Syrie: massacres et défection

Réfugiés au Liban. Souvent les hommes ont été capturés.

Par la rédaction de A l’Encontre

Le vice-ministre syrien du Pétrole, Abdo Hussameddine, a annoncé dans la nuit du mercredi 7 au jeudi 8 mars 2012 sa défection. Dans un message vidéo publié sur Internet, il dénonce la «brutalité» du régime de Bachar el-Assad. L’ancien ministre, passé dans la clandestinité pour sa sécurité, a également appelé les autres membres du gouvernement à abandonner «un bateau qui coule», disant ne pas souhaiter terminer sa vie «au service d’un régime criminel». Il est le premier responsable gouvernemental syrien à rejoindre les rangs de l’opposition. Burhan Ghalioun, président du Conseil national syrien (CNS), principale instance de l’opposition à l’extérieur – marquée par des divergences internes et pas de leadership clair –, a salué cette défection. Il a lancé un appel aux membres du gouvernement et aux fonctionnaires à suivre l’exemple de Abdo Hussameddine. La répression massive et d’une brutalité extrême exercée par les forces armées du clan Assad se «conjugue» avec des failles dans l’appareil gouvernemental.

Cette «défection» en est un signe. Au-delà du passé politique de Abdo Hussameddine, de ses intentions présente et des liens qu’il peut avoir avec des pays opérant dans le cadre de ce soulèvement (afin de jouer leurs propres cartes), sa défection ne peut être minimisée, comme fait et symbole. [1]

Le régime s’affronte à une insurrection qui ne peut être écrasée qu’au prix d’une destruction d’une grande partie pays; une donnée qui, à elle seule, suffit à caractériser le système en place et son évolution. Après Homs, ce 8 mars 2012, l’armée accentue ses bombardements sur la ville de Rastane, située à une vingtaine de kilomètres de Homs. Le pilonnage a commencé depuis quelques semaines. Une partie de la population a été contrainte de fuir la ville. La journaliste de RFI à Beyrouth a recueilli le témoignage suivant d’un jeune homme qui se fait appeler Saher: «Les gens de Rastane ont fui dans les environs de la ville, vers les fermes alentour. Ils ont commencé à bombarder ces endroits. Deux familles entières ont été décimées. La famille Ayoub et Moussa Mansour. Des enfants sont morts, ils étaient âgés de 4 à 6 ans.»

 Dans un tel contexte, des forces dites de gauche tiennent, en Amérique latine et en Europe, le discours suivant: «Il faut arrêter cette escalade dangereuse.» Autrement dit, les terroristes d’Etat – le régime d’Assad et ses «forces de sécurité» – sont mis sur le même pied que de vastes masses populaires qui luttent, depuis plus d’un an, contre une dictature féroce qui n’hésite ni devant les massacres, ni devant la torture généralisée, entre autres exercée dans les hôpitaux.

Le soutien inconditionnel à ce soulèvement – au-delà des débats et critiques que l’on peut reprendre de certaines forces syriennes qui posent de nombreuses questions sur les relations établies entre le CNS et des forces occidentales ou régionales – est un impératif. Plus le silence et l’inaction, au même titre que l’absence d’un soutien concret, de ladite gauche des pays impérialistes seront monstrueux, plus la voie sera laissée libre aux forces politiques et régionales qui cherchent à placer leurs pions, qu’ils soient politiques et/ou matériels.

Leon Panetta, le secrétaire américain à la Défense – accompagné du chef d’état-major interarmées, le général Dempsey –, a exposé devant la commission des forces armées du Sénat des Etats-Unis la position de l’administration Obama. Sur le fond, face aux critiques des républicains – le sénateur John McCain est favorable à des «frappes aériennes» –, Panetta a exprimé la crainte qu’une intervention militaire, dans un «climat de guerre civile», loin d’améliorer la situation, ne l’aggrave. Il est évident que la carte impérialiste est la suivante: faire des déclarations «humanitaires»; compter sur un certain épuisement de l’insurrection populaire; engager une alliance avec des secteurs de l’opposition – qui est trop fragmentée et peu contrôlable pour l’heure – ainsi (et surtout) qu’avec des fractions de l’appareil d’Etat actuel (secteurs des forces militaires et policières, secteurs économiques et administratifs) pour tenter d’assurer «une transition» à la Yémen, pour faire une analogie qui a, par définition, ses limites.

Nous publions ci-dessous une traduction d’un article du quotidien britannique The Guardian, datant du 5 mars 2012, qui n’hésite pas à utiliser des formules telles que la «pression internationale maximale». Le style même de cet article d’agence révèle un discours qui renvoie à la stratégie explicitée ci-dessus!  

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Des réfugiés syriens qui fuyaient lundi vers le Liban voisin ont raconté qu’ils avaient craint d’être massacrés dans leurs propres maisons quand les forces gouvernementales pourchassaient les opposants dans leur brutale offensive contre Homs, bastion de l’opposition.

Des militants ont accusé le régime de chercher à cacher au monde ses crimes alors que l’armée abat toute sa force sur les insurgés contre le régime dans ce soulèvement qui se déchaîne maintenant depuis presque une année.

Comme la pression du monde est aujourd’hui maximale, le régime syrien a accepté d’autoriser l’entrée dans le pays de deux éminents émissaires internationaux à qui il avait fermé la porte jusqu’à présent – l’ancien secrétaire-général des Nations Unies Kofi Annan, nouvel envoyé spécial en Syrie, et la responsable humanitaire de l’ONU, Valerie Amos. Annan ira à Damas samedi 9 mars et Amos a déclaré qu’elle arrivera à Damas mercredi 7 mars et repartira vendredi 9 mars [ce jeudi 8 mars elle a déclaré que la situation était «catastrophique»].

Valerie Amos a déclaré que l’objectif de sa visite est «d’insister auprès de toutes les parties pour qu’elles permettent un accès sans obstacles du personnel des agences de secours humanitaires afin qu’elles puissent évacuer les blessés et amener les approvisionnements essentiels».

L’administration Obama a ajouté la télévision et la radio d’Etat syriennes à une liste de sanctions qu’elle établit – une partie de ses efforts pour bloquer les avoirs syriens aux Etats-Unis. Le responsable des sanctions au Département du Trésor, Adam Szubin, a déclaré que l’Organisation générale syrienne de la radio et TV a «servi au régime syrien d’arme pour monter des attaques de plus en plus barbares contre sa propre population tout en cherchant à la fois à masquer et légitimer sa violence».

Szubin a déclaré que toutes les institutions qui soutiennent le «comportement répugnant» du gouvernement du président Bachar el-Assad «seront ciblées et coupées du système financier international».

Le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés a communiqué, lundi 5 mars, que jusqu’à 2000 Syriens avaient franchi la frontière libanaise durant les deux jours précédents. Dans le village frontalier libanais de Qaa sont arrivées des familles avec des mères d’enfants en bas âge qui n’avaient pour tout bagage que des sacs en plastique contenant quelques objets personnels.

«Nous avons fui les bombardements d’artillerie et les attaques», a déclaré Hassana Abou Firas. Elle est arrivée en même temps que deux familles qui avaient fui le bombardement d’artillerie frappant leur ville, Al-Qusair, à environ 14 milles (22 km), de l’autre côté de la frontière syrienne.

C’est une ville de la province de Homs, là où depuis un mois le gouvernement mène une offensive brutale.

«Que sommes-nous censés faire? Les gens restent assis chez eux et ils nous tirent dessus de leurs chars», dit-elle. «Ceux qui peuvent fuir, fuient. Ceux qui ne peuvent pas vont mourir cachés chez eux.»

Bien que le gouvernement ait promis la semaine dernière de permettre à la Croix-Rouge d’entrer dans le quartier le plus durement frappé de Homs, Baba Amr, les forces militaires du régime ont invoqué des préoccupations de sécurité pour refuser de laisser entrer les équipes humanitaires. Lundi, la Croix-Rouge déclarait qu’elle avait reçu une nouvelle permission d’entrer, mais que le lock-out continuait.

Les militants disent que des centaines de personnes ont été tuées durant l’offensive contre Homs qui dure depuis un mois. L’ONU a récemment fixé à 7500 le prix en vies humaines de l’année de violence en Syrie. Les militants, eux, disent que le chiffre a déjà dépassé les 8000.  (Traduction A l’Encontre)

[1] En date du 9 mars 2012, le quotidien Le Monde indique: «Quatre généraux ont déserté pour rejoindre l’insurrection qui combat le régime de Bachar Al-Assad, ont annoncé jeudi 8 mars deux groupes rebelles. Ces militaires hauts gradés ont gagné un camp dans le sud de la Turquie qui regroupe des déserteurs, explique le lieutenant Khaled Al-Hamoud, porte-parole de l’Armée libre syrienne (ASL). Leur identité n’a pas été révélée, et ils sont entendus par les autorités turques.

D’après la même source, ce sont sept généraux de brigade qui ont en tout déserté les rangs de l’armée régulière. Le grade de général de brigade est le cinquième plus haut dans la hiérarchie militaire syrienne. “Nous avons six généraux de brigade qui sont désormais en Turquie et un autre, qui est resté en Syrie pour commander des bataillons”, a déclaré Hamoud. “Nous allons former un conseil consultatif pour incorporer ces généraux, mais aussi tous les déserteurs de haut rang, et ce groupe va mener des opérations pour le compte de l’ASL”, a-t-il poursuivi.»

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