Par Benjamin Barthe
Le 24 février 2016, le New York Times consacrait un article sur le choix effectué par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) concernant la composition d’une équipe d’experts devant enquêter sur la santé mentale des populations contraintes de se «déplacer» suite à la guerre. L’OMS engagea une personne dont l’expertise en la matière se résumait au fait d’être la femme du vice-ministre des Affaires étrangères du régime et partisan farouche de la politique répressive et militaire du régime. Il s’agissait de Shukria Mekdad, la femme de Faisal Mekdad.
Des experts réputés ont dénoncé ce choix, entre autres Jennifer Leaning de la Harvard T. H. Chan School of Public Health. Elle a souligné que cette «sélection» ne pouvait que jeter la suspicion sur toutes les «données que Madame Mekdad réunirait sur la santé mentale des Syriens déplacés sous les effets d’une guerre que son mari aidait à mettre en œuvre». La responsable de l’OMS à Damas, Elizabeth Hoff, a défendu son option, en argumentant que dans son équipe travaillaient aussi des personnes proches de l’opposition.
L’OMS et d’autres agences de l’ONU sont très souvent mises en cause pour une raison élémentaire: elles n’agissent pas dans un pays sans la bénédiction du gouvernement. Ainsi, les «services de sécurité» syriens – avec plus d’une fois l’aide du Croissant-Rouge syrien – n’ont cessé de s’opposer à la distribution de médicaments et de denrées alimentaires auprès des populations assiégées. Le responsable de l’ONU pour l’acheminement de l’aide d’urgence en Syrie, Stephen O’Brien, a dénoncé, à maintes reprises, les «obstacles» placés par le régime d’Assad aux livraisons de biens (médicaments, aliments, appareils médicaux, etc.), ce qui provoque la mort de dizaines de milliers de personnes.
La livraison à Daraya, le jeudi 9 juin 2016, par l’ONU d’eau, d’aliments et de médicaments a été annoncée par tous les médias. Si ce n’est que cette ville rebelle, assiégée depuis 2012 et qui comptait 100’000 habitants, n’a reçu des «portions» que pour un total de 2400 personnes. Alors que le Comité de local déclare avoir en charge 8000 personnes. Et Le Monde, du 10 juin 2016, soulignait que «d’intenses raids aériens du régime syrien ont empêché vendredi 10 juin la distribution des vivres contenus dans le tout premier convoi de nourriture à entrer dans la ville de Daraya, située à 10 km au sud-ouest de Damas».
Pendant ce temps, la responsable de l’OMS à Damas, Elizabeth Hoff, démontrait un sens des priorités ayant trait à la santé de la population syrienne: la lutte contre le tabagisme. (Rédaction A l’Encontre)
*****
Les Syriens d’Alep et d’ailleurs, bombardés, assiégés et affamés depuis plus de cinq ans, sont priés d’arrêter de fumer. Il en va de leur santé et de leur avenir. La consigne émane de la très sérieuse Organisation mondiale de la santé (OMS), une agence des Nations unies basée à Genève. Le 1er juin, à l’occasion de la journée mondiale sans tabac, sa représentante en Syrie, Elisabeth Hoff, a souligné, « nonobstant la crise actuelle », l’urgence de réduire la consommation de cigarettes et de narguilés parmi la population, notamment les jeunes, les femmes et les écoliers.
A propos de la pipe à eau ou « chicha », l’un des passe-temps favoris des habitants du Proche-Orient, la fonctionnaire a affirmé que son usage est « vingt fois plus nocif » que celui des cigarettes, et que ses utilisateurs encourent les mêmes types de risques, comme le cancer des voies respiratoires.
Dans son intervention, la très zélée Mme Hoff, installée comme tous ses confrères onusiens à Damas, le cœur névralgique du régime Assad, a pressé le gouvernement d’imposer le principe de l’emballage neutre pour les paquets de cigarettes. « Pour réduire l’attractivité et le glamour d’un produit qui tue 6 millions de personnes par an », prêche-t-elle. Sans un mot pour les raids de l’aviation syrienne, beaucoup moins « glamour », et qui, depuis la fin avril, fauchent entre quinze et cinquante vies par jour à Alep.
Un convoi humanitaire sans nourriture
Le communiqué de l’OMS, résumant les propos tenus par son émissaire, fait également mention d’une déclaration du ministre adjoint de la santé syrien. Sous le regard de Mme Hoff, Ahmed Khlefawy a réitéré la détermination de son gouvernement à décourager la consommation de tabac. « La crise actuelle ne doit pas servir d’excuse aux Syriens pour mettre en danger leur vie », a sermonné le médecin.
Le même jour, peut-être à la même heure, à quelques kilomètres de là, les affamés de Daraya, une banlieue de Damas, découvraient que le premier convoi d’aide humanitaire à leur parvenir depuis quatre ans contenait du shampoing anti-poux et des moustiquaires, mais pas de nourriture…
Jeudi 9 juin, un chargement alimentaire est finalement arrivé dans la localité encerclée. De quoi nourrir les habitants pendant quelques semaines, mais sûrement pas de quoi apaiser leurs rancœurs et celles d’une grande partie des Syriens à l’égard de l’ONU. Ses agences, concentrées à Damas, sont accusées d’être détachées de la réalité et manipulées par le pouvoir syrien, qui décide seul de ce qu’elles peuvent et ne peuvent pas faire. L’insoutenable légèreté du communiqué de Mme Hoff apporte une nouvelle pièce au dossier. (Article publié dans le quotidien Le Monde, le 10 juin 2016)
Soyez le premier à commenter