Par Marwa Hussein
Les 27’000 ouvriers de l’entreprise de filature et tissage Ghazl Al-Mahalla sont entrés en grève afin d’obtenir la part qui leur est due dans les profits annuels de l’entreprise, la plus grande du secteur du textile. Cette grève fait suite à des mouvements qui ont éclaté fin 2006 et début 2007 (occupation de l’usine textile de Kafr El-Dawwar: 11’700 travailleurs, en janvier 2007) et qui voient une nouvelle génération de travailleurs mettre en cause aussi bien les appareils syndicaux intégrés à l’appareil d’Etat que, de fait, le régime de Moubarak. Ces grèves ont obtenu un certain succès, ce qui a renforcé la confiance des salarié·e·s. Les grèves actuelles s’inscrivent dans cette lignée.
L’inflation, le baisse des salaires et la mise question d’un «état social» fantomatique suscite une brutale accentuation de la paupérisation. Selon le gouvernement, il y a dans cette politique économique les conditions pour accroître les investissements étrangers. (Réd.)
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Il est midi. Le lundi 24 septembre, les 27’000 ouvriers de Ghazl Al-Mahalla [usine textile située à Mahal el-Kubra dont les ouvriers avaient déjà mené une grève victorieuse contre la privatisation en décembre 2006] sont à leur deuxième jour de grève. Regroupés sur la place Talaat Harb au sein de l’entreprise, des dizaines s’approchent de nous à notre entrée. Ils s’expliquent. Ce ne sont pas uniquement les revendications salariales, mais aussi le sort de leurs camarades arrêtés. «La libération des 5 collègues détenus par la police est devenue notre demande prioritaire», lance un ouvrier. «Aucun de nous ne va regagner sa maison avant la libération de nos collègues», lance un autre. [voir encadré ci-desous: Les 8 revendications des ouvriers]
Le Parquet venait de décider la détention provisoire de 5 de leurs collègues pour 4 jours. Il les a accusés d’inciter à la grève, causant ainsi à l’entreprise des pertes estimées à 10 millions de L.E. (livre egyptienne: 100 livres équivaut à 21 CHF, officiellement] , comme le signale la direction de l’entreprise qui a saisi le Parquet de la plainte. Une décision qui a enflammé la situation déjà tendue.
Cette grève, qui intervient 9 mois après une précédente aussi importante, a été déclenchée à cause du retard de la paie et de leur participation aux bénéfices de l’entreprise publique. Mais cette fois-ci, les revendications des ouvriers ont augmenté d’un cran et ne se limitent plus à récupérer des droits salariaux. Ils ont revendiqué également la démission du comité syndical et du PDG de l’entreprise.
Aïcha Abdel-Hadi, la ministre de la Main-d’œuvre, et Mahmoud Mohieddine, le ministre de l’Investissement, avaient promis aux ouvriers de leur payer en bénéfices annuels l’équivalent de 150 jours de salaire, une somme sur laquelle la direction s’est livrée à beaucoup de manœuvres, selon les ouvriers, et a refusé de confirmer. Et jusqu’à présent, ils n’ont reçu que l’équivalent de 20 jours. La veille de la grève, pour les calmer, l’administration leur avait proposé de leur payer davantage: l’équivalent de 40 jours, pour que les ouvriers acceptent de remettre sine die le paiement du reste de la «prime» promise. Une proposition qui a été aussitôt réfusée.
Mohsen Al-Gilani, président de la société holding dont dépend l’entreprise se défend: «L’assemblée générale ne s’est pas encore réunie pour approuver la part des ouvriers dans les profits. Elle attend le rapport de l’Organisme central des comptes concernant le bilan de l’entreprise», a-t-il expliqué Al-Ahram.
Mais ces déclarations ne convainquent pas les ouvriers. Ces derniers veulent toucher leur argent tout de suite. «Quand l’administration nous inflige des coupes de salaire pour un jour d’absence, même s’il s’agit d’un vendredi, week-end payé selon la loi, elle n’attend pas le rapport de l’Organisme des comptes», ironise un ouvrier.
A deux semaines du petit Baïram [fête à la fin du mois du Ramadan] et quelques jours après la rentrée scolaire, les ouvriers – qui touchent chaque mois des salaires variant entre 250 et 500 L.E. – passent par les moments les plus difficiles. Plusieurs enfants accompagnent leurs mères en grève, car ils ont été renvoyés des écoles, n’ayant pas pu payer les frais scolaires. D’autres écoles ont refusé de délivrer aux élèves les manuels scolaires.
«L’administration calcule nos salaires au millième près», s’insurge une des ouvrières en nous montrant sa fiche de paie. Après 23 années de travail, son salaire mensuel est à peine de 225 L.E. Et ce, au moment où les loyers des appartements à Mahalla ont atteint en moyenne 300 L.E. par mois.
La hausse des loyers a incité les ouvriers à demander une allocation de logement. «Les hauts fonctionnaires bénéficient d’un logement de fonction au loyer de 5 L.E., alors que nous devons payer des centaines des livres», s’exclame un ouvrier.
Jusqu’à la fin de la journée, le bras de fer est resté engagé entre les ouvriers d’une part et l’administration de l’autre. Le gouvernement ? Il fait, lui, la sourde oreille pour l’instant. C’est en fait la deuxième grève en moins d’un an. La grève de décembre 2006 avait entraîné une vague de protestations ouvrières, considérée comme la plus importante en douze ans. La raison du déclenchement de la grève était la même, recevoir une part des bénéfices annuels et s’opposer à la privatisation. A l’époque, ils avaient réussi à obtenir l’équivalent de 45 jours de salaire pour 6 mois de travail ainsi qu’une prime équivalente à 20 jours de salaire que le gouvernement leur avait octroyée pour les calmer. Mais cette fois-ci, la réaction du gouvernement semble être différente. Les deux ministres en charge du dossier, celle de la Main-d’œuvre et celui de l’Investissement, n’ont pas encore réagi. Le PDG de l’entreprise, lui aussi, ne s’est pas manifesté.
Le PDG du holding Mohsen Al-Gilani non plus. Mais il s’est montré très agressif au bout du fil. «Les revendications sont refusées. Elles sont toutes illégales et illogiques. Et je ne vais pas visiter l’entreprise. Tout ce que je peux affirmer, c’est que leur part des profits ne sera pas inférieure à celle de l’année dernière, soit l’équivalent de 120 jours de salaires», nous a-t-il déclaré.
D’autre part, les ouvriers de Kafr Al-Dawar ont organisé une grève en solidarité avec ceux de Mahalla. Au Caire, un nombre important d’ouvriers des minoteries du sud du Caire ont entamé un court sit-in. Ils ont de même lancé un communiqué soutenant les revendications de leurs collègues qu’ils ont qualifiées de légitimes, surtout la fixation par le gouvernement d’un salaire minimum qui soit en harmonie avec les prix actuels. Une demande qui, dernièrement, se répète souvent. Les salaires des ouvriers des minoteries du Caire sont aussi faibles que ceux de leurs homologues à Mahalla.
Les 8 revendications des ouvriers
1.- Recevoir l’équivalent de 150 L.E. du salaire de base en profits annuels.
2.- Retirer confiance du comité syndical ainsi que du PDG de l’entreprise.
3.- Inclure les primes dans le salaire de base comme pourcentage fixe non lié à la production.
4.- Augmenter les primes pour la nourriture.
5.- Allouer une prime pour le logement.
6.- Fixation d’un salaire minimum conformément aux prix actuels.
7.- Fournir un moyen de transport pour les ouvriers qui habitent loin de l’entreprise.
8.- Améliorer les services médicaux
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