seulement contre la gauche – du moins celle qui osait manifester son opposition – mais aussi contre les forces politico-religieuses. Ces dernières disposent donc d’une crédibilité anti-dictatoriale.

C’est précisément dans le processus de la lutte anti-dictatoriale, dans le combat pour des objectifs démocratiques et sociaux que peuvent se clarifier les options différentes sur tous les terrains. C’est une bataille qui est en cours, dans des contextes politiques et des formations sociales ayant leurs traits particuliers, dans toute cette région. Ce long processus social et politique a commencé, ouvertement, depuis 2010. Il a été qualifié de «printemps arabe». Il a ses flux et reflux. Dans cette marée, avec ses ressacs, surgissent des débats politiques, des controverses, des affrontements sociaux qui rendent plus évidentes les relations entre des besoins sociaux, les rapports sociaux de classes et leurs traductions idéologiques et culturelles, cela dans un champ politique plus ouvert, parce que libéré du dictateur (Tunisie, Eygpte, Libye) ou dans un contexte où la peur d’un tyran cruel et sans vergogne – Assad – s’efface, certes avec son lot accumulé de haines. Un tyran qui n’a cessé de cultiver, avec détermination, les fractures communautaires. Or, elles deviennent, aujourd’hui, par un étrange tour de passe-passe, un «argument» pour dénigrer le soulèvement populaire contre le clan au pouvoir à Damas. En «oubliant», avec soin, de mettre en relief la tendance opposée: l’unité du peuple, proclamée durant les manifestations; ce qui n’empêche certes pas la méfiance et les tensions. Un trait qui reste fort, malgré toutes les provocations du pouvoir visant à déchaîner les heurts sectaires.

Pour qu’un processus social et démocratique puisse prendre sa force – qu’un élan de «révolution permanente» se développe – doit exister une précondition: le renversement de la dictature. Il en découle deux exigences.

La première, manifester une opposition à tout un discours, tenu entre autres par Ban Ki-moon, le secrétaire général de l’ONU, selon lequel il y aurait deux camps militaires qui s’affronteraient. C’est une déformation factuelle grossière. Il y a un pouvoir militaire qui écrase une population. Ce pouvoir est structuré. Il emploie un armement lourd, des forces policières, une surveillance sophistiquée des réseaux de communication électronique (système fourni par le régime de Poutine), des milices agissant aux ordres du régime et commettant leurs propres crimes, extorsions et marchandages, ce qui révèle, par ailleurs, l’état de putréfaction du pouvoir de Damas.

Un régime aux abois, car une ville comme Alep, la deuxième ville du pays, un bastion de la bourgeoisie chrétienne et d’autres minorités, commence à se révolter. Une ville dont les composantes socio-économiques dominantes voyaient dans le régime du père Assad, Hafez, et du fils, Bachar, une assurance face aux forces «islamistes», mais surtout une garantie pour leurs intérêts matériels de classe. En effet, elles tiraient un certain avantage de ladite ouverture économique. La crise socio-économique présente, fruit du soulèvement et de sa répression depuis plus d’un an, lui fait découvrir l’envers de la médaille, après voir apprécier l’avers.

Ainsi, ce vendredi 25 mai 2012, des manifestations importantes ont eu lieu à Alep: plusieurs dizaines de milliers de personnes ont défilé dans la ville et dans la province. Les mobilisations anti-dictatoriales dans l’Université d’Alep trouvent ainsi leur prolongement. Les défilés ont été réprimés brutalement. A souligner un autre indice de la profondeur de la crise du pouvoir: dans le quartier historique de Midane, à Damas, ce même vendredi, des manifestant·e·s ont osé descendre dans la rue.

Donc, pour l’heure, l’essentiel de la révolution anti-dictatoriale emprunte majoritairement la voie – intrépide – de la mobilisation pacifique, de la résistance civile. Sur ce point nous ne pouvons que renvoyer aux articles mis en ligne sur ce site: celui de Khalil Habash en date du 18 mai 2012 et celui de Yassine al-Hajj Saleh en date du 22 mai 2012.

Quant à l’Armée syrienne libre (ASL), elle ne constitue pas une armée. Elle n’est pas dotée d’une chaîne de commandement un peu unifié et d’un armement apte à faire face à celui des forces commandées par le frère de Bachar, Maher el-Assad; des forces qui disposent d’un armement «soviétique», bon pour mener une guerre répressive contre la population, mais qui ne permettrait pas de mener une guerre dite conventionnelle. Cette fragmentation de l’ASL – avec le manque de direction politique unifiée – peut évidemment être à l’origine de dérapages, de règlements de compte, de possibles dérives communautaires de type vendetta.

Mais cela ne change rien à la question décisive portant sur l’origine du soulèvement et sur la légitimité irréfutable d’un combat de libération anti-dictatorial. Sa validité est, a contrario, confirmée par ce terrifiant bilan, établi le 14 mai 2012 par une délégation clandestine de Médecins sans frontières: «Un collègue chirurgien syrien m’a dit: “Etre pris avec un patient, c’est pire que d’être pris avec une arme. C’est la mort pour le patient, et pour moi-même”. Autre constat, les hôpitaux et les structures de soins en général sont ciblés par les forces de sécurité syriennes.»

Dans un entretien accordé au quotidien Le Parisien (14 mai 2012), un membre de la délégation de MSF rapporte: «Les pharmacies sont aussi visées.“Ce blocus thérapeutique est tout à fait pervers. C’est un énorme problème pour les malades chroniques, qui souffrent par exemple de diabète, d’insuffisance rénale… Pour moi, qu’une armée régulière pille des pharmacies, les détruise, c’est complètement inédit. C’est un pas en avant dans la barbarie”, résume le chirurgien.» Certains nous diront, peut-être, que les rapports de MSF relèvent de la propagande impérialiste! Ce n’est pas impossible.

Dans ce monde ressurgit un campisme – autrement dit l’annulation d’une analyse concrète d’une situation concrète par des considérations vagues (et le plus souvent erronées) sur les oppositions entre, d’un côté, les Etats-Unis, leurs alliés et de l’autre, la Chine et la Russie. Tout cela a la senteur de cette «guerre froide» qui a conduit tant de militants de la gauche dite radicale à nier (si ce n’est à approuver) les terribles méfaits du régime anti-ouvrier stalinien en URSS, de ses prolongements dans «les pays de l’Est» ou encore des effets désastreux du «grand bond en avant» en Chine, avec la famine qui en découla. Un «grand bond en avant» applaudi, du point de vue de la «maîtrise de techniques modernes par les masses», par un Samir Amin, pour faire exemple [3].

De petits cercles de la gauche développent, sur le fond, une orientation que l’on peut résumer ainsi: le peuple de Syrie a le droit (merci!) de se battre contre la dictature d’Assad, mais ce n’est pas le bon moment. En effet, selon eux, Israël prépare une offensive contre l’Iran. Et les Etats-Unis comptent sur l’Arabie saoudite pour assurer l’approvisionnement en pétrole en cas de conflit, afin de ne pas faire exploser les prix du baril sur le marché mondial, au milieu d’une période de stagnation et/ou de récession économique.

Ainsi, le peuple syrien devrait attendre le feu vert d’analystes politiques lucides qui lui diront quand c’est le bon moment! Ce despotisme éclairé de la gauche «anti-impérialiste» ressemble furieusement aux positions de la social-démocratie. Celle qui espérait que la population russe «attardée», vivant sous la botte tsariste, attende que les forces éclairées sociales-démocrates (celles, par exemple, de la future République de Weimar) connaissent une évolution progressive pour la rejoindre, «au bon moment», sur la voie de la démocratie! Les masses n’obéissent pas aux ordres des despotes, même membres de l’intelligentzia «de gauche» qui croit maîtriser, avec leurs «conseils», les pulsions de l’histoire et de la politique…

Aujourd’hui, un autre (très autre) social-démocrate, Laurent Fabius, le ministre des Affaires étrangères du gouvernement de Jean-Marc Ayrault, sous la présidence de François Hollande, manifeste un grand souci, au-delà de sa dénonciation obligée des crimes commis à Houla. Son souci: que le «régime assassin… menace la stabilité régionale» (JDD, 27 mai 2012, p.10). Voilà le vrai souci d’un «réaliste» et de tous ses compères de l’OTAN.

Barack Obama en discussion avec le Premier ministre Dmitri Medvedev, lors de la réunion du G8 à Camp David: discussion sur la question syrienne (New York Times, 26 mai 2012)

Sa préoccupation est donc celle de toutes les puissances impérialistes qui cherchent des solutions de continuité dans la discontinuité et qui n’ont d’autres cartes à jouer que celle de la mission de Kofi Annan, dans laquelle elles ne croient plus guère, en attendant un éventuel accord Obama-Poutine (voir note 1).

Donc, si les manœuvres impérialistes et de leurs alliés régionaux doivent certes être dévoilées et dénoncées par la gauche de gauche, la priorité politique reste celle de la solidarité inconditionnelle avec le soulèvement du peuple insurgé syrien, tout en appuyant les forces qui en son sein se battent pour la justice sociale et contre les politiques économiques qui sont propres au régime de Bachar el-Assad, mais aussi aux Frères musulmans. Ces derniers ont toujours exprimé leurs faveurs pour les options économiques libérales et leur opposition farouche aux revendications et, encore plus, à l’organisation indépendante des masses laborieuses. Cela au même titre où ils considèrent les droits civils et civiques – des femmes, entre autres – comme devant être subordonnés à un «code supérieur», d’ordre divin. Cela de manière assez analogue à ce que la démocratie-chrétienne a imposé, il n’y a pas si longtemps, dans de nombreux pays européens; ou encore les courants les plus religieux, puissants, en Israël.

La seconde renvoie à une question sous forme de diptyque. Le premier volet est celui d’un combat contre une dictature qui exige des accords concrets d’unité d’action, en Syrie, sur des objectifs de résistance, de «désobéissance civile» qui fassent obstacle aux affrontements communautaires. C’est ce que les Comités locaux de coordination réalisent avec succès, si l’on prend en compte la durée et les obstacles comme la répression épouvantable auxquels ils s’affrontent.

Le second volet réside dans la traduction de cette résistance en termes de direction politique, au sens d’un organisme qui puisse collecter les diverses énergies de la «désobéissance civile» massive et dispersée, bien qu’ayant conquis une ville après l’autre.

Et ici, réside la faiblesse de cette révolution. En effet, les représentants mis en avant par les médias et les puissances occidentales comme régionales sont, pour l’essentiel, extérieurs à la résistance interne et, y compris, à certains secteurs de réfugiés qui ont trouvé refuge en Turquie, en Jordanie, au Liban… Une politique d’expulsion de la population étant une des armes révélatrices de la tyrannie d’Assad.

Le Conseil national syrien (CNS) est l’expression même de cette faiblesse de direction politique externe au processus, et pas seulement extérieure. Les tendances en son sein ont comme options prioritaires non pas le soutien organisé, massif – sans poser de conditions – à la résistance intérieure, mais la recherche d’appuis divers. Ils vont de la France aux Etats-Unis, en passant par la Turquie et le Qatar ainsi que l’Arabie saoudite. Les intérêts et objectifs de ces «soutiens» se neutralisent en grande partie. Ils répondent à des desseins régionaux qui s’entremêlent à une réorganisation régionale qui est chaotique et incontrôlée. Les vœux du peuple syrien dans son ensemble ne pèsent pas lourds dans leurs calculs. Dès lors, leurs objectifs ne font pas écho aux exigences et aux pratiques de la majorité de la population qui descend dans la rue et affronte, quotidiennement, les chars et les snipers.

En aucune mesure cette carence grave de direction politique – qui n’a pas empêché le maintien de l’insurrection, ce qui constitue le point nodal de toute analyse et choix politique pour une gauche radicale, internationaliste engagée auprès des populations du «monde arabe» et de la lutte du peuple palestinien contre le pouvoir colonial de l’Etat sioniste – ne peut être un prétexte pour ne pas accroître, sous diverses formes, la solidarité avec la population syrienne insurgée. Car, le risque est grand que les traumas infligés à un pays et à sa population, sur la durée, fassent que la société ait toutes les difficultés à se rebâtir et donner corps à une dynamique sociale et politique qui dépasse le moment, impératif, du renversement de la dictature. La solidarité avec la révolution syrienne ne peut être reléguée au second rang. (27 mai 2012)

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[1] C’est la deuxième visite de Kofi Annan en Syrie en trois mois. Les «violences» n’ont cessé de s’accroître en Syrie, malgré la présence de quelque 270 observateurs de l’ONU! Ils ont été incapables de faire respecter le plan de paix, ébranlé par le massacre de Houla, l’un parmi des centaines d’autres. Selon le New York Times (article de Helene Cooper et Mark Landler, 26 mai 2012, «U.S. Hopes Assad Can Be Eased Out With Russia’s Aid»), les Etats-Unis préparent un plan de sortie de crise, qui prévoirait le départ de Bachar el-Assad, un plan calqué sur celui qui a mis fin en février 2012 à la présidence d’Ali Abdallah Saleh au Yémen. Barack Obama devrait proposer ce projet à Vladimir Poutine en juin 2012. Une preuve du complot impérialiste nous diront le commandant Chavez et ses affidés du Net, docteurs ès informations décodées, à la Collon.

[2] Manifestations réprimées à Deraa depuis le 18 mars 2011; en fait la répression avait commencé depuis février, lorsque des enfants de cette région paupérisée furent torturés pour avoir écrit des slogans contre le régime sur les murs

[3] Voir à ce propos le remarquable ouvrage de Frank Dikötter, Mao’s Great Famine, The History of China Most Devastating Catastrophe, 1958-1962, Ed. Walker&Company, New York, 2010. Pour Samir Amin, voir L’avenir du maoïsme, Editions de Minuit, 1981, pp. 65-75.

4 Commentaires

  1. « sur la légitimité irréfutable d’un combat de libération anti-dictatorial. (…) : «Un collègue chirurgien syrien m’a dit: “Etre pris avec un patient, c’est pire que d’être pris avec une arme. C’est la mort pour le patient, et pour moi-même”. Autre constat, les hôpitaux et les structures de soins en général sont ciblés par les forces de sécurité  »
    Oui, les forces de sécurité mentionnées ici sont celles de la Syrie, j’ai coupé. Mais cela nous rappelle le Bahreïn, non ? Ou : devrait nous le rappeler, si nos medias avaient le loisir d’informer.
    Juste pour dire : deux poids, deux mesures, comme souvent lorsque l’intérêt occidental est en jeu. C’est de bonne guerre, sans doute.

    • Oui, cela nous rappelle Bahreïn, où les médecins sont réprimés et emprisonnés. Nous n’entrerons pas dans une comparaison de la barbarie; bien que le clan Assad détienne quelques scores en la matière.
      Quant au deux poids deux mesures de ladite information, c’est une tradition de ladite grande presse des pays impérialistes. Il revient à la presse « alternative » de diffuser plus d’informations sur la répression du pouvoir de Bahreïn (considéré formellement, par la « communauté internationale », comme une monarchie constitutionnelle) contre une majorité de la population, celle qui travaille d’ailleurs, et qui ne peut être caractérisée seulement d’un point de vue religieux: les chiites. Une répression faite avec l’aide des forces de répression de la dictature de la Maison Saoud. Il est vrai que la chaîne TV Al Jazeera en anglais a informé. Voici un exemple d’un dossier intitulé: « Bahrain: Shouting in the dark. The story of the Arab revolution that was abandonned by Arabs, forsaken by the West and forgotten by the world ». Date: 3 avril 2012. Référence: http://www.aljazeera.com/programmes/2011/08/201184144547798162.html
      Que la presse francophone fasse l’effort. Mais il est vrai que la France est en bonne relation avec les Etats du Golfe. Le silence ou demi-silence sur Bahreïn ne peut justifier un « silence » ou une « neutralité » face à ce qui se passe en Syrie.
      Rédaction A l’Encontre

  2. Je crois que le « pouvoir » n’existe pas. C’est une illusion masculine que beaucoup de femmes empruntent. Le pouvoir, si on réfléchit bien, n’est que la projection de son égo dans (un des) le champ social. Cette croyance s’est développée parce que les médias l’ont cultivée.
    C’est une illusion grave. Pourquoi grave ? Parce que les humains investissent un paraître au lieu de travailler au sens de la liberté.
    Nous savons que chacun a vocation à la liberté, nous savons que la liberté est en mesure d’agir au mieux pour la communauté, qu’elle seule peut répondre à l’attente et l’espérance de chacun, elle vit en bonne intelligence avec les autres, elle agit dans un esprit de fraternité.

    • Nous ne partageons pas votre approche. Qu’il existe un pouvoir patriarcal avec ses formes de domination, c’est évident. A ce propos lisez le livre que les Editions Page deux – liées au site alencontre.org – ont publié de Roland Pfefferkorn: Genre et rapports sociaux de sexe, 2012. Mais, vous qui utilisez la notion de « champ », vous pourriez aussi lire le livre de Bourdieu Sur l’Etat, Cours au Collège de France 1989-1992, Seuil, janvier 2012. Aux pages 592-593, Bourdieu écrit: «C’est encore dans le temps long que l’on peut appréhender le travail collectif de construction par lequel l’Etat fait la nation, c’est-à-dire le travail de construction et d’imposition de principes de vision et de division communs, dans lequel l’armée et surtout l’école jouent un rôle déterminant. (Par parenthèse, la construction sociale de la réalité dont il est question ici n’est pas réductible à une agrégation mécanique de constructions individuelles, mais elle s’accomplit dans des champs soumis à la contrainte structurale des rapports de force en vigueur.)» Nous ne partageons qu’une partie de l’approche de Bourdieu sur l’Etat – même si nous le rejoignons dans une partie de sa critique du «marxisme traditionnel» français – mais il pose plus sérieusement la question du pouvoir et de l’Etat que votre brève intervention nous le laisse entendre. Nous sommes beaucoup plus proches, pour ne pas dire plus, du passage du livre d’Alain Bihr dans l’ouvrage publié par les Editions Page deux, Les rapports sociaux de classes, 2012, pp. 79-90, consacré à la liaison entre les rapports de classes et l’Etat. Rédaction A l’Encontre

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