Israël-Palestine. Une attaque par les colons du village palestinien de Mufagara. Une illustration des pratiques de colonisation

Par Yuval Abraham et Basil al-Adraa

«Tout d’un coup, j’ai entendu des éclats de verre brisé, puis tous les enfants qui criaient depuis l’autre pièce. J’ai couru jusque-là. La tête de Muhammad était blessée, il saignait allongé sur le sol. Il a trois ans. Et les colons étaient toujours dehors, tous les enfants étaient autour de [Muhammad], pleurant comme je ne les avais jamais vus pleurer.»

C’est ainsi que Mariam Hamamdah, 30 ans, a décrit l’assaut coordonné de mardi 28 septembre par des dizaines de colons israéliens contre le village de Mufagara, dans le sud des collines d’Hébron, le dernier jour de la fête juive de Simhat Torah. Muhammad, son neveu, a été touché à la tête par une pierre lancée par les colons. Il a été hospitalisé au centre médical Soroka de Be’er Sheva avec une fracture du crâne et une hémorragie interne au cerveau.

L’attaque du village a commencé à 13 heures, après qu’un groupe de colons masqués a attaqué un berger palestinien. Ils ont égorgé trois de ses moutons, après quoi le berger s’est enfui avec deux enfants qui l’accompagnaient, dont son fils. Peu après, plusieurs dizaines d’autres colons masqués sont arrivés, armés d’armes de poing, de pierres, de gourdins et de bâtons. Au moins 60 Israéliens ont participé à l’attaque de Mufagara, qui avait déjà été la cible de la violence des colons, mais jamais de cette façon.

Mufagara est l’un des dizaines de villages palestiniens non reconnus de la région de Masafer Yatta, en Cisjordanie occupée. Bien que le village existe depuis des générations, les autorités israéliennes n’accordent pas de permis de construire à ses habitants. Des représentants de l’administration civile – le bras du gouvernement militaire israélien qui dirige les territoires occupés – arrivent régulièrement ici pour démolir des maisons et d’autres structures.

Selon les habitants de Mufagara, les colons ont commencé par jeter des pierres sur leur village, puis sont passés de maison en maison en coupant les conduites d’eau avec des couteaux et des machettes. De nombreux habitants ont fui vers la vallée voisine pour se mettre en sécurité. Quelques-uns des assaillants masqués sont même entrés dans les maisons et ont fait des dégâts à l’intérieur. D’autres ont retourné des véhicules appartenant aux résidents et ont essayé de les faire basculer dans la vallée voisine. Un colon a ouvert le feu sur un Palestinien qui lui jetait des pierres depuis l’intérieur de sa maison, mais ce dernier n’a pas été blessé.

Des soldats israéliens étaient présents lors de l’attaque, mais au lieu de mettre fin à la violence, ils se sont contentés de rester derrière les colons masqués. Les soldats ont également tiré de grandes quantités de gaz lacrymogènes et de balles en caoutchouc sur les Palestiniens qui se défendaient de l’attaque avec des pierres. La coopération entre colons et soldats n’a rien de nouveau en Cisjordanie, mais ces derniers mois, elle a eu des répercussions mortelles pour les Palestiniens.

«J’ai entendu un bruit, je suis sorti avec mes sandales et j’ai vu des gens qui regardaient vers l’avant-poste [de colonisation] voisin d’Avigayil», a déclaré Fadel Hamamdah, 45 ans. «Je suis allé vers la mosquée et j’ai vu les colons attaquer un berger, un homme nommé Amar. Il était avec un petit enfant. Ils l’ont attaqué sans pitié avec des pierres. Il était sur ses propres terres dans la vallée, près des oliviers.»

Fadel décrit qu’à un moment donné, des colons ont conduit un tracteur de couleur verte dans Mufagara depuis Havat Ma’on, l’avant-poste construit de l’autre côté du village. «Il s’est garé au centre du village», raconte Fadel, «et [le tracteur] était rempli de gourdins et de machettes, et les colons avaient des fusils. Nous nous sommes protégés contre le tracteur, et les colons ont commencé à attaquer le village. De plus en plus de colons sont arrivés, tous masqués. L’armée a alors commencé à nous tirer des gaz lacrymogènes et des grenades assourdissantes.»

Il poursuit: «Ils sont passés de maison en maison. Ils ont brisé les fenêtres de huit maisons. Ils ont blessé au moins cinq enfants avec des pierres. C’était organisé, planifié. Ils se sont séparés – cinq ici, 15 là, un nombre incroyable de colons. Ils ont complètement détruit les voitures. Les familles étaient dans leurs maisons pendant l’attaque.» Les fenêtres de la maison de Fadel ont été complètement brisées par les pierres.

Hadra Hamamdah, la femme de Fadel, a décrit comment elle a vu les colons se tenir près de la mosquée, à proximité de leurs maisons. «Ils ont commencé à nous jeter des pierres. J’ai crié: “vous attaquez des enfants, vous détruisez nos maisons!”. C’est la première fois que je vois ce genre d’attaque. Dans le passé, [les colons] sont venus ici, mais pas en si grand nombre, pas avec une telle facilité. Les yeux de mon fils Ahmad étaient pleins de larmes à cause des gaz lacrymogènes que les soldats ont lancés sur les habitants qui tentaient de se défendre. Ma voisine, une femme enceinte, a quitté une des maisons et est tombée. Nous avons besoin de volontaires pour dormir ici avec nous. Mes enfants ont peur de s’endormir.»

Mariam, elle, était dans son jardin quand elle a entendu les colons masqués arriver d’Avigayil. «J’ai mis tous les enfants dans une petite pièce – environ 20 enfants, les uns après les autres. Je leur ai dit de ne pas s’inquiéter et j’ai fermé la porte à clé», a-t-elle raconté. Je me suis souvenue qu’il y avait des enfants qui dormaient dans la pièce voisine. Et j’ai entendu les colons dehors, briser des voitures, et ma maison être frappée par des pierres. J’ai ouvert la porte et j’ai couru comme une folle vers l’autre pièce. Deux enfants y criaient. Je les ai pris dans mes bras.»

L’une des pierres a touché son neveu de trois ans, Muhammad, qui se trouvait dans la pièce voisine. «Je l’ai ramassé et j’ai couru vers les soldats, qui se tenaient à quelques centaines de mètres de là», a raconté Mariam. «Ils m’ont dit d’aller à l’ambulance, mais j’ai répondu que j’avais peur, puisqu’il y avait des colons à côté. Les yeux de Muhammad étaient fermés pendant tout ce temps. Il s’était évanoui. Une jeep militaire est arrivée et nous a conduits à l’ambulance, ainsi que l’oncle de Muhammad qui était avec nous. Lorsque nous étions dans l’ambulance, les colons ont essayé d’attaquer l’oncle. Le garçon a saigné dans l’ambulance pendant une demi-heure jusqu’à ce que les colons partent, puis ils l’ont emmené à l’hôpital de Soroka.»

Muhammad est toujours à Soroka et devrait être transféré dans un hôpital de Cisjordanie pour y être soigné. Son état est actuellement stable.

Alors que Mariam décrivait ce qui s’était passé, son fils Qusay, également âgé de trois ans, criait dans ses bras. Lui aussi avait été frappé par une pierre ce jour-là. Les pleurs des enfants pouvaient être entendus dans chaque maison de Mufagara, même si l’attaque avait eu lieu quelques heures auparavant.

«J’ai 45 ans, je suis né ici, et je n’ai jamais rien vu de tel», a déclaré Mahmoud Hamamdah, un autre résident. «Des colons qui entrent dans nos maisons alors que nous sommes dans la vallée et un autre groupe de colons qui nous attaquent avec des pierres. Il n’y a jamais eu une telle attaque avec un nombre aussi énorme [de colons].» Pour Mahmoud, l’assaut sert un objectif clair. «Les colons veulent créer une contiguïté territoriale entre Avigayil et Havat Ma’on, avec nous au milieu. C’est leur objectif maintenant: utiliser la violence pour nous forcer à partir. Ils s’approprient toujours plus de terres et nous attaquent. C’est comme l’armée, qui détruit nos maisons. [Ils font] tout pour que nous partions.»

Les colons israéliens ont établi sept nouveaux avant-postes dans les collines du sud d’Hébron au cours des dernières années, les appelant «fermes de bergers». Les colons ont construit un total d’environ 54 nouveaux avant-postes à travers la Cisjordanie au cours des cinq dernières années, tous illégaux selon la loi israélienne elle-même ainsi que le droit international. Les fermes des colonies reçoivent des milliers de dunam de terres, qui ont été expropriées aux Palestiniens par l’Etat israélien.

Plusieurs centaines de colons israéliens exploitent ces fermes, et beaucoup d’entre eux passent volontairement d’une ferme à l’autre. Ils communiquent et se coordonnent par le biais de groupes WhatsApp et, en prévision de la fête de Souccot, ils ont demandé aux gens de venir dans les fermes pour faire du bénévolat. Il n’est pas clair s’il y a un lien entre le récent appel aux volontaires et l’attaque qui a eu lieu mardi.

Les colons sortent régulièrement de ces avant-postes pour attaquer les Palestiniens dans le but de les contraindre à quitter leurs terres. Nous avons été témoins et avons documenté des dizaines de ces cas, qui semblent s’intensifier et devenir plus dangereux chaque année. (Article publié sur le site israélien +972 le 29 septembre 2021; une version en hébreu a été publiée sur le site Local Call; traduction rédaction A l’Encontre)

Soyez le premier à commenter

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée.


*