Israël-Palestine: «L’annexion n’est pas le seul vol des Territoires. L’annexion, c’est l’expulsion des Palestiniens»

L’entrée du village palestinien de Dier ‘Ammar telle qu’elle apparaît sur la route israélienne n° 463, en Cisjordanie. (Ahmad Al-Bazz / Activestills)

Par Ahmad Al-Bazz

Depuis quelques semaines, les nombreux lecteurs des sites d’information «mainstream» peuvent croire qu’Israël va mettre en œuvre un plan drastique d’annexion de la Cisjordanie occupée suite à l’accord du nouveau gouvernement israélien de coalition (Benny Gantz et Benyamin Netanyahou) et du soi-disant «Deal du siècle» états-unien.

Les Palestiniens, quant à eux, savent bien que cette annexion n’a rien de spectaculaire. Mais que la communauté internationale semble surprise par cette décision les met en colère.

Pour comprendre l’abîme qui sépare les titres des médias et la réalité du terrain, prenez un citoyen israélien ordinaire qui décide de sortir de son appartement de Tel-Aviv pour se rendre au bord de la mer Morte, dont une grande partie se trouve en Cisjordanie occupée. Il lui suffit de prendre l’autoroute vers l’est et le voilà en moins d’une heure et demie sur la rive du Jourdain. Il n’a rencontré aucun checkpoint et cette seule route l’a mené à son but – rien ne lui permet de savoir qu’il est entré en Cisjordanie. Le parcours est jalonné de panneaux de signalisation en hébreu, la police israélienne règle la circulation et l’Autorité israélienne responsable des Parcs nationaux lui indique les sites voisins.

Le conducteur israélien veillera à ne pas se fourvoyer dans les zones qu’habitent les Palestiniens de Cisjordanie. Cela ne lui sera pas difficile. Après les accords d’Oslo, l’armée a installé de grands panneaux rouges aux entrées des villes palestiniennes qui préviennent les Israéliens qu’entrer dans ces zones serait «dangereux». Bien sûr, aucun Palestinien résidant de l’autre côté de ces panneaux ne peut prendre la route vers Israël, ou visiter les stations balnéaires de la mer Morte proposées au conducteur israélien.

Malgré l’apparente complexité des structures politiques du pays, en 2020, la carte de Palestine-Israël est d’une extrême simplicité: à l’exception de quelques enclaves palestiniennes semi-autonomes en Cisjordanie et la bande de Gaza, du nord au sud, d’est en ouest, tout le pays est gouverné par Israël.

Il en est ainsi depuis des décennies. Et le monde manifesterait aujourd’hui quelque préoccupation de ce qu’Israël veuille désormais «officialiser» cette réalité en procédant à une annexion officielle? Ce que la communauté internationale (officielle) considère comme la décision illégale d’un occupant militaire ou comme un différend territorial entre deux gouvernements, les Palestiniens savent bien qu’il ne s’agit en réalité que d’une étape de plus vers la réalisation d’un projet colonial vieux d’un siècle.

«L’erreur» démographique

Exclure et contrôler ont toujours été les caractéristiques essentielles du sionisme, les éléments constitutifs de la géographie du pays. Le but d’un pays exclusivement juif hébergeant d’autres personnes a conduit à la réalité d’une oppression sans fin pour les Palestiniens. Le sionisme n’a offert qu’une alternative aux Palestiniens: l’expulsion et l’exil, ou le régime israélien. Dépourvus de droits. Tous les Palestiniens, où qu’ils se trouvent dans le monde, vivent l’un de ces deux destins.

Après la création de l’Etat en 1948, de nombreux Israéliens regrettèrent que des villes comme Hébron, Naplouse, la vieille ville de Jérusalem, considérées comme des sites juifs sacrés, n’aient pas été prises par l’Etat nouvellement créé. Cet espoir s’est finalement réalisé en 1967, lorsque Israël a pris le contrôle de la totalité de la Palestine mandataire. Mais à l’exception de Jérusalem-Est, l’Etat n’a jamais soumis ces territoires à la loi israélienne, ne les a jamais annexés.

Jusqu’à ce jour, Israël s’est efforcé d’éviter de répéter l’erreur démographique commise en 1948, lorsqu’il accorda à des Palestiniens la citoyenneté israélienne. Sous régime militaire jusqu’en 1966, et discriminés depuis lors, ces citoyens palestiniens font obstacle aux plans forgés en Israël pour créer un Etat purement juif. Mais ces Palestiniens entendent constamment répéter qu’ils ne sont pas désirés: Netanyahou a clairement déclaré l’année dernière qu’«Israël n’est pas un Etat pour tous ses citoyens», et même le «Deal du siècle» états-unien a proposé le transfert de leurs communautés vers une future entité palestinienne.

Hanté par son erreur, l’Etat d’Israël a décidé d’appliquer une politique du «provisoire permanent» en Cisjordanie et à Gaza: l’annexion de facto, plutôt que de jure. Il a forgé de nouvelles catégories pour désigner la population indésirable: des cartes d’identité rouges de «résidents permanents» pour les habitants de Jérusalem-Est (elles ont été révoquées par milliers depuis 1967) et des cartes d’identité orange ou vertes pour ceux de Gaza et de Cisjordanie, qu’administre le ministère israélien de la Défense.

Simultanément, l’Etat d’Israël a encouragé sa population juive à s’installer dans les territoires occupés. Avec l’épanouissement des colonies, il a construit des routes de contournement, des murs et des barrières, destinés à assurer les liens des colonies entre elles et leur connexion à Israël, mais bien sûr aussi à contrôler et à limiter les mouvements de la population palestinienne.

Mais pourquoi donc, après plus de cinquante ans de «provisoire permanent», l’Etat d’Israël décide-t-il d’officialiser cette réalité? Et quelle devrait être la réponse des Palestiniens?

La réponse palestinienne

Ce qu’Israël semble se préparer à annoncer nous donne la réponse: l’absorption des colonies et des terres environnantes, qui sont déjà sous son contrôle, mais aussi l’épuration finale des Palestiniens demeurant encore à l’intérieur de ces zones. Un tel plan est à l’œuvre depuis des années dans la vallée du Jourdain, E1 et les «South Hebron Hills», les collines au sud d’Hébron. Il pourrait s’accélérer une fois l’annexion officielle déclarée.

Etant donné l’impunité dont a bénéficié Israël en violant le droit international dans les «Territoires occupés», il ne saurait y avoir pour les Palestiniens un meilleur moment pour renoncer enfin à la phraséologie légaliste de «la dénonciation de l’occupation». Longtemps, les Palestiniens ont pensé que le cadre international dans lequel elle s’inscrivait pouvait aider leur lutte, malgré toutes les limites de ce cadre et les déformations qu’il infligeait à leur cause. Ce fut en vain.

Les dirigeants palestiniens eux-mêmes sont une des raisons de cet échec. Jusqu’à la fin des années 1980, ils considéraient Israël comme une colonie de peuplement usurpant la propriété des terres palestiniennes et exigeaient le retour des réfugiés. Ils revendiquaient un seul Etat démocratique pour tous. Puis l’Organisation de libération de la Palestine a officiellement reconnu Israël et adopté la solution à deux Etats, très largement pour satisfaire la communauté internationale qui accrédite l’existence d’un supposé «conflit» entre deux parties égales.

Ce cadre de référence s’est substitué à la revendication palestinienne de décoloniser la Palestine mandataire et a accepté la Green Line (la Ligne verte) comme la frontière à l’intérieur de laquelle enfermer les Palestiniens dans un quasi-Etat. Près de 30 ans après les accords d’Oslo, la politique coloniale d’Israël continue de traiter l’ensemble des Palestiniens comme un groupe de colonisés indésirables, qu’il s’agisse de citoyens arabes-israéliens, de sujets des «Territoires occupés» ou de réfugiés expulsés.

Le président palestinien Mahmoud Abbas s’appuie sur cet état de fait pour régulièrement menacer de démanteler l’Autorité palestinienne, ou de se retirer des soi-disant accords de sécurité avec Israël. Mais jamais il n’eut le courage de mettre ses menaces à exécution. Si l’Autorité palestinienne ne corrige pas ses erreurs, elle devra se borner à exécuter le plan qui limite son rôle à gérer au nom de l’Etat d’Israël de minuscules enclaves.

Ainsi, à l’heure où Israël peaufine la phase à venir de son projet de colonisation, il est plus que temps pour les Palestiniens de retourner à leurs exigences initiales de décolonisation totale dans un Etat démocratique qui reconnaisse sur la totalité de son territoire l’égalité des droits à tous les êtres humains. Et qu’ils développent de nouvelles stratégies pour atteindre cet objectif. A ce jour, la communauté internationale n’est pas crédible lorsqu’elle regrette l’annexion à venir. Une annexion qui n’est que le fruit d’un projet colonial que cette même communauté internationale n’a jamais envisagé de discuter. (Article publié sur le site +972 en date du 19 mai 2020; traduction par la rédaction de A l’Encontre)

Ahmad Al-Bazz est un journaliste et réalisateur de documentaires basé à Naplouse, en Cisjordanie.

Soyez le premier à commenter

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée.


*