Régions kurdes aux environs d’Alep: la libération, les partis et les difficultés du quotidien

Manifestation de jeunes Kurdes à Kobani (Ayn Al-Arab)

Publié (en arabe) sur le site Damascus Bureau

En déambulant dans les quartiers de Kobani (Ein Al Arab) dans la région d’Alep on distingue trois drapeaux dans les rues: celui du Kurdistan, celui du Parti de l’union démocratique (PYD), ainsi que celui de la révolution syrienne. Les symboles du pouvoir syrien ont en effet disparu depuis que celui-ci a retiré ses membres de la sécurité et ses hauts fonctionnaires des régions à majorité kurde autour d’Alep au mois de juillet dernier.

Mostapha Habib, paysan (57 ans), nous indique l’ancien siège du parti Baath transformé en entrepôt de livres avant le départ des forces de l’ordre. Il est assis au bord de la fontaine qui se trouve devant le bâtiment et se confie: «Depuis le début de la révolution, j’espérais et je rêvais de la libération de toute la Syrie et de Kobani en particulier, je rêvais que la ville soit gérée par ses habitants.» Ce bâtiment est maintenant entre les mains du PYD, présidé par Jamal Al Sheikh Baqi, qui s’est réparti le contrôle des bâtiments de l’Etat avec les autres partis kurdes.

«Tous les services de la sécurité de Kobani ont été chassés, la ville s’est ainsi libérée du régime baathiste, non parce que la région a été livrée aux Kurdes par le régime comme prétendu ici ou là, mais sous la pression populaire des habitants en raison de ce que subissent nos frères syriens dans les autres villes», d’après Kaylo Issa (42 ans), un des dirigeants du parti dans cette ville. «Il n’y avait à Kobani ni armée régulière, ni armée libre; il n’y avait que les Services de sécurité qui ont été évacués.»

Le PYD a évité de détruire les infrastructures de l’Etat de la ville: «Pendant le soulèvement de Mars 2004, nous avons fait la grande erreur de brûler les bâtiments de l’Etat… et pour ne pas reproduire cette erreur nous avons tenté de maîtriser la situation face au vide sécuritaire créé par l’absence des autorités.» Les dirigeants des autres partis kurdes nous ont confirmé cette position de retenue.

«A la libération nous avons chassé tous les baathistes…, nous avons seulement gardé les baathistes fonctionnaires de certaines structures de l’Etat pour que la vie continue son cours», affirme Ismail Kanjo, membre du bureau politique du Parti de Gauche kurde de Syrie. «Même ceux originaire d’autres régions de Syrie nous les avons laissés à leur poste, excepté les membres de la sécurité et de la police qui ont dû quitter Kobani», ajoute Kanjo.

Mais combler le vide laissé par le gouvernement syrien fait ressortir les sensibilités entre les différents groupes politiques. La tension est palpable entre le Parti de l’union démocratique (PYD), lié au PKK, et le reste des partis qui l’accusent de «courtiser» le pouvoir syrien – selon l’expression de Issa qui avoue que c’est le parti le mieux organisé et le plus armé.

Le désaccord avec ce parti concerne également les groupes de jeunes pacifistes, selon l’activiste Zana Kobani qui évoque des accrochages avec jets de pierres et même à l’arme blanche avec des membres du PYD, en raison des différends sur l’organisation des manifestations. «Ces dissensions ont baissé d’intensité depuis la formation du Haut Comité kurde… nous vivons actuellement une sorte de trêve», d’après l’activiste. Ce comité réunit des représentants du Parlement de l’Ouest du Kurdistan, l’une des organisations du PYD, et d’autres du Conseil national kurde qui regroupe la plupart des autres partis kurdes. «Nous organisons nos manifestations de notre côté, et eux du leur, en nous évitant pour ne pas provoquer de confrontation et pour préserver la paix de Kobani», ajoute-t-il.

Le promeneur se rend vite compte de l’étendue de l’influence de ce parti. Les bâtiments que le PYD contrôle et sur lesquels il a érigé son drapeau sont: le nouveau bâtiment du parti Baath, la prison Centrale dont les prisonniers ont été évacués, le commissariat Central, les deux centres de la Sécurité militaire et de la Sûreté aérienne, le Bureau de la Sûreté de l’Etat, ainsi que les logements des officiers.

L’avocat Mohamad Ali Temmo (43 ans) nous révèle qu’alors que les combattants du PYD prenaient possession du tribunal et y érigeaient leur drapeau, les magistrats ont refusé d’y exercer. Le parti a dû enlever sa bannière pour que les magistrats acceptent de reprendre leurs activités; «au détail près que les vrais procès n’ont désormais plus lieu au tribunal, mais se font sous le contrôle du PYD avec l’accord du reste des partis», selon Temmo.

Par ailleurs l’absence des pouvoirs sécuritaire et judiciaire a abouti au renouveau des plantations de cannabis dans la région, traditionnellement présentes à Kobani et ses alentours comme dans le reste de la région d’Alep. «Après la libération de Kobani les partis kurdes ont tenté de maîtriser ce phénomène, mais cela reste compliqué et requiert une force militaire dont les partis ne disposent pas, d’autant que la récolte est déjà terminée à cette période de l’année», d’après Ismael Kanjo. Il fait partie des rares personnes à avoir accepté d’aborder ce sujet sensible avec nous. «L’ironie est qu’à la libération du Bureau de la Sûreté de l’Etat nous avons trouvé des cultures de cannabis dans le bâtiment lui-même!» Kanjo ajoute que les forces locales ont constitué des comités villageois pour remédier à ce phénomène à l’avenir.

Quand nous nous penchons sur la situation économique de Kobani, nous comprenons les raisons du développement de la culture du cannabis: la ville souffre d’un manque très fort des denrées essentielles, en raison de la fermeture du passage frontière avec la Turquie qui s’ajouta aux communications avec Alep, entravées par les combats autour de la métropole.

Samer (25 ans) s’assoit devant le poste de télévision du magasin de matériel électrique dans lequel il est employé pour suivre les informations. Son visage est marqué par l’inquiétude: «Le stock de produits du magasin est en train de tarir. Il n’y a plus rien à Kobani. Nous obtenons un peu de matériel électrique qui nous vient de Turquie a travers le poste frontière de Jarabloss contrôlé par l’Armée libre. Mais nous ne savons pas ce que nous réserve l’avenir.»

La situation des denrées alimentaires n’est pas meilleure que celle des produits électriques. Hamza (40 ans) nous explique, assis dans son épicerie aux étagères seulement pourvues de quelques boîtes de thon, sardines et de mouchoirs: «Plus rien ne nous arrive d’Alep, une provenance essentielle pour notre approvisionnement, sachant que Kobani n’a aucune industrie en raison de la politique discriminatoire du régime syrien envers les Kurdes.» Il poursuit: «Nous comptons exclusivement sur les produits stockés dans les entrepôts, mais nous ignorons jusqu’à quand nous tiendrons avec la quantité qu’il nous reste ou quand la situation d’Alep évoluera; les prix s’envolent… si la situation reste telle qu’elle est plusieurs mois… nous aurons tout consommé et nous n’aurons plus rien.»

La fermeture de la route d’Alep et la pénurie des matériaux de base vont provoquer une grave crise, selon Najm Al Din Kayyat (48 ans), membre de la Commission de travail mise en place par le Haut Comité kurde à Kobani: «Certaines aides nous proviennent de la région de Raqqa, mais nous connaissons une augmentation des habitants de 25% avec l’arrivée des réfugiés, les besoins se sont accrus. La farine nous parvient de Jarabloss, après un accord avec l’Armée libre, mais nous ignorons jusqu’à quand nous pourrons en bénéficier puisque la farine manque maintenant aussi à Alep. C’est pour cela que le Haut Comité kurde, en collaboration avec les organismes de la société civile de Kobani se sont mis en relation avec le Croissant-Rouge pour assurer les denrées alimentaires et médicales.»

Les problèmes de survie sont identiques à Afrine, a l’extrême nord-est d’Alep à la frontière avec la Turquie et qui est sous le contrôle total du PYD. «La pénurie de médicaments et de farine a commencé comme à Alep. Pour cette raison les habitants tentent de construire des moulins pour pouvoir profiter de la farine produite localement afin de continuer à faire du pain», selon Dal Chir (23 ans), membre de la Coordination des Frères Kurdes.

Les habitants de la région de la Jazireh (Mésopotamie), d’origines plus diverses que celles autour d’Alep, se plaignent des mêmes problèmes de pénurie des denrées essentielles.

A Qamishliy, les forces de sécurité sont restées et les affrontements et les tensions ont disparu à l’exception de l’attentat du 30 septembre dernier. Pourtant cette région souffre de la même pénurie à cause de la fermeture des postes frontières avec la Turquie ajoutée à la situation critique d’Alep. «Il y a une cherté de la vie importante et une pénurie de nourriture», d’après l’activiste Mirane Achti (27 ans) originaire de Qamichly. Il ajoute: «Le Haut Comité kurde cherche maintenant des solutions alternatives pour assurer l’approvisionnement de la région notamment à travers le Kurdistan irakien ou à travers la frontière turque.» (Traduit de l’arabe par Jihane Al Ali pour le site A l’Encontre; source: http://damascusbureau.org/arabic/?p=3052)

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