Par la rédaction d’Alencontre
A la sortie de la Seconde Guerre mondiale a été créée, en 1946, l’Organisation internationale pour les réfugiés (OIR). Elle était chargée «de prendre soin et d’assurer le rapatriement ou la réinstallation des Européens qui avaient été rendus sans abri par la Deuxième Guerre mondiale», ce qui impliquait, entre autres, parmi le flot des réfugié·e·s, un secteur de la population juive qui avait pu échapper à l’Holocauste. L’OIR a été dissoute en 1952 après avoir réinstallé environ 1 million de personnes et elle fut remplacée par l’actuel Haut-Commissariat pour les réfugiés (HCR).
La création de l’UNRWA, le 27 décembre 1949 – dans la foulée de la résolution 302 (IV) de l’Assemblée générale de l’ONU du 8 décembre –, fait suite à la Nakba, soit à l’expulsion des Palestiniens. C’est donc une structure «spécifique» par rapport à l’OIR ou au HCR. Elle est en charge d’assurer «une assistance humanitaire aux réfugiés de Palestine». Ces réfugiés sont définis ainsi: «toute personne – et ses descendants directs – qui vivait en Palestine lorsqu’elle était sous mandat entre juin 1946 et mai 1948 et qui a perdu son foyer et ses moyens de subsistance à la suite du conflit israélo-arabe de 1948». L’UNRWA, selon les termes adoptés lors de sa constitution, «s’occupe expressément des réfugiés de Palestine et continue de leur fournir des services en attendant qu’une solution soit trouvée à leur situation politique unique». Elle le fait dans les divers camps et régions où ces réfugiés se trouvent.
Or, le 11 décembre 1948, la Résolution 194 de l’Assemblée générale de l’ONU, «ayant examiné de nouveau la situation en Palestine» (article 11): «Décide qu’il y a lieu de permettre aux réfugiés qui le désirent, de rentrer dans leurs foyers le plus tôt possible et de vivre en paix avec leurs voisins, et que des indemnités doivent être payées à titre de compensation pour les biens de ceux qui décident de ne pas rentrer dans leurs foyers et pour tout bien perdu ou endommagé lorsque, en vertu des principes du droit international ou en équité, cette perte ou ce dommage doit être réparé par les Gouvernements ou autorités responsables».
L’UNRWA lie donc le statut de réfugié à la résolution politique de leur situation. Cela ouvre la possibilité de faire référence au droit défini par la Résolution 194 de décembre 1948, dit du «droit au retour». Il y a là un des facteurs déterminants de l’offensive contre l’UNRWA développée par le gouvernement israélien. Ces attaques se sont accentuées dès 2004 suite à la seconde Intifada qui voit l’UNRWA mettre en place un «plan d’urgence», ce qui va aussi impliquer le maintien d’une unité du statut des réfugiés palestiniens, de Gaza à la Cisjordanie, en passant par le Liban et les autres «pays hôtes» de camps.
L’offensive contre l’UNRWA qui se développe actuellement – et qui est relayée par de nombreux lobbys dans les pays finançant cette structure – rappelle la situation qui s’est développée lors de l’opération «Plomb durci» de décembre 2008 au 18 janvier 2009. Le ministre alors de la Défense, Ehoud Barak, ne déclarait-il pas: «Nous sommes conscients des problèmes humanitaires. Nous faisons et continuerons à faire tout ce qui est en notre pouvoir pour répondre à tous les besoins humanitaires des habitants de Gaza.» (Anthony H.Cordesman, The Gaza War: A strategic analysis, 2009 Center for Strategic and International Studies (Washington, D.C.) Il en alla de même lors de l’opération «Bordure protectrice» qui se déroula du 8 juillet au 26 août 2014. La volonté de marginalisation et dissolution de l’UNRWA était évidente, comme cela s’affirme, mais avec beaucoup plus de force, aujourd’hui (voir sur ce site l’article d’Amira Hass le 5 avril 2024).
Aussi bien en 2008-2009 qu’en 2014 les bâtiments de l’UNRWA étaient attaqués, les collaborateurs de l’UNRWA étaient tués ou blessés, alors que les responsables de l’UNRWA dénonçaient «la terreur et la catastrophe pour la population civile» (The Guardian, 5 janvier 2009). Tout cela a été confirmé par le rapport Goldstone d’avril 2009 (United Nations Fact Finding Mission on the Gaza Conflict).
Les mêmes accusations qu’aujourd’hui étaient alors faites selon lesquelles le Hamas utilisait les hôpitaux, les ambulances ou les écoles de l’UNRWA dont 22 furent détruites et 118 endommagées en 2014. Aujourd’hui, les atteintes contre les infrastructures de l’UNRWA, contre ses membres et employé·e·s, contre ses activités humanitaires sont à l’échelle des destructions et des pratiques génocidaires décidées par le Cabinet de guerre israélien et mises en œuvre par l’armée dans la bande de Gaza. Ce que souligne l’intervention de Philippe Lazzarini devant le Conseil de sécurité, le 17 avril 2024, traduite et reproduite ci-dessous.
Quant aux accusations lancées par le gouvernement israélien d’une complicité et participation de secteurs de l’UNRWA aux activités du Hamas – entre autres le 7 octobre, 12 employés sur 13 000 étant mentionnés –, The Guardian du 20 mars écrivait qu’«au fil des semaines, la fiabilité des accusations d’Israël a été remise en question. “L’Unrwa dit qu’elle n’a pratiquement reçu aucune preuve et qu’elle a vu des aveux qui semblent avoir été obtenus sous la contrainte lors de leur détention en Israël”, a écrit Jason Burke [correspondant du Guardian à Jérusalem ayant eu accès à de la documentation de l’ONU]. Or Israël a refusé de coopérer avec l’ONU et n’a fourni aucune de ses preuves malgré une mission d’enquête, a rapporté le Daily Telegraph le 15 mars.»
La réaction immédiate (fin janvier) suite aux accusations du gouvernement israélien de divers Etats de couper leur financement à l’UNRWA sonne étrangement après trois mois où les «évidences» et «preuves» semblent s’être évaporées. D’ailleurs, le Canada, l’Australie, la Suède et l’UE ont rétabli le financement. Le groupe d’examen indépendant chargé de déterminer la neutralité de l’agence, sous la présidence de Catherine Colonna, ancienne ministre des Affaires étrangères de France, est censé rendre son rapport final le 20 avril.
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Déclaration du Commissaire général de l’UNRWA au Conseil de sécurité, Philippe Lazzarini, le 17 avril 2024
«Monsieur le Président,
Mesdames et Messieurs les membres du Conseil,
Nous traversons une période de changements dramatiques au Moyen-Orient.
Au cœur de cette région, l’Office des Nations unies pour les réfugiés de Palestine (UNRWA-Agence) est une force stabilisatrice.
A Gaza, l’Agence constitue l’épine dorsale de l’opération humanitaire, coordonnant et fournissant une assistance vitale.
Au-delà de la bande de Gaza, l’Agence s’est fait le champion du développement humain pour les réfugié·e·s de Palestine pendant des décennies dans toute la région.
Aujourd’hui, une campagne insidieuse visant à mettre fin aux opérations de l’UNRWA est en cours, avec de graves implications pour la paix et la sécurité internationales.
C’est dans ce contexte qu’il est demandé au Conseil d’examiner les défis existentiels auxquels l’Agence est confrontée.
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Six mois de bombardements incessants et de siège impitoyable ont transformé Gaza au point de la rendre méconnaissable.
Les maisons, les écoles et les hôpitaux ont été réduits à des décombres sous lesquels gisent d’innombrables corps.
Les enfants subissent de plein fouet les conséquences de cette guerre. Plus de 17 000 d’entre eux sont séparés de leur famille et doivent affronter seuls l’horreur de Gaza. Les enfants sont tués, blessés et affamés, privés de toute sécurité physique ou psychologique.
Dans toute la bande de Gaza, une famine provoquée par l’homme resserre son étau. Dans le nord, les nourrissons et les jeunes enfants ont commencé à mourir de malnutrition et de déshydratation.
De l’autre côté de la frontière, la nourriture et l’eau potable attendent.
Mais l’UNRWA se voit refuser l’autorisation d’acheminer cette aide et de sauver des vies.
Cet outrage se produit malgré les injonctions consécutives de la Cour internationale de justice d’augmenter le flux d’aide vers Gaza – ce qui peut être fait s’il y a une volonté politique suffisante.
Vous avez le pouvoir de faire la différence.
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Le mandat de l’UNRWA est soutenu par une écrasante majorité d’Etats membres.
Pourtant, l’Agence est soumise à d’énormes pressions. Elle fait face à une campagne visant à l’expulser du territoire palestinien occupé. A Gaza, le gouvernement israélien cherche à mettre fin aux activités de l’UNRWA.
Les demandes de l’Agence visant à acheminer de l’aide vers le nord ont été rejetées à plusieurs reprises.
Notre personnel est exclu des réunions de coordination entre Israël et les acteurs humanitaires. Pire encore, les locaux et le personnel de l’UNRWA sont pris pour cible depuis le début de la guerre.
178 membres du personnel de l’UNRWA ont été tués.
Plus de 160 locaux de l’UNWRA, principalement utilisés comme abris, ont été endommagés ou détruits, tuant plus de 400 personnes.
Les locaux libérés par l’Agence ont été utilisés à des fins militaires par les forces israéliennes, le Hamas et d’autres groupes armés palestiniens.
Notre siège a été occupé militairement et des allégations ont émergé concernant l’existence de tunnels sous nos locaux.
Le personnel de l’UNRWA détenu par les forces de sécurité israéliennes a fait des récits poignants de mauvais traitements et de torture en détention.
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Nous demandons qu’une enquête indépendante soit menée et que des comptes soient rendus pour le mépris flagrant du statut de protection des travailleurs et travailleuses, des opérations et des installations humanitaires en vertu du droit international.
Agir autrement créerait un dangereux précédent et compromettrait le travail humanitaire dans le monde entier.
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La situation en Cisjordanie occupée est également très préoccupante.
Les attaques quotidiennes des colons israéliens, les incursions militaires et la destruction des maisons et des infrastructures civiles font partie d’un système bien huilé de ségrégation et d’oppression.
L’espace opérationnel de l’UNRWA se rétrécit, avec des mesures arbitraires imposées par Israël pour restreindre la présence et les mouvements du personnel.
Il devient de plus en plus difficile de maintenir nos écoles et nos centres de santé ouverts et accessibles. Des mesures législatives et administratives visant à expulser l’UNRWA de son siège à Jérusalem-Est et à interdire ses activités sur le territoire israélien sont en cours.
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Au milieu de ces défis, de graves allégations contre des membres du personnel de l’UNRWA à Gaza sont apparues en janvier.
Horrifié par ces allégations, j’ai immédiatement mis fin à l’engagement des personnes concernées.
Le secrétaire général a ordonné une enquête par l’intermédiaire du Bureau des services de contrôle interne.
Parallèlement, un groupe d’examen indépendant évalue la manière dont l’UNRWA respecte la neutralité – un principe fondamental qui guide notre travail.
Malgré ces actions rapides et décisives, une part importante du financement des donateurs reste suspendue. Cela a de graves implications opérationnelles et compromet la viabilité financière de l’Agence.
Soyez assurés que nous restons fermement engagés à mettre en œuvre les recommandations de l’enquête et à renforcer les garanties existantes contre les violations de la neutralité.
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Comme je l’ai indiqué à l’Assemblée générale en mars, les appels à la fermeture de l’UNRWA n’ont rien à voir avec le respect des principes humanitaires.
Ces appels visent à mettre fin au statut de réfugié de millions de Palestiniens. Ils cherchent à modifier les paramètres politiques de longue date pour la paix dans le territoire palestinien occupé, fixés par les résolutions de l’Assemblée générale et du Conseil.
Les accusations selon lesquelles l’UNRWA perpétue délibérément le statut de réfugié sont fausses et malhonnêtes. L’Agence existe parce qu’une solution politique n’existe pas. Elle existe à la place d’un Etat capable de fournir des services publics essentiels.
La communauté internationale a longtemps tenté de contenir, plutôt que de résoudre, le conflit israélo-palestinien.
Chaque fois qu’une escalade se produit, la solution des deux Etats n’est pas respectée, ce qui coûte des vies et de l’espoir.
L’UNRWA a été créé il y a 75 ans en tant qu’agence temporaire. Une mesure provisoire, dans l’attente d’une réponse politique à la question de la Palestine.
Si la communauté internationale s’engage réellement en faveur d’une solution politique, l’UNRWA peut retrouver sa nature temporaire en soutenant une transition limitée dans le temps, en fournissant une éducation, des soins de santé primaires et un soutien social.
L’Agence peut le faire jusqu’à ce qu’une administration palestinienne prenne en charge ces services, en absorbant le personnel palestinien de l’UNRWA en tant que fonctionnaires.
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Le démantèlement de l’UNRWA aura des répercussions durables.
A court terme, il aggravera la crise humanitaire à Gaza et accélérera l’apparition de la famine. A plus long terme, il compromettra la transition entre le cessez-le-feu et le «jour d’après» en privant une population traumatisée de services essentiels.
Il rendra presque impossible la tâche formidable qui consiste à faire reprendre le chemin de l’école un demi-million de filles et de garçons en grande détresse.
L’échec de l’éducation condamnera toute une génération au désespoir, ce qui alimentera la colère, le ressentiment et des cycles de violence sans fin.
Une solution politique ne peut aboutir dans un tel scénario.
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Permettez-moi de conclure par trois appels:
Premièrement, je demande aux membres du Conseil d’agir conformément à la résolution 302 de l’Assemblée générale [1] et de préserver le rôle essentiel de l’UNRWA, tant aujourd’hui que dans le cadre d’une transition.
L’UNRWA est depuis longtemps le gardien des droits des réfugié·e·s palestiniens. L’Agence ne pourra renoncer à son rôle central de fourniture de services essentiels et de protection des droits de l’homme que lorsqu’une solution politique aura été trouvée.
D’ici là, le soutien politique des Etats membres doit s’accompagner d’un financement.
Deuxièmement, je vous demande instamment de vous engager en faveur d’un véritable processus politique aboutissant à une solution susceptible d’apporter la paix aux Palestiniens et aux Israéliens.
Ce processus doit respecter les droits des réfugiés palestiniens et leur aspiration à une solution politique juste et durable à leur situation.
Troisièmement, nous devons reconnaître qu’un processus politique ne garantira pas à lui seul une paix durable.
Les blessures profondes de cette région ne peuvent être guéries sans cultiver l’empathie et sans rejeter la déshumanisation qui y règne, que ce soit dans la rhétorique politique ou dans l’utilisation abusive des nouvelles technologies dans la guerre. Nous devons refuser de choisir entre sympathiser avec les Palestiniens ou avec les Israéliens ; ou faire preuve de compassion envers les Gazaouis ou les otages israéliens et leurs familles.
Au lieu de cela, nous devons reconnaître – et refléter dans nos paroles et nos actes – que Palestiniens et Israéliens partagent une longue et profonde expérience de chagrin et de perte. Qu’ils méritent également un avenir pacifique et sûr.
Je vous demande instamment de contribuer à la réalisation de cet avenir par une action multilatérale fondée sur des principes et un engagement sincère en faveur de la paix.
En vous remerciant, je vous prie d’agréer, Monsieur le Président, l’expression de ma haute considération.»
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[1] «La résolution 302 (IV) de l’Assemblée générale, en date du 8 décembre 1949, dispose que le Secrétaire général nomme le (la) Commissaire général(e) après avoir consulté les gouvernements représentés à la Commission consultative de l’UNRWA.»
Cette commission est composée de représentants de 24 pays. La présidence jusqu’en juin 2024 est assumée par les Etats-Unis, la vice-présidence est confiée à l’Egypte et à l’Union européenne. (Réd.)
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