Les travailleurs, les «classes moyennes», la Junte et la «révolution permanente»

Par Hossam El-Hamalawi

En ce 13 février, une tension s’exprime sur la place Tahrir entre l’armée qui veut l’évacuer complètement et une couche importante de manifestants qui veulent démontrer, en y restant, leur vigilance face à une «transition» qui prend des airs de continuité après la victoire initiale de l’énorme mobilisation qui a conduit à la démission forcée de Moubarak.

Mais, comme cela était indiqué dans un article publié sur ce site (« Les bâtiments du pouvoir bloqués… »), la «transition» peut voir le choc entre deux options : celle d’une continuité rénovée du régime et celle d’une rupture plus profonde avec le régime. C’est dans cette perspective que nous publions l’article ci-dessous, écrit le 12 février 2011. (Rédaction)

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Depuis hier, le 11 février 2001, et de fait depuis avant, des activistes des «classes moyennes » ont insisté pour que les Egyptiens mettent fin à leur mobilisation et retournent travailler, cela au nom du patriotisme. Ils l’ont fait en chantant les plus ridicules comptines sur le thème : «Commençons à construire une nouvelle Egypte» ; «Travaillons plus fort que jamais auparavant», etc.

Au cas où vous ne le saurez pas, actuellement les Egyptiens sont déjà parmi ceux qui travaillent le plus dur au monde.

Cette couche «militante» veut que nous déposions notre confiance dans les mains des généraux de Moubarak pour organiser la transition vers la démocratie. Au cours des trente dernières années, cette junte militaire a constitué la colonne vertébrale de la dictature Moubarak.

Et bien qu’il soit possible, je le crois, que le Conseil suprême des forces armées – qui a reçu 1,3 milliard de dollars par année des Etats-Unis – puisse mettre en place une transition vers un gouvernement civil, des élections, je n’ai aucun doute que ce sera un gouvernement qui assurera la continuité du système. Un gouvernement qui ne touchera jamais aux privilèges de l’armée [entre autres, ses avoirs très importants dans l’économie]. Un gouvernement qui maintiendra les forces armées comme une institution qui aura le dernier mot dans les importantes questions politiques (sur le modèle turc) ; qui garantira que l’Egypte continuera à suivre la politique étrangère des Etats-Unis, que ce soit la paix avec l’Etat d’apartheid qu’est Israël ou d’assurer le libre passage du canal de Suez pour la flotte militaire des Etats-Unis, ou encore le blocus de la bande de Gaza et l’exportation de gaz naturel vers Israël à des prix subventionnés. Le gouvernement «civil» n’a rien à voir avec des membres d’un cabinet gouvernemental qui ne portent pas l’uniforme militaire. Un gouvernement civil signifie un gouvernement qui représente effectivement les revendications et les espoirs du peuple égyptien et cela sans intervention des hauts gradés. Et cela est difficile à concevoir comme pouvant être accompli ou permis par cette junte militaire.

Les militaires ont été l’institution dominante dans ce pays depuis 1952. Ses dirigeants sont insérés entièrement dans l’establishment. Alors que les jeunes officiers et les soldats sont nos alliés, nous ne pouvons déposer notre confiance et notre foi dans les généraux. De plus, ces dirigeants de l’armée doivent être soumis à des enquêtes. Je veux en savoir plus sur leur présence active dans le monde des affaires.

Toutes les classes de l’Egypte ont pris part au soulèvement. Sur la place Tahrir, vous trouviez des fils et des filles des élites de l’Egypte, à côté de travailleurs, de membres des classes moyennes et des couches paupérisées urbaines.

Moubarak avait réussi à se mettre à dos toutes les classes sociales de la société, y compris des secteurs assez larges de la bourgeoisie. Mais ayez à la mémoire que ce n’est que depuis le 8-9 février, lorsque des grèves de masse commencèrent à secouer profondément le régime, que l’armée a été contrainte d’obliger Moubarak à démissionner parce que le système risquait de s’écrouler.

Certains ont été étonnés de voir que les travailleurs se mirent en grève. Je ne sais vraiment pas quoi répondre. Cette réaction relève de la bêtise. Les travailleurs se sont engagés dans des grèves longues et soutenues, cela depuis 1946. Et, elles réapparurent avec force depuis 2006. Ce n’est pas la faute des travailleurs si vous n’avez pas attaché d’importance à ces données. Chaque jour, au cours des trois dernières années, a été marqué par une grève dans la région du Caire ou dans les provinces. Ces grèves n’étaient pas strictement économiques, elles étaient aussi, dans leur nature même, sous ce régime, politiques.

Depuis le premier jour de notre soulèvement, la classe travailleuse a pris part aux mobilisations. Qui, pensez-vous, étaient les personnes qui manifestaient à Mahalla, à Suez et à Kafr el-Dawwar, par exemple ? Cependant, les travailleurs participaient à ces mobilisations en tant que manifestants et pas nécessairement en tant que travailleurs – au sens où ils ne se mobilisaient pas de manière séparée. Le gouvernement a bloqué l’économie – et non pas les manifestants par leurs manifestations – en fermant les banques et des firmes. C’était une grève capitaliste, ayant pour but de susciter la crainte parmi le peuple égyptien. Toutefois, quand le gouvernement a cherché à remettre le pays dans «une situation normale», le dimanche 5 février, les travailleurs de retour dans leurs entreprises ont discuté de la situation et ont commencé à s’organiser, engageant un mouvement de grève de plus en plus large.

Ces grèves des travailleurs, cette semaine-là, étaient à la fois économiques et politiques. Dans certains endroits, les travailleurs ne demandaient pas la chute du régime dans leurs revendications, mais ils utilisèrent les mêmes slogans que ceux de la place Tahrir dans de nombreux cas. Au moins parmi ces grèves que j’ai pu examiner – et je suis certain que d’autres exemples existent – les travailleurs mettaient en avant des revendications politiques et de solidarité avec la révolution.

Ces travailleurs ne vont pas retourner tranquillement à la maison, «à la normale», de suite. Ils ont commencé leurs grèves parce qu’ils ne peuvent plus nourrir leurs familles. Ils ont été encouragés par le renversement de Moubarak et ils ne peuvent pas retourner voir leurs enfants et leur dire que l’armée a promis de leur offrir de la nourriture et leurs droits dans, je ne sais pas, quelques mois. Beaucoup parmi les grévistes ont déjà mis en avant des nouvelles revendications concernant l’établissement de syndicats indépendants rompant avec la Fédération officielle des syndicats, corrompue et appuyée par l’Etat.

Aujourd’hui, 12 février, j’ai reçu l’information selon laquelle des milliers de travailleurs des transports publics engagent des mobilisations à El-Gabal el-Ahmar. Les travailleurs intérimaires se mobilisent aussi dans l’aciérie Helwan Steel Mills. Les techniciens des chemins de fer continuent leur action. Des milliers de travailleurs des usines de sucre el-Hawamdiya Sugar Factory sont mobilisés. Et les travailleurs du secteur pétrolier commenceront une grève demain (le 13 février) portant sur des revendications économiques et aussi demandant le renvoi du ministre Sameh Fahmy. Ils interrompront l’exportation de gaz vers Israël. Et de nombreuses informations nous parviennent sur des grèves dans des centres industriels.

En ce moment, l’occupation de la place Tahrir sera probablement suspendue. Mais nous devons, maintenant, transférer Tahrir dans les usines. Lorsque la révolution se poursuit, une polarisation de classes va s’affirmer. Nous devons rester vigilants. Nous ne devons pas nous arrêter ici… Nous détenons les clés de la libération de toute la région, pas seulement de l’Egypte. La perspective reste celle d’une «révolution permanente» (extension et approfondissement) qui assurera le peuple de ce pays avec une démocratie directe venant d’en bas. (Traduction de A l’Encontre)

* Publié dans Jadaliyya

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