Pour l’Etat hébreu, l’aide humanitaire de WCK participait de son attaque contre l’UNRWA. L’assassinat des employés occidentaux de WCK ébranle cette entreprise

(KEYSTONE/XINHUA/Yasser Qudih)

Par Amira Hass

Quelque part dans la chaîne de commandement des Forces de défense israéliennes (FDI), la décision a été prise d’attaquer un convoi d’aide internationale, car on soupçonnait qu’à un moment donné un homme armé avait voyagé dans ce convoi. Lors de cette attaque, des missiles tirés par un drone de l’armée de l’air ont tué sept humanitaires du groupe World Central Kitchen (WCK).

Il est difficile d’exagérer la gravité de la décision d’ouvrir le feu et la migraine que les opérateurs de drones ont causé à Tsahal et surtout aux efforts de relations publiques d’Israël. Cette migraine n’aurait pas existé si les sept morts avaient été des Palestiniens et non des Occidentaux, comme c’était le cas de six d’entre eux.

Après tout, Israël a affirmé à maintes reprises que le Hamas se camouflait derrière des civils, ce qui lui permet d’affirmer que si les victimes sont des Palestiniens, le Hamas en serait responsable. En temps normal, le Premier ministre Benyamin Netanyahou ne se serait pas empressé d’exprimer ses regrets pour le «cas tragique où nos forces ont frappé involontairement des innocents dans la bande de Gaza» [1].

Les efforts de relations publiques d’Israël ne peuvent justifier l’attaque ni en occulter les répercussions, non seulement en raison de l’identité des personnes tuées, mais aussi en raison de l’importance de la World Central Kitchen (WCK) [2]dans le processus qu’Israël poursuit depuis des mois: entraver le travail de l’UNRWA au point d’éradiquer l’agence pour les réfugiés. Et ce, alors que la malnutrition et la famine ravagent Gaza – en particulier dans le nord – et que la Cour internationale de justice demande qu’Israël garantisse aux Gazaouis l’accès à l’aide humanitaire.

La World Central Kitchen a été le principal acteur de l’acheminement de l’aide dans le nord de la bande de Gaza par voie maritime. C’est l’itinéraire que les Etats-Unis ont préconisé pour le nord depuis qu’Israël a rejeté les demandes des groupes d’aide visant à ouvrir la voie terrestre courte, rapide et peu coûteuse passant par les postes-frontières du nord, épargnant ainsi le long et dangereux voyage depuis les points de passage de Rafah et de Kerem Shalom, dans le sud [3].

Le premier envoi expérimental d’aide par voie maritime de World Central Kitchen, financé par les Emirats arabes unis, est arrivé à Gaza au début du mois de mars. La deuxième cargaison, également financée par les Emirats, n’est arrivée près de la côte de la ville de Gaza que lundi dernier. Mais sur les 400 tonnes de nourriture et d’équipement pour 1 million de repas, seules 100 tonnes ont été déchargées des plateformes (tirées par un navire de l’ONG, Open Arms). Aujourd’hui, en raison de l’attaque et de la décision de l’organisation de suspendre ses opérations à Gaza, l’essentiel du convoi retourne à Chypre.

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Entre-temps, l’aide humanitaire acheminée par les points de passage du sud reste inférieure au minimum requis, à savoir 500 camions par jour. La moyenne journalière en mars n’était que de 159 camions, selon les Nations Unies. Le nombre le plus élevé a été enregistré le 28 mars, avec 264 camions. Les camions doivent attendre de nombreux jours avant d’être soumis aux inspections des services de sécurité israéliens.

Ensuite, seule une petite partie de la cargaison parvient au nord de Gaza en raison de la coordination difficile avec les FDI, des retards aux points de contrôle internes de l’armée, des tirs des FDI et des dangers liés aux raids des gangs [qui se sont développés suite à la suppression de toute administration – réd.]. Tant que la route maritime de World Central Kitchen semblait sûre, il était possible de minimiser les difficultés rencontrées par les organisations d’aide pour atteindre le nord de la bande de Gaza. L’assassinat des valeureux membres de ce groupe nuit donc aux efforts d’Israël pour faire croire qu’il applique les instructions de la Cour internationale de justice.

Même avant le programme pilote maritime de mars, World Central Kitchen, que les Palestiniens ne connaissaient pas avant la guerre, s’est fait connaître. Depuis octobre, elle a fourni plus de 35 millions de repas chauds et mis en place plus de 60 cuisines communautaires. Les gens ont remarqué que ses cuisines disposaient de gaz de cuisine, ce qui n’était pas le cas d’autres organisations, et qu’elle proposait des légumes frais qui n’étaient pas disponibles sur les marchés, ou alors à des prix exorbitants.

Selon une source d’un groupe d’aide, presque du jour au lendemain, la World Central Kitchen a atteint une taille qui n’a d’égale que celle de l’UNRWA, qui existe depuis 1949. La rapidité du lancement suggère que l’administration israélienne a facilité le processus. En d’autres termes, les opérateurs de drones ont frappé une organisation dont la présence et le travail étaient importants pour Israël, non seulement pour des raisons humanitaires, mais aussi politiques: l’objectif était de rayer l’UNRWA de la carte.

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Comme tous les groupes d’aide présents à Gaza pendant la guerre, la World Central Kitchen s’est coordonnée avec l’armée. Comme pour les autres organisations, les FDI connaissent l’emplacement de chacune de ses installations, ses véhicules sont marqués de drapeaux et de sigles, et ses employés portent des gilets de protection indiquant leur identité. L’identité de chaque employé est connue des autorités militaires, qui contrôlent chaque volontaire. L’itinéraire emprunté par chaque véhicule et convoi est soumis à l’autorisation d’Israël. Dans le jargon de l’armée et des groupes d’aide, ce processus est appelé «déconfliction» [«limitation de pertes civiles par une meilleure coordination»].

Début décembre, Israël a annoncé la mise en place du mécanisme de déconfliction pour la protection des travailleurs humanitaires et des civils, à la suite d’une demande de David Satterfield, l’envoyé spécial du président Joe Biden pour les questions humanitaires au Moyen-Orient. Les représentants des groupes d’aide rendent compte aux agents de liaison du coordinateur israélien des activités gouvernementales dans les territoires, qui assurent la coordination avec les forces militaires sur le terrain.

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Ce n’était pas le premier incident au cours de cette guerre où les FDI ont attaqué des véhicules et des installations d’organisations humanitaires internationales ou locales; l’ONU estime qu’environ 196 travailleurs humanitaires ont été tués depuis le début de la guerre. Six Palestiniens affiliés à Médecins sans frontières – des travailleurs humanitaires et des membres de leur famille, dont deux médecins et une petite fille – ont été tués par les tirs des FDI, qui ont également endommagé des véhicules appartenant à l’organisation. Des Palestiniens qui se trouvaient dans un bâtiment du groupe britannique Medical Aid for Palestinians ont été blessés. Quinze secouristes du Croissant-Rouge ont été tués par des tirs israéliens alors qu’ils se rendaient auprès de blessés.

A 16 reprises au moins, Israël a tiré sur des camions transportant de la nourriture et sur les personnes qui se pressaient autour d’eux, soit parce que les hommes qui gardaient les camions étaient désignés comme des membres du Hamas, soit parce que les soldats à bord d’un char d’assaut estimaient que leur sécurité était menacée. C’est ce qui s’est passé lorsque l’équipage d’un char a tiré sur la foule qui entourait un convoi de nourriture le 29 février – une centaine de personnes ont été tuées, certaines écrasées par la foule effrayée, d’autres par les tirs du char.

La plupart de ces incidents ont été accueillis par un silence dans les médias israéliens. Et les FDI n’ont pas présenté d’excuses ou admis une erreur. La raison en est que les morts, les blessés et les personnes indemnes mais traumatisées étaient des Palestiniens, et que l’UNRWA et le Croissant-Rouge sont automatiquement considérés comme des collaborateurs du Hamas.

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L’assassinat des volontaires de la World Central Kitchen, une attaque qui n’est pas la première du genre, met en lumière trois éléments fondamentaux des opérations menées par les FDI à Gaza. Le premier est le manque de coordination entre les différentes unités, malgré les déclarations contraires. Le deuxième est le niveau hiérarchique relativement bas des gradés qui disposent de l’autorité de décider de tuer depuis les airs. Le troisième est la grande «tolérance» des FDI dans ce qu’elles considèrent comme des dommages collatéraux: le très grand nombre de personnes non armées, dont des enfants, qu’il est «permis» de tuer afin d’atteindre «une cible légitime».

Lors de l’incident survenu lundi en fin de journée, on soupçonnait la présence d’un «individu armé» (dont nous ne connaissons toujours pas l’identité). Cela a suffi pour permettre aux opérateurs de drones des FDI de tuer sept personnes qui n’étaient ni suspectes ni armées. Cette facilité à ouvrir le feu est l’une des explications des 14 000 enfants tués par Israël à Gaza jusqu’à présent, un chiffre fourni par l’UNICEF. (Article publié par Haaretz le 3 avril 2024; traduction rédaction A l’Encontre)

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[1] WCK demande qu’une enquête indépendante soit conduite – au-delà du blâme prononcé contre deux hauts gradés par l’armée israélienne suite à une enquête de l’état-major général – car l’armée «ne peut pas enquêter de manière crédible sur sa propre défaillance à Gaza».

[2] La WCK, pour sa «sécurité», est en contact avec l’entreprise Fogbow, «une structure proche du Pentagone. Composée d’anciens agents de la CIA ou de vétérans de l’armée américaine, la firme, qui facilite et sécurise des opérations humanitaires dans la zone depuis fin octobre, a mis l’ONG américaine en contact avec le Cogat», selon Samuel Forey dans Le Monde du 2 avril. Le journaliste ajoute, dans le même article, que le créateur de WCK, José Andrés, non seulement «s’est imposé comme un interlocuteur privilégié pour l’Etat hébreu», mais pour cela dispose d’un réseau de contacts dans l’administration américaine: «le chef étoilé peut «joindre directement, par texto» Antony Blinken, le secrétaire d’Etat américain, explique un ancien employé de l’ONG». (Réd.)

[3] Sous la pression internationale (relative), l’Etat hébreu, le 5 avril, dit autoriser la livraison «temporaire» d’aide dans l’enclave palestinienne via le port d’Ashdod et le point de passage d’Erez. Les autorités israéliennes déclarent qu’elles vont «permettre l’augmentation de l’aide jordanienne par Kerem Shalom», poste-frontière du sud d’Israël. Toutefois, la «neutralisation» par Israël de l’UNRWA, seule structure apte à distribuer effectivement une aide, vide d’une grande partie de leur dimension concrète ces déclarations. (Réd.)

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