Syrie. Résister à Hatsh; manifester comme acte de résistance…

Des réfugié·e·s syriens déportés sur le territoire même de la Jordanie…

Par le Collectif «Résister avec la révolution syrienne»

Le 4 juillet 2017, la presse indiquait la nomination de la magistrate Catherine Marchi-Uhel à la tête d’un organisme chargé de préparer des actes d’accusation contre les auteurs de crimes en Syrie. Le quotidien Le Monde soulignait (4 juillet 2017): «Les centaines de milliers de pièces à conviction récoltées depuis le début de la guerre en Syrie par des ONG et des organisations internationales vont désormais être centralisées à Genève […].

De son côté, l’Organisation pour l’interdiction des armes chimiques (OIAC) enquête avec l’ONU sur les attaques chimiques en Syrie. A toutes ces preuves s’ajoutent celles collectées par les organisations de défense des droits de l’homme. Dans un rapport diffusé début février, Amnesty International détaille ainsi «l’extermination de masse» de quelque 13’000 Syriens pendus dans la prison de Saidnaya, au nord de Damas, en plus des 17’000 morts des suites de la torture ou de mauvais traitements, selon un autre rapport de l’ONG datant d’août 2016. Ce rapport s’ajoute au terrifiant dossier César, une expertise de photos de 11’000 victimes des geôles de Damas, prises par un photographe de l’armée syrienne qui a fait défection en août 2013. D’autres organisations ont aussi récolté des preuves, comme la Commission internationale pour la justice et la responsabilité, composée d’enquêteurs syriens et d’analystes chevronnés. Depuis 2012, ils sont parvenus à sortir du pays des milliers de documents, notamment des ordres militaires […]. Jamais un conflit n’aura été autant documenté, mais on est loin, pour autant, d’un Nuremberg pour la Syrie. Le Mécanisme créé par l’ONU n’est pas un tribunal et ne pourra donc pas conduire de procès. Mais, après avoir centralisé les pièces, il pourra transmettre des actes d’accusation clé en main, soit à la Cour pénale internationale (CPI), soit à un tribunal spécial sur la Syrie ou aux juges d’instruction de pays européens qui ont lancé des enquêtes. […] Des juristes ont planché sur la création d’un tribunal spécial, mais il implique l’accord du régime syrien et son avenir [sic!] est pour l’heure bouché. […] Faute de tribunal ad hoc et face à l’impuissance de la CPI, victimes et ONG se tournent vers les juridictions européennes. Des dossiers sont ouverts en France, en Allemagne, en Suède, en Autriche, aux Pays-Bas et en Espagne. Début février, une plaignante espagnole d’origine syrienne a ainsi déposé plainte contre les forces de sécurité et de renseignement syriens pour « terrorisme d’Etat », après avoir identifié, dans le rapport César, le cadavre de son frère, mort en prison à Damas en 2013.»

La dite Communauté internationale, au nom du refus d’une situation «d’Etat failli» qui «déstabiliserait» encore plus la région, se dirige vers une reconnaissance ouverte et assumée – déjà existante de facto ou même proclamée pour certains – de la dictature du clan Assad. Une question: sans la Russie, l’Iran et le Hezbollah, «l’Etat des Assad et de leurs mafias» existerait-il encore? En outre, quels seront les «éléments de stabilité» qui se dégageront d’une option où «Bachar serait au centre» – apparemment – d’une transition? Rien d’autre qu’une guerre contre un peuple…

Toutefois, au-delà de ces considérations, accumuler des témoignages, des récits, des preuves dites matérielles, etc. est une tâche importante. Au même titre où continuer à informer sur ce qui se passe en Syrie, donc sur une résistance de survie qui s’exprime de diverses façons, participe d’une solidarité dont la continuité relève d’options politiques et éthiques. Elles traduisent le refus actif d’accepter une dite «situation de fait». Et, dès lors, de se vautrer dans une académique «remémoration des vaincu·e·s», propre aux déserteurs. Une «mode intellectuelle» reprise par ceux et celles qui n’ont aucune connaissance substantielle du contexte réel dans lequel Walter Benjamin a fait usage de cette «formule».

Nous reproduisons ci-dessous des «flashs» du dernier bulletin du Collectif Avec la révolution syrienne. Il rejette l’indifférence et la désaffection adoptées par des «révolutionnaires» qui ont proféré des «analyses» frisant l’escroquerie intellectuelle et politique sur la permanence d’un processus révolutionnaire de masse en Syrie. Ce qui est différent de la référence historicisée faite par ce bulletin de soutien à la «révolution syrienne» et qui tente, au mieux, de donner à voir et à comprendre le sort tragique dans lequel est plongé l’essentiel d’un peuple en Syrie et dans des camps de déportés, parfois emportés par les flammes, comme ce fut le cas au Liban – il y a trois jours – pour le camp situé à la marge du village de Qab Elias, dans la vallée de la Beeka. (Rédaction A l’Encontre)

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La province d’Idlib est tenue en majorité par deux groupes armés islamistes, Hatsh (Hayat Tahrir al-Sham ou HTS, lié à al-Qaida) et Ahrar al-Sham. L’armée syrienne libre est également présente mais de façon très ponctuelle. C’est une réalité qu’il faut mentionner mais sans omettre de souligner également la résistance civile des populations à la présence de Hatsh. Car sinon, c’est faire le jeu de la propagande de Assad et de ses alliés, et tendre à légitimer leurs bombardements.

D’autant plus que les conditions de cette résistance sont plus que difficiles, avec la répression par des islamistes, et les bombes du régime qui continuent à pleuvoir sur la région. Cette résistance peut être individuelle: ainsi en mai, Abu Tow (ancien combattant de l’ASL), fut enlevé quelques jours, pour avoir notamment pris et diffusé une photo de lui en train de fumer devant un panneau de Hatsh interdisant de fumer. Début juin 2017, un lieutenant de l’ASL expliquait clairement: «Al-Qaida détruit toutes les zones dans lesquelles il passe. Son idéologie ne peut pas construire, mais seulement tuer et détruire.»

La résistance collective et civile prend souvent la forme de manifestations ou de mouvements: pour empêcher le contrôle d’une zone par Hatsh (comme à Maarat al-Noman), contre les combats entre factions, pour imposer le drapeau de la révolution, pour permettre aux femmes de continuer à travailler, aux journalistes d’enquêter… En janvier 2017, la ville d’Idlib, contrôlée depuis 2015 par Ahrar al-Sham et Hatsh, a organisé l’élection de son premier conseil local, évacuant ainsi les combattants de ces groupes de la gestion administrative de la ville.

Manifester, un acte de résistance

Rassemblant de quelques dizaines à plusieurs centaines de personnes, les manifestations se poursuivent en Syrie, souvent les vendredis. Bien que le nombre de manifestants soit sans rapport avec la situation de 2011, la tenue de telles manifestations, au vu de la répression quotidienne et de la lutte pour la survie au quotidien dans nombre de localités, doit être soulignée. Elle témoigne que le cœur de la révolution continue de battre.

Les slogans des manifestations suivent généralement l’actualité, et l’on observe souvent des slogans de soutien entre villes et régions lorsque l’une d’entre elles est plus touchée par un conflit en cours.

Ainsi en avril, les deux semaines suivant le massacre aux armes chimiques à Khan Cheikhoun, les manifestants ont témoigné de leur solidarité avec les victimes de ce massacre et dénoncé les crimes de Assad et des Russes (à Atareb, Maarat al-Noman, Douma, au sud de Damas…). Puis, face aux bombardements (russes notamment) ciblant nombre d’hôpitaux, les slogans ont dénoncé, fin avril et début mai, ce ciblage systématique.

La semaine du 17 avril, jour de l’indépendance de la Syrie, célébrant la libération en 1946 du joug français, nombre de slogans appelaient au départ des troupes d’occupation, iraniennes notamment. La première quinzaine de mai, face aux combats entre factions armées, dans la Ghouta Est de Damas, nombre de manifestations ont vu le jour dans toute la Syrie demandant l’arrêt de ces combats, l’unification des brigades. En outre, les négociations «intersyriennes» (à Astana et à Genève) sont souvent dénoncées.

En parallèle, les manifestants ne cessent de rappeler leur objectif: la chute du régime. Et la lutte à mains nues contre Hatsh (lié à al-Qaida) se poursuit, comme en janvier à Atareb lorsque ce groupe a voulu prendre le contrôle de la boulangerie principale, ou en juin à Maarat al-Noman.

Rôles des groupes civils à Atareb

Dans les zones libérées, la vie civile est structurée par les Conseils locaux (jouant le rôle de mairies), mais aussi par des groupes civils de militants, dont les actions sont très diverses. Par exemple, à Atareb, une ville de 40 000 habitants située dans le gouvernorat d’Alep, on dénombre une dizaine de groupes civils de 10 à 25 militants.

Les militants montent un projet puis cherchent son financement par une ONG (nombre de militants sont bénévoles). Les projets sont divers et durent entre trois et six mois. Six projets sont actuellement en cours à Atareb, avec pour thèmes et objectifs de : soutenir les jeunes et formuler des propositions pour la société civile ; arrêter les conflits sociaux (entre familles notamment) en amenant les gens à se réunir ; former les femmes au numérique et leur apporter une meilleure connaissance de la société civile ; former à la notion de « citoyenneté » ; construire la confiance entre les civils et les membres de la Police Libre ou du Conseil local (par de multiples réunions avec les civils pour expliquer leur rôle).

Il faut savoir que sous le régime d’Assad, la «société civile» n’existe pas: nombre de services publics ou postes ne sont accessibles que grâce à des relations politiques ou nécessitent des rétributions financières. Par conséquent dans les zones libérées, certaines habitudes amènent des habitants à reproduire ces schémas, comme n’offrir des services qu’à ceux qui sont pour la révolution (et pas à ceux qui sont contre). Ainsi, derrière les réflexions autour des notions de «citoyenneté»  et de «société civile» notamment, se trouve la volonté de construire une société où les services soient accessibles à chacun, quels que soient leur opinion politique, religieuse, et leur niveau de vie.

Vivre assiégé, à l’Est de Damas

Entre 350’000 et 380’000 hommes, femmes et enfants vivent dans la Ghouta-Est, une banlieue populaire de Damas, et sont assiégés par le régime depuis 2013. En 2016, Assad avec ses alliés ont repris toute la campagne agricole qui était reliée à la Ghouta-Est, privant ainsi la zone assiégée de sa principale ressource alimentaire et obligeant nombre de familles d’agriculteurs à se réfugier dans la Ghouta-Est, et à perdre leur travail. En mai 2017, Barzeh et Qaboun, qui étaient reliés à la Ghouta-Est par des tunnels, ont également été repris. Depuis, l’entrée dans la Ghouta se fait au niveau d’un seul check-point, contrôlé par le régime, et la taxe sur les transferts d’argent dans la Ghouta a atteint 25% pendant deux mois (obligeant associations et habitants à vivre sur leurs réserves); en juin elle était de 9% (contre 2% début 2016). A cela s’ajoutent des prix plus élevés dans la Ghouta, et l’impossibilité fréquente de trouver de la nourriture, du fioul, des médicaments… car le régime ouvre rarement le check-point (il peut le fermer un mois, puis l’ouvrir un jour, rendant les situations très imprévisibles).

Malgré le siège et les bombardements, un Conseil local fonctionne depuis 2013 dans chaque ville et village de la Ghouta, jouant un rôle analogue à une mairie: distribution de l’eau, registre d’état civil, de ventes de biens… Ses services dépendent de l’intensité du siège et des bombardements. Par exemple, l’eau provient de puits, mais elle ne peut être puisée par pompe à moteur que si du fioul est disponible et à prix accessible. Ces Conseils sont financés par les activistes et sont constitués de membres élus (diplômés et non diplômés). La cinquantaine de Conseils locaux est regroupée dans une Administration des Conseils Locaux qui aide à leur coordination. Dans les grands Conseils locaux, on trouve des bureaux des femmes qui s’occupent de la mise en place de projets des militantes (comme apprendre un métier, connaître ses droits…). En outre, des associations interviennent dans le domaine éducatif, psycho-social, médical, la formation professionnelle des femmes, la distribution de nourriture. Leur financement et fonctionnement sont instables, ils dépendent d’ONG et de l’intensité du siège.

Ils déportent

Depuis 2011, les bombes et la répression du régime de Assad ont entraîné le déplacement de 11,3 millions de Syriens, soit plus de 50% de la population de 2011 (avec 5 millions d’exilé·e·s et 6,3 millions de déplacé·e·s en interne).

Parmi ces déplacés, environ 100 000 ont été déportés : il s’agit de femmes, d’hommes et d’enfants qui vivaient dans des zones ayant subi un siège et des bombardements très intenses, à la suite de quoi des «accords de réconciliation locale» ont été imposés par le régime et ses alliés aux groupes armés.

Ce nombre ne prend en compte que très partiellement le nombre de personnes touchées par un siège et des bombardements intenses car nombre d’entre elles ont souvent fui avant «l’accord» de déportation. Par exemple à Alep, le siège imposé en août 2016 sur les quartiers Est a touché plus de 250’000 personnes pendant plusieurs mois. Mi-décembre, «seules» 40’000 personnes, restaient et elles ont été déportées.

Le premier «accord de transfert» a vu le jour en mai 2014, à Homs, après deux ans d’encerclement, de famine et de bombardements systématiques des populations. Mais c’est depuis l’été 2016 que cette politique de déportation est devenue systématique, avec plus de 92’000 déportés en moins de 10 mois: plusieurs localités dans la banlieue et la campagne de Damas ont été évacuées (comme Daraya, après 4 ans de siège intense, et 90% de l’infrastructure détruite, la vallée du Barada, les Quartiers de Barzé et Qaboun), le quartier d’al-Waer à Homs (avec plus de 21’000 personnes déportées évacuées entre mars et mai 2017), d’autres localités plus éparses (Sahnaya, Moadhamiyat, Madaya…).

Des déplacements qui entraînent, en plus de tous les traumatismes, une destruction totale du tissu social et civil. Des déplacements forcés interdits par nombre de textes nationaux et internationaux… sur le papier. Des déplacements qui se sont même parfois faits sous le regard « observateur » de l’ONU; l’ONU dont l’aide humanitaire n’est quasiment jamais arrivée jusque dans ces zones assiégées. (Source: Collectif Avec la Révolution Syrienne dont sont membres: Alternative Libertaire, Cedetim, Emancipation, Ensemble, Forum Palestine Citoyenneté, L’Insurgé, NPA, UJFP, Union syndicale Solidaires)

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