Les combats font rage dans les zones les plus peuplées de la ville. La coalition internationale multiplie les raids aériens en soutien aux forces arabo-kurdes au sol. Et les habitants qui tentent de fuir sont froidement exécutés par les djihadistes.
Témoignages. Après avoir survécu à la terreur du califat, les 20 000 à 30 000 habitants toujours retenus dans le dernier réduit de Raqqa vivent sans doute l’épisode le plus tragique en trois années d’occupation de Daesh. Lancé le 6 juin dernier par les Forces démocratiques syriennes (FDS), appuyées par la coalition internationale, l’assaut contre la capitale de l’organisation «Etat islamique» est entré dans sa phase finale. «L’étau se resserre de plus en plus sur les civils. Près de 30 000 personnes sont désormais coincées dans trois quartiers et au fur et à mesure que les FDS avancent cette densité augmente», souligne Fourat, un habitant de Raqqa réfugié à Tabqa, joint par téléphone. «L’appartement qui comptait une ou deux familles en compte désormais cinq, d’où la hausse tragique du nombre de victimes civiles», déplore-t-il.
Les batailles les plus proches de la libération sont, en effet, aussi les plus cruelles. Selon l’Observatoire syrien des droits de l’homme (OSDH), 167 civils ont péri entre le 14 et le 23 août. Jeudi, Amnesty International dénonçait la prise au piège des civils dans un «labyrinthe de la mort», «sous le feu de toutes parts», appelant à la création d’un mécanisme d’enquête indépendant et impartial pour examiner les informations sur les victimes civiles. Dans son rapport, l’organisation critique les méthodes d’enquête de la coalition menée par les Etats-Unis et dénonce une mauvaise coordination des forces aériennes avec les combattants de l’alliance arabo-kurde au sol.
Les habitants de Raqqa évoquent, quant à eux, un bilan encore plus lourd. «130 personnes, toutes des civiles, ont trouvé la mort ces deux derniers jours, 77 raids aériens et plus de 500 mortiers s’étant abattus sur les quartiers tenus par Daesh. Il y a encore 300 combattants à l’intérieur de la ville, pourquoi bombardent-ils autant?» s’insurge Fourat. «J’ai des amis et des proches qui sont toujours à l’intérieur. Il n’y a pas de mots pour décrire leur vécu au quotidien. Ils vivent sans pain depuis un mois, et manquent d’eau et d’électricité depuis plusieurs mois (…)», raconte quant à lui Abdel Aziz, également originaire de Raqqa. «Quant aux civils tués, ils sont enterrés dans des jardins, des champs ou dans les maisons parce que les cimetières sont en dehors de la ville. Les messages qu’ils nous envoient quand ils peuvent le faire sont: si vous voulez nous aider, priez pour qu’on meure le plus vite.»
Pour les habitants, tenter de fuir relève désormais de la pure folie. Mais rester l’est tout autant. «Daesh utilise les civils comme boucliers humains. Personne n’a le droit de sortir. Ceux qui ont tenté de fuir ont été exécutés sur-le-champ parce qu’ils sont considérés comme des traîtres et des apostats. Récemment, les membres de deux familles, dont une à Mafrak el-Jazra, à l’ouest de la ville, ont été froidement exécutés par balles», raconte Fourat.
Depuis le lancement de l’offensive, de nombreux civils étaient parvenus à s’échapper par bateau de la rive nord en traversant l’Euphrate. Mais cette voie n’est plus aujourd’hui praticable. «Les gens sont bombardés par la coalition dès qu’ils arrivent aux abords du fleuve», assure Fourat.
L’ONU a réclamé jeudi une «pause humanitaire» dans les combats pour permettre aux dizaines de milliers de civils de quitter la ville en sécurité. L’organisation a appelé la coalition sous commandement américain à faire en sorte que ses frappes épargnent les habitants qui tentent de fuir.
«C’est une mascarade, une honte, une insulte aux droits de l’Homme. Ils veulent améliorer l’image de la communauté internationale et de la coalition occidentale. Qu’ils arrêtent de bombarder par cordes et de tuer des innocents!» s’indigne Abdel Aziz. «Aucune ONG n’a essayé de rentrer jusqu’à présent. Ils disent vouloir ouvrir des couloirs humanitaires alors qu’il fallait le faire il y a longtemps. Ils ont attendu qu’il y ait des centaines de morts!» dénonce-t-il, désespéré. (Le Soir du 25 août 2017)
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